Boisclair choisi de prendre la poudre descampette
Affaire Boisclair -partie 4
(précédent)
Ceux qui se sont employés à faire le procès des médias semblent oublier que M. Boisclair a lui-même contribué à son propre malheur en gérant de façon désastreuse la controverse sur sa consommation de cocaïne. Ainsi, le vendredi 16 septembre 2005, lorsqu’il fut confronté publiquement pour la première fois sur son usage de cocaïne, M. Boisclair avait refusé de répondre directement à la question, en se réfugiant derrière des clichés et des phrases évasives [« …j’ai vécu ma jeunesse comme bien d’autres… »].
Plus à l’aise dans le rôle de la victime plutôt que dans celui du politicien repentant, M. Boisclair prétendit que plusieurs des allégations portées à son égard étaient fausses. Mais lorsqu’un reporter lui demanda s’il niait avoir pris de la cocaïne lorsqu’il était ministre, M. Boisclair mit abruptement fin au point de presse qu’il était en train de donner, sans autre cérémonie !
Bref, celui qui prétend aujourd’hui vouloir « faire mieux » que M. René Lévesque a purement et simplement déserté le champ de bataille des relations publiques. Il veut être le leader, mais il a agit comme un authentique loser. Et dire que le même Boisclair était allé jusqu’à Boston pour suivre des cours en leadership…
Comment peut-il avoir par la suite le culot de se plaindre que les médias sont en train de porter « préjudice à sa réputation »—déclaration qui s’apparente à une menace voilée de poursuite au civil pour diffamation—alors que c’est lui, et personne d’autre, qui négligea de saisir l’occasion que les médias lui offraient de passer son propre message ?
En agissant de la sorte, M. Boisclair a ainsi adopté l’attitude coupable de celui qui se défile brusquement, celui qui fuit les questions par peur de s’auto-incriminer. Ce faisant, il a agi comme un parfait imbécile, car il a laissé la place à toutes les rumeurs provenant souvent de sources non-identifiées.
Deux jours plus tard, après le fiasco du point de presse du 16 septembre, lors du lancement officiel de sa campagne au Spectrum de Montréal, M. Boisclair rata une autre occasion de rectifier le tir en refusant de rencontrer les journalistes. En fait, il a passé toute la fin de semaine à éviter les journalistes, comme si la controverse, maintenant devenue le sujet de l’heure, allait disparaître comme par enchantement du fait qu’il refusait lui-même d’en reconnaître l’existence.
C’était là un très mauvais calcul de sa part car, en l’absence de réponse, les médias ont fait toute une histoire autour de l’absence de réponse, justement, du candidat Boisclair.
Par ailleurs, M. Boisclair peut difficilement plaider l’effet surprise et prétendre qu’il ne l’avait pas vu venir. Car, non seulement sa consommation de coke faisait-elle l’objet de rumeurs depuis plusieurs années dans les milieux politiques, mais en plus, comme nous le verrons ci-dessous, elle avait même déjà été évoquée par trois quotidiens du groupe Gesca dans un article paru à la mi-juin.
Trois mois ont donc pu s’écouler entre le moment de la première fuite médiatique et celui du point de presse du 16 septembre. Conséquemment, M. Boisclair et ses attachés de presse ne pouvaient ignorer le risque bien réel que, tôt ou tard, cette affaire finisse par rebondir. L’aspirant à la succession de M. Landry et son équipe ont donc eu le loisir, durant tout l’été, de réfléchir à la ligne de presse qu’il y aurait à adopter advenant le cas où les médias en viendraient à s’emparer de l’affaire.
M. Boisclair aurait pu facilement tuer la controverse dans l’œuf en mettant au clair et ce, dès le début, que cette consommation n’avait été qu’occasionnelle. Par exemple, il aurait pu très bien tirer son épingle du jeu en donnant un ordre de grandeur, genre : « Ben oui, j’en ai fait deux ou trois fois par année. Au party de noël, à ma fête et à la Saint-Jean. Mais j’ai tout arrêté depuis X nombre d’années. »
En répondant de cette façon, la consommation de M. Boisclair serait alors apparue plutôt anodine et sans grand intérêt. Et si les journalistes avaient insisté, il aurait alors pu s’adresser à eux en leur répondant : « Coudon’, vous me ferez quand même pas accroire que ça sniffe pas dans vos partys à vous autres ! ». Voilà qui en aurait sans doute enlevé l’envie à la meute journalistique d’approfondir le sujet…
Seulement, M. Boisclair nous a plutôt offert un tout autre spectacle. L’affaire avait désormais pris une ampleur démesurée dans les médias et il en était le principal responsable.
Le 19 septembre, au bout de trois journées d’intense pression médiatique, M. Boisclair fut contraint de se rendre à l’évidence qu’il n’avait d’autre choix que celui de procéder à des aveux, qui prirent davantage la forme de semi-aveux.
Devant les journalistes, il reconnut avoir consommé à « quelques reprises », avoir fait « des excès » et des choses qu’il regrette et d’avoir vécu des « moments plus difficiles » dans sa vie, sans toutefois prononcer, ne serait-ce qu’une fois, le mot « cocaïne ».
Par ailleurs, on notera que M. Boisclair a également affirmé être aujourd’hui rendu « ailleurs » dans sa vie. « Ailleurs » ? À l’écouter parler de la sorte, on croirait entendre un ancien accro. Quelqu’un qui, autrefois, aurait été dans la dope jusqu’au cou, mais qui, aujourd’hui, a tiré un trait définitif sur son passé. Faisant en sorte qu’il peut désormais affirmer qu’il est « ailleurs » dans sa vie aujourd’hui.
