Drogue et politique au Yukon
Territoire autonome du grand Nord canadien peuplé de seulement 31 227 habitants, le Yukon a le don de faire peu parler de lui. De toute évidence, l’actualité politique yukonaise inspire en effet peu de curiosité chez les médias nationaux.
Conséquemment, vous n’avez aucun reproche à vous faire si vous n’avez jamais entendu parler de l’arrestation de l’actuel premier ministre du Yukon pour trafic d’héroïne, en 1975, ni de l’arrestation de l’ex-leader du Parti libéral du Yukon pour trafic de cocaïne, en 1986.
Néanmoins, dans la presse locale, les révélations concernant le passé criminel du chef du gouvernement yukonais soulevèrent une vive controverse, en novembre 2003, dont certains aspects ne sont pas sans rappeler à certains égards l’affaire André Boisclair, qui éclatera deux ans plus tard, au Québec. (1)
On aura beau dire ce qu’on voudra sur le poids politique négligeable du Yukon dans la fédération canadienne. Il n’en demeure pas moins que le Yukon est représenté par son premier ministre lors des conférences fédérales-provinciales, au même titre que les leaders politiques des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.
Le chef libéral
vendait de la coke !
M. Roger Coles, alors chef du Parti libéral du Yukon, fut élu député du comté de Tatchun à l’occasion des élections générales de mai 1985, qui chassèrent du pouvoir le Parti conservateur du Yukon pour la première fois depuis la création du Territoire autonome du Yukon, en 1978. M. Coles, qui était aussi prospecteur et pilote d’hélicoptère, avait battu son adversaire conservateur par seulement 28 votes de différence.
Le NPD n’ayant réussi qu’à s’emparer que de la moitié des sièges de l’assemblée législative du Yukon, le gouvernement néo-démocrate minoritaire devait s’assurer d’avoir l’appui des deux députés libéraux pour faire adopter quelque mesure législative que ce soit.
C’est ainsi que M. Coles, alors âgé de 26 ans, se retrouva soudainement avec la balance du pouvoir.
Mais l’ascension politique de M. Roger Coles sera de courte durée. En effet, quatre mois plus tard, le chef libéral yukonais commençait à développer des problèmes de consommation de drogues.
Des problèmes qui, de toute évidence, iront en s’amplifiant jusqu’au 8 mai 1986, date à laquelle M. Roger Coles fut arrêté par des membres de l’escouade des stupéfiants de la Gendarmerie Royale du Canada et fut subséquemment inculpé de trois chefs d’accusation de trafic de cocaïne. Il a ensuite été remis en liberté après avoir brièvement comparu devant un tribunal du territoire. (2)
Le lendemain, M. Coles démissionna de son poste de leader du Parti Libéral du Yukon. Par contre, il décida de s’accrocher à son siège de député.
Lors des témoignages des enquêteurs de police en cour, on a appris que M. Coles avait vendu, au total, 10 onces de cocaïne à un agent clandestin de la GRC qui se faisait passer pour un narcotrafiquant, lors de trois occasions différentes. (3)
Les pourparlers entre M. Coles et le faux-trafiquant de la GRC débutèrent en mars 1986, sur une patinoire curling à Watson Lake, et continuèrent au printemps, dans la ville de Whitehorse. Une de leur rencontre s’est déroulé dans la cafétéria du siège du gouvernement du Yukon, et une autre eut lieu dans la salle de réunion du caucus libéral au parlement du territoire.
La plus importante transaction, qui impliqua l’achat de huit onces de coke pour une somme de 27 000$, s’est tenue dans une chambre d’hôtel que la GRC avait mis sous vidéosurveillance. Avec une preuve aussi accablante, la GRC n’a eut qu’à cueillir M. Coles après sa sortie de la chambre d’hôtel.
Le 31 octobre 1986, M. Coles plaida coupable et démissionna de son siège de député. Le tribunal le condamna à une peine de trois ans d’incarcération. M. Coles fut libéré de prison après avoir purgé six mois de sa sentence derrière les barreaux. (4)
On entendra plus parler de lui… jusqu’aux élections générales albertaines de 2001.
On apprenait alors que M. Roger Coles, devenu conseiller municipal à Drayton Valley, se présentait pour le Parti libéral de l’Alberta dans le comté de Drayton Valley-Calmar, au nord-ouest de Calgary.