Mais quelqu’un qui aurait sniffé à l’occasion, sans toutefois développer quelque problème de consommation que ce soit, s’exprimerait-il ainsi ? Quelqu’un qui n’aurait jamais touché le fond dirait-il qu’il est aujourd’hui « ailleurs » dans sa vie ?
En choisissant de tels mots pour faire office de mea culpa, on ne peut faire autrement que de se poser la question : mais alors d’où revient-il, s’il est aujourd’hui rendu « ailleurs » dans sa vie ? Une question étrange à poser puisque, comme on le sait, l’auteur de ces paroles consacra la majeure partie de sa vie adulte en tant qu’élu à l’Assemblée nationale.
En 1989, à l’âge de seulement 23 ans, M. Boisclair fut élu pour la première fois député du comté de Gouin, un poste qu’il conserva sans interruption jusqu’à l’été 2004, où il décida de se retirer temporairement de la politique pour aller étudier à la John F. Kennedy School of Government, affiliée à l’Université Harvard, à Boston. Puis, en 1995, à l’âge de 29 ans, M. Boisclair accède pour la première fois au Conseil des ministres, où il siégera jusqu’à la défaite du Parti Québécois, alors dirigé par Bernard Landry, lors des élections québécoises d’avril 2003.
C’est donc dire que durant 15 des 16 années plus récentes années de sa vie, M. Boisclair était littéralement plongé, tête sous l’eau, dans la grande mare de la politique. Enfin, c’est ce qu’on avait réussi à nous faire croire jusqu’à présent. Car on sait aujourd’hui que M. Boisclair a aussi été « ailleurs », durant une période indéterminée de sa vie.
Quand il dit être rendu « ailleurs » dans sa vie, veut-il dire qu’à certains moments il n’a pas été « tout’ là » par le passé ?
C’est pourtant le même André Boisclair qui a nié avoir connu des problèmes de consommation. Mais pourquoi faudrait-il le croire ? À cause de cette réaction initiale, il devient plus difficile d’avaler l’idée qu’il s’agissait là d’une affaire anodine, d’un « détail » de sa vie personnelle. En fait, on est plutôt tenté de penser qu’on vient de toucher à un nerf très sensible. À quelque chose de peut-être pas très joli.
Et si André Boisclair nous cacherait que, loin d’être anodine, sa consommation lui a fait développer des problèmes de dépendance, ou autres, à une certaine époque de sa vie ? Ainsi, la façon dont M. Boisclair a géré toute cette controverse ne fait qu’accréditer les pires soupçons.
Dans un pareil contexte, on comprend que de nombreux journalistes soient restés sur leur faim. Le lendemain de sa semi-confession, les médias continuaient de talonner le candidat Boisclair en quête d’aveux plus complets. Cette fois-ci, M. Boisclair a déclaré : « J’ai répondu à l’ensemble des questions qui m’avaient été posées. Je l’ai fait dans le calme et la sérénité. Et je fais le choix pour le moment d’en arrêter là. » (14)
Voilà une autre déclaration qui ne peut se passer de commentaires. Ainsi, dans une tentative désespérée de mettre derrière lui cette embarrassante affaire, M. Boisclair prétend maintenant avoir répondu à toutes les questions entourant cette affaire. Pardon ? M. Boisclair était peut-être encore « ailleurs » lorsqu’il a refusé de répondre à un journaliste qui lui avait demandé à quand remontait la dernière ligne qu’il avait sniffé.
Après avoir tenté d’induire tout le monde en erreur en parlant de « frasques de jeunesse » avant de reconnaître qu’il siégeait au Conseil des ministres au moment où il a consommé—faisant en sorte qu’il peut difficilement plaider une quelconque forme d’immaturité de sa part—voilà que M. Boisclair se met à recourir au mensonge, ni plus ni moins !
Faut-il rappeler à M. Boisclair que la durée et la fréquence de sa consommation sont des questions qui demeurent toujours sans réponses ? Par ailleurs, on ignore toujours tout de la méthode d’approvisionnement en cocaïne de M. Boisclair : a -t-il payé de sa poche la coke qu’il a prise ou lui était-elle gracieusement offerte sur un plateau d’argent par de généreux amis, comme M. Doray par exemple ?
Des journalistes, des éditorialistes ou de simples membres du public ont aussi soulevé d’autres questions tout aussi pertinentes, mais qui demeurent encore en suspens. Les dirigeants du parti sont-ils intervenus pour lui dire d’arrêter ou ont-ils fait preuve d’indulgence à son égard ? Y a-t-il eu une enquête policière ? Existe-t-il un quelconque danger que des éléments de son passé de consommateur reviennent le hanter ? Y a-t-il des individus du milieu interlope qui pourrait faire pression sur celui qui se retrouvera vraisemblablement dans un important poste de pouvoir ?
Chose certaine, M. Boisclair est encore loin d’avoir effectivement répondu à toutes les questions. D’ailleurs, lorsqu’il dit lui-même avoir fait «.le choix pour le moment d’en arrêter là », le candidat à la succession de M. Landry reconnaît implicitement qu’il n’a pas tout dit. Qu’à cela ne tienne, M. Boisclair insiste pour « passer à autre chose », sans pour autant avoir fait l’effort de vider tout son sac.
C’est d’ailleurs ce que laissait entendre l’ex-ministre péquiste François Gendron lors d’une conférence de presse, survenue la même journée, où il formalisa son appui au camp du candidat Richard Legendre. « S’il reste des choses à nettoyer, ça lui appartient. Et je souhaiterais qu’il les nettoie lui-même », lança M. Gendron. « Il lui appartient pour sa carrière de tout dire ce qui concerne cette situation qui est devenue publique. » (15)
Intervention sincère ou tentative de salissage de la part d’un camp « soucieux de sa situation dans les sondages » ? Membre de l’Assemblée nationale depuis 1976, M. Gendron n’est pourtant pas le dernier venu. En tant que doyen des députés péquistes, M. Gendron ne correspond guère au profil du politicien sans scrupules capable de faire primer de vulgaires considérations partisanes au détriment des intérêts supérieurs du Parti et de la cause souverainiste.
Doivent-ils continuer
à lui tirer les vers de nez ?
Néanmoins, la stratégie de M. Boisclair, consistant à livrer une confession au compte-goutte souleva un nouveau débat public : le candidat à la direction du PQ peut-il s’arrêter à mi-chemin dans son déballage ou doit-il faire toute la lumière sur sa consommation de coke sans autre délai ?
Plusieurs personnalités politiques québécoises furent appelées à se prononcer sur la question. C’est alors qu’on assista à un curieux phénomène : à quelques exceptions près, ceux-là mêmes qui prétendirent que le candidat Boisclair devait aller jusqu’au bout dans le dossier cocaïne firent eux-mêmes marche arrière peu de temps après.
Pour commencer, la même journée que le candidat vedette avouait sa consommation, l’ancien ministre péquiste et ex-cocaïnomane, M. Jean-François Bertrand, déclarait au Journal de Montréal que la franchise était la meilleure porte de sortie pour M. Boisclair. « Je crois que ça aurait dû être dit dès le départ plutôt que de s’en remettre aux frasques de jeunesse qui est une expression qui est un peu trop facile », a indiqué M. Bertrand. (16)
Mais le lendemain, M. Bertrand offrait un tout autre discours. « C’était pertinent de poser des questions sur cette histoire », dit-il, « mais, maintenant qu’il a fourni des réponses satisfaisantes, on doit retourner à la campagne pour la direction du Parti Québécois. Il y a des choses qu’on a pas besoin de savoir », laissa-t-il tomber. (17)
Puis, la même journée, lors d’un passage à Moncton, le chef de l’Action démocratique du Québec [ADQ], M. Mario Dumont, affirmait qu’il n’appartenait pas à M. Boisclair de juger que la page était tournée, alors qu’« il reste bien des questions ». Selon lui, les aveux de M. Boisclair sont maladroits et flous. (18)
Or, durant la première semaine du mois d’octobre, M. Dumont changea soudainement son fusil d’épaule dans une entrevue au Devoir. Le chef adéquiste a alors prétendu que M. Boisclair n’avaient plus à répondre de rien ! « Comme n’importe quel autre politicien, on peut décider qu’en matière de vie privée, jusque-là on en parle, puis, à partir de là, on ne donne plus de réponse, ce qu’on ne peut pas faire lorsqu’on parle de la gestion d’un ministère », dit maintenant M. Dumont. (19)
Enfin, une dépêche de l’agence Presse Canadienne rapportait que le leader du Bloc Québécois, M. Gilles Duceppe, avait fait la déclaration suivante lors d’une entrevue à Radio Canada, le 25 septembre : « On ne peut pas, en politique, exclure des choses comme ça. On doit faire face à la musique. Dès lors qu’est posé un geste criminel—on ne peut pas acheter ça au dépanneur du coin!—, cela devient d’intérêt public ». (20)
Puis, —surprise !— le lendemain, à Ottawa, M. Duceppe « s’est empressé de remettre le couvercle sur la marmite », pour reprendre l’expression utilisée dans la dépêche de Presse Canadienne, selon qui « le chef du Bloc québécois… s’est retrouvé dans ses petits souliers, lundi, après avoir invité André Boisclair, la veille, à lever entièrement le voile sur sa consommation de cocaïne à l’époque où il était ministre,».
En effet, à sa sortie de la Chambre des communes, M. Duceppe, qui avait lui-même été pressenti pour succéder à M. Bernard Landry au printemps dernier, déclara alors aux journalistes : « On m’a demandé si c’était du domaine privé ou public, j’ai dit public. On m’a demandé si M. Boisclair devait répondre aux questions, j’ai dis oui. M. Boisclair a répondu aux questions et moi ça me va. (…) M. Boisclair n’est pas pour se mettre de la cendre sur la tête jusqu’à la fin de ses jours ! Il est temps de passer à autre chose ».