Bien entendu, les médias albertains se chargèrent de rappeler à l’électorat que M. Coles fut mêlé à une affaire de trafic de coke, il y a quinze ans. Et le candidat libéral n’eut donc d’autre choix que de s’expliquer avec la presse.
Commentant ses démêlés judiciaires, M. Coles déclara : « La seule personne à qui j’ai fait du mal, c’est à moi-même ». Il se défendit aussi d’avoir tenté de cacher sa condamnation à l’électorat. (5)
« Ce n’est pas quelque chose que je mets dans mon pamphlet électoral, mais ce n’est pas un secret non plus », avait alors affirmé M. Coles au quotidien The Calgary Sun. Le candidat libéral avait en effet levé le voile sur son passé lors d’une séance du conseil de ville de Drayton Valley, en 1999.
Le Parti libéral, qui n’ignorait rien du passé de narcotrafiquant de son candidat, se porta à la défense de M. Coles. « Il a fait son temps et vit maintenant une vie décente, une vie solide en essayant d’aider les autres », déclara le porte-parole du parti, M. Kieran Leblanc.
Son adversaire, le conservateur Tony Abbott, refusa d’en faire un enjeu électoral. Il n’en avait d’ailleurs nullement besoin, comme l’atteste son écrasante victoire électorale qui suivra en mars 2001. En effet, M. Abbott remporta l’élection avec une confortable majorité de 68.4% des voix, tandis que M. Coles hérita de la deuxième position avec 19.9% des suffrages.
Le futur premier ministre vendait de l’héroïne !
Sources :
(1) Whitehorse Star, “Yukon premier's 1975 drug conviction involved selling heroin”, by Jason Small, November 24, 2003.
(2) Globe and Mail, “Yukon liberal chief faces three charges of drug trafficking”, by Canadian Press, May 9, 1986.
(3) Globe and Mail, “Former Yukon Liberal leader jailed 3 years”, by Matthew Fisher, November 3 1986.
(4) The Gazette, “Yukon Liberal quits seat over drug-trafficking case”, by Canadian Press, November 1, 1986.
(5) The Calgary Sun, “Grit Beat Drugs”, by Paul Cowan, February 26, 2001
Conséquemment, vous n’avez aucun reproche à vous faire si vous n’avez jamais entendu parler de l’arrestation de l’actuel premier ministre du Yukon pour trafic d’héroïne, en 1975, ni de l’arrestation de l’ex-leader du Parti libéral du Yukon pour trafic de cocaïne, en 1986.
Néanmoins, dans la presse locale, les révélations concernant le passé criminel du chef du gouvernement yukonais soulevèrent une vive controverse, en novembre 2003, dont certains aspects ne sont pas sans rappeler à certains égards l’affaire André Boisclair, qui éclatera deux ans plus tard, au Québec. (1)
On aura beau dire ce qu’on voudra sur le poids politique négligeable du Yukon dans la fédération canadienne. Il n’en demeure pas moins que le Yukon est représenté par son premier ministre lors des conférences fédérales-provinciales, au même titre que les leaders politiques des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.
Le chef libéral
vendait de la coke !
M. Roger Coles, alors chef du Parti libéral du Yukon, fut élu député du comté de Tatchun à l’occasion des élections générales de mai 1985, qui chassèrent du pouvoir le Parti conservateur du Yukon pour la première fois depuis la création du Territoire autonome du Yukon, en 1978. M. Coles, qui était aussi prospecteur et pilote d’hélicoptère, avait battu son adversaire conservateur par seulement 28 votes de différence.
Le NPD n’ayant réussi qu’à s’emparer que de la moitié des sièges de l’assemblée législative du Yukon, le gouvernement néo-démocrate minoritaire devait s’assurer d’avoir l’appui des deux députés libéraux pour faire adopter quelque mesure législative que ce soit.
C’est ainsi que M. Coles, alors âgé de 26 ans, se retrouva soudainement avec la balance du pouvoir.
Mais l’ascension politique de M. Roger Coles sera de courte durée. En effet, quatre mois plus tard, le chef libéral yukonais commençait à développer des problèmes de consommation de drogues.