Le journaliste Michel David du Devoir a avancé une explication pouvant éclairer le revirement plutôt singulier de M. Duceppe. Selon lui, « les nombreux députés du Bloc qui ont rejoint le camp Boisclair n’avaient pas beaucoup apprécié les remarques de leur chef. » Bien entendu, le tabou persistant entourant la consommation de cocaïne en milieu politique a également joué en faveur du candidat Boisclair, ce qui explique pourquoi les politiciens, toutes tendances confondues, furent si peu nombreux à l’avoir ouvertement interpellé. (21)
Même l’influent député de Rousseau et ex-ministre péquiste François Legault, supporter de la première heure de la candidature de M. Richard Legendre, est intervenu publiquement pour supplier les médias de changer de disque. « Tout ce dont on parle, c’est de la consommation de coke d’André Boisclair… », a déploré M. Legault. « C’est même difficile pour les autres candidats… », a-t-il ajouté, avant de conclure, sur un ton catégorique : « Je pense que c’est très mauvais pour le Parti québécois et pour la cause… » (22)
L’ancien ministre libéral Yvon Picotte, aujourd’hui président de l’Action Démocratique du Québec, fut l’une des rares personnalités politiques à avoir fait preuve de constance dans ses critiques à l’égard du manque de transparence du candidat Boisclair. M. Picotte, qui avait sombré dans l’alcoolisme alors qu’il siégeait comme député de l’opposition, sait de quoi il parle en matière de toxicomanie puisqu’il dirige aujourd’hui le Pavillon du nouveau point de vue, le même centre de désintoxication où l’ex-député péquiste Gilles Baril avait accompli sa cure.
Du côté des forces souverainistes, seul le vétéran Yves Michaud a fait ce que personne d’autre au PQ n’avait osé faire ouvertement : il invita M. Boisclair à réfléchir sur son avenir politique « en tenant compte de l’intérêt du parti, de l’intérêt général » et dans l’intérêt du projet d’indépendance nationale. (23)
Le silence des libéraux de Charest et des adversaires de M. Boisclair dans la course à la chefferie pourrait aussi s’expliquer par un autre facteur. Malgré sa performance aussi maladroite que malhonnête, M. Boisclair a réussi l’étonnant tour de force de faire une spectaculaire remontée dans les sondages après sa confession (peut-être que les sondages sont-ils « cokés » eux aussi ?).
Par ailleurs, le fait que l’exploitation de l’affaire par les médias soit devenue suspecte chez de nombreux membres du public, contribua assurément au capital de sympathie dont a bénéficié M. Boisclair. Ainsi, pour une classe politique dopée aux sondages, il était devenu clair qu’il n’était pas payant politiquement de faire la vie dure à M. Boisclair au sujet de ses soi-disantes « erreurs de jeunesse ».
C’est donc à contrecœur que les médias acceptèrent d’effectivement « passer à autre chose », sans toutefois pour autant ranger la controverse dans la filière des « affaires classées ». Car ils ont été plusieurs, eux aussi, à afficher leur certitude qu’il manquait encore certaines pièces du puzzle. Tellement que certains commentateurs politiques n’eurent aucune hésitation à lancer une invitation à peine déguisée à ceux qui sont au parfum de sortir de l’ombre afin de faire toute la lumière sur l’affaire.
« Les réponses de M. Boisclair ne satisfont peut-être pas les médias, mais on ne pourra pas continuer pendant deux mois à poser les mêmes questions sans nouveaux éléments », écrivait M. Vincent Marissal dans La Presse du 20 septembre 2005. « À moins que d’autres informations soient publiées indiquant que ses plus récentes déclarations ne sont pas exactes, on ne devrait pas en demander davantage à M. Boisclair », de surenchérir la même journée M. André Pratte en page éditoriale de La Presse.
Au Journal de Montréal, c’est sur un ton défiant que le journaliste Yves Chartrand prédit que l’affaire Boisclair est encore loin d’être enterrée. « Le public devra s’y résigner », écrit M. Chartrand. « Qu’ils le désirent ou non, les journalistes vont tout faire dans les prochaines semaines pour qu’il sache la vérité, toute la vérité, sur sa nouvelle coqueluche en politique et sur son passé enfariné de cocaïne. Car ici, ce n’est plus de vie privée dont il est question, mais bien d’intérêt public. » (24)
Une position que partage M. Alain Gravel, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Selon lui, les journalistes sont pleinement justifiés « d’aller au fond des choses », et ce, « en raison des fonctions que cette personne recherche et des fonctions qu’elle exerçait lorsqu’elle a consommé ».
Le silence explicable de La Presse
À première vue, la tempête médiatique qui s’est abattue sur M. Boisclair à la mi-septembre pourrait donner l’impression à certains que le journalisme québécois est en train de se donner des allures inquisitoriales.
Or, les apparences sont définitivement trompeuses dans le cas qui nous occupe. Quand on examine attentivement la couverture médiatique, on constate plutôt à quel point les journaux y sont allés à reculons et ont traité cette information explosive en mettant des gants blancs à double épaisseur.
Ainsi, une semaine avant que l’affaire Boisclair éclate au grand jour, le journaliste Michel David révélait dans les pages du Devoir que La Presse avait littéralement censuré un passage d’un article du journaliste Denis Lessard paru le 18 juin 2005 dans lequel il était fait allusion à la consommation de cocaïne de M. Boisclair à l’époque où il occupait des fonctions de ministre dans le gouvernement péquiste alors dirigé par M. Lucien Bouchard. (26)
L’article en question avait été publié dans les quotidiens La Presse, de Montréal, Le Droit, de Gatineau, Le Nouvelliste, de Trois-Rivières, et La Voix de l’Est, journaux qui ont tous comme point en commun d’appartenir au groupe Gesca, une filiale de la multinationale Power Corporation.
La principale différence entre la version de l’article de M. Lessard qui a été publiée dans La Presse et dans les trois autres quotidiens régionaux tient dans une simple petite phrase :
« Cocaïne, excès d’alcool, fins de semaine exaltées au terme desquelles on ne sait plus où se trouve l’auto qu’on a louée... »
La Presse a délibérément charcuté ce passage de l’article de M. Lessard dans son édition du 18 juin 2005, page A3. On remarquera que dans l’édition du journal Le Droit paru la même journée, on a adopté une approche totalement différente. Le thème de la cocaïne fut clairement mis en évidence, le journal Le Droit choisissant de reprendre le même passage censuré par La Presse pour en faire le titre même de l’article paru en page 3 : « Cocaïne, excès d’alcool et fins de semaines exaltées ».
Le fait qu’un quotidien d’allégeance ouvertement fédéraliste comme La Presse ménage la réputation du candidat favori dans la course à la chefferie du principal parti souverainiste québécois laisse pour le moins perplexe. Il n’en fallait pas plus pour qu’un des adversaires de M. Boisclair dans la course à la direction du PQ, le député de l’Assomption M. Jean-Claude Saint-André, accuse ce dernier d’être « l’homme de Gesca ».
Depuis, beaucoup d’articles ont été écrits dans La Presse sur l’affaire Boisclair. Mais le quotidien ne s’est jamais expliqué sur son étrange silence en juin. Il y a forcément une explication logique à cette décision éditoriale de censurer ce passage précis de l’article. Et cette explication ne peut être que politique.
D’entrée de jeu, on peut exclure que la décision de La Presse puisse avoir reposé sur le principe que l’affaire n’était pas d’intérêt public et qu’elle ne regardait que la vie privée de M. Boisclair.
Dans son édition du 20 septembre 2005, publiée le jour suivant les semi-aveux de M. Boisclair, le même quotidien qui avait censuré une simple référence à la consommation de cocaïne de M. Boisclair consacra pas moins de cinq pages à cette affaire. Quatre chroniqueurs politiques de La Presse (Vincent Marissal, Yves Boisvert, Lysianne Gagnon, Pierre Foglia) offrirent tour à tour leur opinion sur l’affaire, sans oublier l’éditorial d’André Patte, le tout dans la même édition de La Presse. L’affaire Boisclair était subitement devenue d’intérêt public…
La Presse a décidé de ne pas en parler en juin. Mais ça ne veut pas dire pour autant que le quotidien avait décidé de garder le silence ad vitam eternam. Ça veut peut-être tout simplement dire que La Presse attendait un meilleur moment pour faire éclater l’affaire. Un peu comme quand on a une carte maîtresse dans son jeu, on attend stratégiquement le bon moment pour la jouer contre l’adversaire. Question d’en tirer le maximum.
Ainsi, si cette affaire était sortie en fin de course, elle aurait pu être beaucoup plus dommageable pour sa campagne. M. Boisclair peut donc s’estimer chanceux.
Quoique audacieuse, cette théorie pourrait néanmoins expliquer le silence initial de La Presse, de même que le silence plus persistant des libéraux de Charest. Les forces fédéralistes au Québec ont-elles intérêts à ce que le Parti Québécois se donne un leader vulnérabilisé, qui se promène avec une épée de Damoclès qui plane au-dessus de sa tête partout où il va ? Poser la question, c’est y répondre.
Il ne faut donc pas voir dans ce silence un renoncement à exploiter le passé compromettant de M. Boisclair. Peut-être, au contraire, souhaitait-on plutôt attendre le moment où ça ferait le plus mal : lors d’une élection générale où M. Boisclair aurait à diriger les troupes péquistes dans la bataille contre le régime Charest. Ou peut-être même lors d’un éventuel référendum sur la souveraineté, tandis qu’on y est.
« Les libéraux vont le ramasser là-dessus. Ils attendent leur heure », prédis d’ailleurs l’ex-député bloquiste Ghislain Lebel, un des neuf candidats à la succession de M. Landry. Selon lui, ce n’est qu’une question de temps avant que le Parti libéral du Québec ne fasse ses choux gras du passé de fêtard de M. Boisclair. (27)
Dans cette perspective, il n’y avait donc rien qui pressait pour les ennemis du PQ de sortir l’affaire Boisclair du garde-robe. Surtout qu’il pourrait y avoir bien plus que M. Boisclair n’a voulu n’en dire.
Sources :
(14) La Presse, « Boisclair perd patience », par Tommy Chouinard, 21 septembre 2005.
(15) Idem.
(16) Le Devoir, « Cocaïne : Boisclair avoue—Il reconnaît avoir “consomm? quand il était ministre », par Kathleen Lévesque et Antoine Robitaille, 20 septembre 2005.
(17) Journal de Montréal, « Sa nouvelle drogue : le pouvoir », par Jean Laroche, 21 septembre 2005.
(18) Presse Canadienne, « Les aveux d’André Boisclair restent flous, selon Mario Dumont », 21 septembre 2005.
(19) Le Devoir, « Boisclair et la cocaïne : une affaire privée, dit Dumont », par Robert Dutrisac, 4 octobre 2005.
(20) Presse Canadienne, « Gilles Duceppe tente d'atténuer ses propos sur André Boisclair », 26 septembre 2005, à 17h31 HAE.
(21) Le Devoir, « La ciguë du PQ », par Michel David, 1er octobre 2005.
(22) Le Devoir, « Boisclair se tait et reste », par Robert Dutrisac et Kathleen Lévesque, 21 septembre 2005.
(23) Presse Canadienne, « Yves Michaud propose à André Boisclair de réfléchir à son avenir », 21 septembre 2005, à 18h17.
(24) Journal de Montréal, « La mince ligne blanche », par Yves Chartrand, 24 septembre 2005.
(25) Le Devoir, « La langue sale », par Michel David, 10 septembre 2005.