Des problèmes qui, de toute évidence, iront en s’amplifiant jusqu’au 8 mai 1986, date à laquelle M. Roger Coles fut arrêté par des membres de l’escouade des stupéfiants de la Gendarmerie Royale du Canada et fut subséquemment inculpé de trois chefs d’accusation de trafic de cocaïne. Il a ensuite été remis en liberté après avoir brièvement comparu devant un tribunal du territoire. (2)
Le lendemain, M. Coles démissionna de son poste de leader du Parti Libéral du Yukon. Par contre, il décida de s’accrocher à son siège de député.
Lors des témoignages des enquêteurs de police en cour, on a appris que M. Coles avait vendu, au total, 10 onces de cocaïne à un agent clandestin de la GRC qui se faisait passer pour un narcotrafiquant, lors de trois occasions différentes. (3)
Les pourparlers entre M. Coles et le faux-trafiquant de la GRC débutèrent en mars 1986, sur une patinoire curling à Watson Lake, et continuèrent au printemps, dans la ville de Whitehorse. Une de leur rencontre s’est déroulé dans la cafétéria du siège du gouvernement du Yukon, et une autre eut lieu dans la salle de réunion du caucus libéral au parlement du territoire.
La plus importante transaction, qui impliqua l’achat de huit onces de coke pour une somme de 27 000$, s’est tenue dans une chambre d’hôtel que la GRC avait mis sous vidéosurveillance. Avec une preuve aussi accablante, la GRC n’a eut qu’à cueillir M. Coles après sa sortie de la chambre d’hôtel.
Le 31 octobre 1986, M. Coles plaida coupable et démissionna de son siège de député. Le tribunal le condamna à une peine de trois ans d’incarcération. M. Coles fut libéré de prison après avoir purgé six mois de sa sentence derrière les barreaux. (4)
On entendra plus parler de lui… jusqu’aux élections générales albertaines de 2001.
On apprenait alors que M. Roger Coles, devenu conseiller municipal à Drayton Valley, se présentait pour le Parti libéral de l’Alberta dans le comté de Drayton Valley-Calmar, au nord-ouest de Calgary.
Bien entendu, les médias albertains se chargèrent de rappeler à l’électorat que M. Coles fut mêlé à une affaire de trafic de coke, il y a quinze ans. Et le candidat libéral n’eut donc d’autre choix que de s’expliquer avec la presse.
Commentant ses démêlés judiciaires, M. Coles déclara : « La seule personne à qui j’ai fait du mal, c’est à moi-même ». Il se défendit aussi d’avoir tenté de cacher sa condamnation à l’électorat. (5)
« Ce n’est pas quelque chose que je mets dans mon pamphlet électoral, mais ce n’est pas un secret non plus », avait alors affirmé M. Coles au quotidien The Calgary Sun. Le candidat libéral avait en effet levé le voile sur son passé lors d’une séance du conseil de ville de Drayton Valley, en 1999.
Le Parti libéral, qui n’ignorait rien du passé de narcotrafiquant de son candidat, se porta à la défense de M. Coles. « Il a fait son temps et vit maintenant une vie décente, une vie solide en essayant d’aider les autres », déclara le porte-parole du parti, M. Kieran Leblanc.
Son adversaire, le conservateur Tony Abbott, refusa d’en faire un enjeu électoral. Il n’en avait d’ailleurs nullement besoin, comme l’atteste son écrasante victoire électorale qui suivra en mars 2001. En effet, M. Abbott remporta l’élection avec une confortable majorité de 68.4% des voix, tandis que M. Coles hérita de la deuxième position avec 19.9% des suffrages.
Le futur premier ministre vendait de l’héroïne !
Sources :
(1) Whitehorse Star, “Yukon premier's 1975 drug conviction involved selling heroin”, by Jason Small, November 24, 2003.
(2) Globe and Mail, “Yukon liberal chief faces three charges of drug trafficking”, by Canadian Press, May 9, 1986.
(3) Globe and Mail, “Former Yukon Liberal leader jailed 3 years”, by Matthew Fisher, November 3 1986.
(4) The Gazette, “Yukon Liberal quits seat over drug-trafficking case”, by Canadian Press, November 1, 1986.
(5) The Calgary Sun, “Grit Beat Drugs”, by Paul Cowan, February 26, 2001