(26) La Presse, « Boisclair embarrassé », par Denis Lessard et Nicolas Saint-Pierre, 17 septembre 2005.
(27) Le Devoir, « La ciguë du PQ », par Michel David, 1er octobre 2005.
(précédent)
Ceux qui se sont employés à faire le procès des médias semblent oublier que M. Boisclair a lui-même contribué à son propre malheur en gérant de façon désastreuse la controverse sur sa consommation de cocaïne. Ainsi, le vendredi 16 septembre 2005, lorsqu’il fut confronté publiquement pour la première fois sur son usage de cocaïne, M. Boisclair avait refusé de répondre directement à la question, en se réfugiant derrière des clichés et des phrases évasives [« …j’ai vécu ma jeunesse comme bien d’autres… »].
Plus à l’aise dans le rôle de la victime plutôt que dans celui du politicien repentant, M. Boisclair prétendit que plusieurs des allégations portées à son égard étaient fausses. Mais lorsqu’un reporter lui demanda s’il niait avoir pris de la cocaïne lorsqu’il était ministre, M. Boisclair mit abruptement fin au point de presse qu’il était en train de donner, sans autre cérémonie !
Bref, celui qui prétend aujourd’hui vouloir « faire mieux » que M. René Lévesque a purement et simplement déserté le champ de bataille des relations publiques. Il veut être le leader, mais il a agit comme un authentique loser. Et dire que le même Boisclair était allé jusqu’à Boston pour suivre des cours en leadership…
Comment peut-il avoir par la suite le culot de se plaindre que les médias sont en train de porter « préjudice à sa réputation »—déclaration qui s’apparente à une menace voilée de poursuite au civil pour diffamation—alors que c’est lui, et personne d’autre, qui négligea de saisir l’occasion que les médias lui offraient de passer son propre message ?
En agissant de la sorte, M. Boisclair a ainsi adopté l’attitude coupable de celui qui se défile brusquement, celui qui fuit les questions par peur de s’auto-incriminer. Ce faisant, il a agi comme un parfait imbécile, car il a laissé la place à toutes les rumeurs provenant souvent de sources non-identifiées.
Deux jours plus tard, après le fiasco du point de presse du 16 septembre, lors du lancement officiel de sa campagne au Spectrum de Montréal, M. Boisclair rata une autre occasion de rectifier le tir en refusant de rencontrer les journalistes. En fait, il a passé toute la fin de semaine à éviter les journalistes, comme si la controverse, maintenant devenue le sujet de l’heure, allait disparaître comme par enchantement du fait qu’il refusait lui-même d’en reconnaître l’existence.
C’était là un très mauvais calcul de sa part car, en l’absence de réponse, les médias ont fait toute une histoire autour de l’absence de réponse, justement, du candidat Boisclair.
Par ailleurs, M. Boisclair peut difficilement plaider l’effet surprise et prétendre qu’il ne l’avait pas vu venir. Car, non seulement sa consommation de coke faisait-elle l’objet de rumeurs depuis plusieurs années dans les milieux politiques, mais en plus, comme nous le verrons ci-dessous, elle avait même déjà été évoquée par trois quotidiens du groupe Gesca dans un article paru à la mi-juin.
Trois mois ont donc pu s’écouler entre le moment de la première fuite médiatique et celui du point de presse du 16 septembre. Conséquemment, M. Boisclair et ses attachés de presse ne pouvaient ignorer le risque bien réel que, tôt ou tard, cette affaire finisse par rebondir. L’aspirant à la succession de M. Landry et son équipe ont donc eu le loisir, durant tout l’été, de réfléchir à la ligne de presse qu’il y aurait à adopter advenant le cas où les médias en viendraient à s’emparer de l’affaire.
M. Boisclair aurait pu facilement tuer la controverse dans l’œuf en mettant au clair et ce, dès le début, que cette consommation n’avait été qu’occasionnelle. Par exemple, il aurait pu très bien tirer son épingle du jeu en donnant un ordre de grandeur, genre : « Ben oui, j’en ai fait deux ou trois fois par année. Au party de noël, à ma fête et à la Saint-Jean. Mais j’ai tout arrêté depuis X nombre d’années. »
En répondant de cette façon, la consommation de M. Boisclair serait alors apparue plutôt anodine et sans grand intérêt. Et si les journalistes avaient insisté, il aurait alors pu s’adresser à eux en leur répondant : « Coudon’, vous me ferez quand même pas accroire que ça sniffe pas dans vos partys à vous autres ! ». Voilà qui en aurait sans doute enlevé l’envie à la meute journalistique d’approfondir le sujet…
Seulement, M. Boisclair nous a plutôt offert un tout autre spectacle. L’affaire avait désormais pris une ampleur démesurée dans les médias et il en était le principal responsable.
Le 19 septembre, au bout de trois journées d’intense pression médiatique, M. Boisclair fut contraint de se rendre à l’évidence qu’il n’avait d’autre choix que celui de procéder à des aveux, qui prirent davantage la forme de semi-aveux.
Devant les journalistes, il reconnut avoir consommé à « quelques reprises », avoir fait « des excès » et des choses qu’il regrette et d’avoir vécu des « moments plus difficiles » dans sa vie, sans toutefois prononcer, ne serait-ce qu’une fois, le mot « cocaïne ».
Par ailleurs, on notera que M. Boisclair a également affirmé être aujourd’hui rendu « ailleurs » dans sa vie. « Ailleurs » ? À l’écouter parler de la sorte, on croirait entendre un ancien accro. Quelqu’un qui, autrefois, aurait été dans la dope jusqu’au cou, mais qui, aujourd’hui, a tiré un trait définitif sur son passé. Faisant en sorte qu’il peut désormais affirmer qu’il est « ailleurs » dans sa vie aujourd’hui.
Mais quelqu’un qui aurait sniffé à l’occasion, sans toutefois développer quelque problème de consommation que ce soit, s’exprimerait-il ainsi ? Quelqu’un qui n’aurait jamais touché le fond dirait-il qu’il est aujourd’hui « ailleurs » dans sa vie ?
En choisissant de tels mots pour faire office de mea culpa, on ne peut faire autrement que de se poser la question : mais alors d’où revient-il, s’il est aujourd’hui rendu « ailleurs » dans sa vie ? Une question étrange à poser puisque, comme on le sait, l’auteur de ces paroles consacra la majeure partie de sa vie adulte en tant qu’élu à l’Assemblée nationale.
En 1989, à l’âge de seulement 23 ans, M. Boisclair fut élu pour la première fois député du comté de Gouin, un poste qu’il conserva sans interruption jusqu’à l’été 2004, où il décida de se retirer temporairement de la politique pour aller étudier à la John F. Kennedy School of Government, affiliée à l’Université Harvard, à Boston. Puis, en 1995, à l’âge de 29 ans, M. Boisclair accède pour la première fois au Conseil des ministres, où il siégera jusqu’à la défaite du Parti Québécois, alors dirigé par Bernard Landry, lors des élections québécoises d’avril 2003.
C’est donc dire que durant 15 des 16 années plus récentes années de sa vie, M. Boisclair était littéralement plongé, tête sous l’eau, dans la grande mare de la politique. Enfin, c’est ce qu’on avait réussi à nous faire croire jusqu’à présent. Car on sait aujourd’hui que M. Boisclair a aussi été « ailleurs », durant une période indéterminée de sa vie.
Quand il dit être rendu « ailleurs » dans sa vie, veut-il dire qu’à certains moments il n’a pas été « tout’ là » par le passé ?
C’est pourtant le même André Boisclair qui a nié avoir connu des problèmes de consommation. Mais pourquoi faudrait-il le croire ? À cause de cette réaction initiale, il devient plus difficile d’avaler l’idée qu’il s’agissait là d’une affaire anodine, d’un « détail » de sa vie personnelle. En fait, on est plutôt tenté de penser qu’on vient de toucher à un nerf très sensible. À quelque chose de peut-être pas très joli.
Et si André Boisclair nous cacherait que, loin d’être anodine, sa consommation lui a fait développer des problèmes de dépendance, ou autres, à une certaine époque de sa vie ? Ainsi, la façon dont M. Boisclair a géré toute cette controverse ne fait qu’accréditer les pires soupçons.
Dans un pareil contexte, on comprend que de nombreux journalistes soient restés sur leur faim. Le lendemain de sa semi-confession, les médias continuaient de talonner le candidat Boisclair en quête d’aveux plus complets. Cette fois-ci, M. Boisclair a déclaré : « J’ai répondu à l’ensemble des questions qui m’avaient été posées. Je l’ai fait dans le calme et la sérénité. Et je fais le choix pour le moment d’en arrêter là. » (14)
Voilà une autre déclaration qui ne peut se passer de commentaires. Ainsi, dans une tentative désespérée de mettre derrière lui cette embarrassante affaire, M. Boisclair prétend maintenant avoir répondu à toutes les questions entourant cette affaire. Pardon ? M. Boisclair était peut-être encore « ailleurs » lorsqu’il a refusé de répondre à un journaliste qui lui avait demandé à quand remontait la dernière ligne qu’il avait sniffé.
Après avoir tenté d’induire tout le monde en erreur en parlant de « frasques de jeunesse » avant de reconnaître qu’il siégeait au Conseil des ministres au moment où il a consommé—faisant en sorte qu’il peut difficilement plaider une quelconque forme d’immaturité de sa part—voilà que M. Boisclair se met à recourir au mensonge, ni plus ni moins !
Faut-il rappeler à M. Boisclair que la durée et la fréquence de sa consommation sont des questions qui demeurent toujours sans réponses ? Par ailleurs, on ignore toujours tout de la méthode d’approvisionnement en cocaïne de M. Boisclair : a -t-il payé de sa poche la coke qu’il a prise ou lui était-elle gracieusement offerte sur un plateau d’argent par de généreux amis, comme M. Doray par exemple ?
Des journalistes, des éditorialistes ou de simples membres du public ont aussi soulevé d’autres questions tout aussi pertinentes, mais qui demeurent encore en suspens. Les dirigeants du parti sont-ils intervenus pour lui dire d’arrêter ou ont-ils fait preuve d’indulgence à son égard ? Y a-t-il eu une enquête policière ? Existe-t-il un quelconque danger que des éléments de son passé de consommateur reviennent le hanter ? Y a-t-il des individus du milieu interlope qui pourrait faire pression sur celui qui se retrouvera vraisemblablement dans un important poste de pouvoir ?
Chose certaine, M. Boisclair est encore loin d’avoir effectivement répondu à toutes les questions. D’ailleurs, lorsqu’il dit lui-même avoir fait «.le choix pour le moment d’en arrêter là », le candidat à la succession de M. Landry reconnaît implicitement qu’il n’a pas tout dit. Qu’à cela ne tienne, M. Boisclair insiste pour « passer à autre chose », sans pour autant avoir fait l’effort de vider tout son sac.
C’est d’ailleurs ce que laissait entendre l’ex-ministre péquiste François Gendron lors d’une conférence de presse, survenue la même journée, où il formalisa son appui au camp du candidat Richard Legendre. « S’il reste des choses à nettoyer, ça lui appartient. Et je souhaiterais qu’il les nettoie lui-même », lança M. Gendron. « Il lui appartient pour sa carrière de tout dire ce qui concerne cette situation qui est devenue publique. » (15)
Intervention sincère ou tentative de salissage de la part d’un camp « soucieux de sa situation dans les sondages » ? Membre de l’Assemblée nationale depuis 1976, M. Gendron n’est pourtant pas le dernier venu. En tant que doyen des députés péquistes, M. Gendron ne correspond guère au profil du politicien sans scrupules capable de faire primer de vulgaires considérations partisanes au détriment des intérêts supérieurs du Parti et de la cause souverainiste.
Doivent-ils continuer
à lui tirer les vers de nez ?
Néanmoins, la stratégie de M. Boisclair, consistant à livrer une confession au compte-goutte souleva un nouveau débat public : le candidat à la direction du PQ peut-il s’arrêter à mi-chemin dans son déballage ou doit-il faire toute la lumière sur sa consommation de coke sans autre délai ?
Plusieurs personnalités politiques québécoises furent appelées à se prononcer sur la question. C’est alors qu’on assista à un curieux phénomène : à quelques exceptions près, ceux-là mêmes qui prétendirent que le candidat Boisclair devait aller jusqu’au bout dans le dossier cocaïne firent eux-mêmes marche arrière peu de temps après.
Pour commencer, la même journée que le candidat vedette avouait sa consommation, l’ancien ministre péquiste et ex-cocaïnomane, M. Jean-François Bertrand, déclarait au Journal de Montréal que la franchise était la meilleure porte de sortie pour M. Boisclair. « Je crois que ça aurait dû être dit dès le départ plutôt que de s’en remettre aux frasques de jeunesse qui est une expression qui est un peu trop facile », a indiqué M. Bertrand. (16)
Mais le lendemain, M. Bertrand offrait un tout autre discours. « C’était pertinent de poser des questions sur cette histoire », dit-il, « mais, maintenant qu’il a fourni des réponses satisfaisantes, on doit retourner à la campagne pour la direction du Parti Québécois. Il y a des choses qu’on a pas besoin de savoir », laissa-t-il tomber. (17)
Puis, la même journée, lors d’un passage à Moncton, le chef de l’Action démocratique du Québec [ADQ], M. Mario Dumont, affirmait qu’il n’appartenait pas à M. Boisclair de juger que la page était tournée, alors qu’« il reste bien des questions ». Selon lui, les aveux de M. Boisclair sont maladroits et flous. (18)
Or, durant la première semaine du mois d’octobre, M. Dumont changea soudainement son fusil d’épaule dans une entrevue au Devoir. Le chef adéquiste a alors prétendu que M. Boisclair n’avaient plus à répondre de rien ! « Comme n’importe quel autre politicien, on peut décider qu’en matière de vie privée, jusque-là on en parle, puis, à partir de là, on ne donne plus de réponse, ce qu’on ne peut pas faire lorsqu’on parle de la gestion d’un ministère », dit maintenant M. Dumont. (19)
Enfin, une dépêche de l’agence Presse Canadienne rapportait que le leader du Bloc Québécois, M. Gilles Duceppe, avait fait la déclaration suivante lors d’une entrevue à Radio Canada, le 25 septembre : « On ne peut pas, en politique, exclure des choses comme ça. On doit faire face à la musique. Dès lors qu’est posé un geste criminel—on ne peut pas acheter ça au dépanneur du coin!—, cela devient d’intérêt public ». (20)
Puis, —surprise !— le lendemain, à Ottawa, M. Duceppe « s’est empressé de remettre le couvercle sur la marmite », pour reprendre l’expression utilisée dans la dépêche de Presse Canadienne, selon qui « le chef du Bloc québécois… s’est retrouvé dans ses petits souliers, lundi, après avoir invité André Boisclair, la veille, à lever entièrement le voile sur sa consommation de cocaïne à l’époque où il était ministre,».
En effet, à sa sortie de la Chambre des communes, M. Duceppe, qui avait lui-même été pressenti pour succéder à M. Bernard Landry au printemps dernier, déclara alors aux journalistes : « On m’a demandé si c’était du domaine privé ou public, j’ai dit public. On m’a demandé si M. Boisclair devait répondre aux questions, j’ai dis oui. M. Boisclair a répondu aux questions et moi ça me va. (…) M. Boisclair n’est pas pour se mettre de la cendre sur la tête jusqu’à la fin de ses jours ! Il est temps de passer à autre chose ».
Le journaliste Michel David du Devoir a avancé une explication pouvant éclairer le revirement plutôt singulier de M. Duceppe. Selon lui, « les nombreux députés du Bloc qui ont rejoint le camp Boisclair n’avaient pas beaucoup apprécié les remarques de leur chef. » Bien entendu, le tabou persistant entourant la consommation de cocaïne en milieu politique a également joué en faveur du candidat Boisclair, ce qui explique pourquoi les politiciens, toutes tendances confondues, furent si peu nombreux à l’avoir ouvertement interpellé. (21)
Même l’influent député de Rousseau et ex-ministre péquiste François Legault, supporter de la première heure de la candidature de M. Richard Legendre, est intervenu publiquement pour supplier les médias de changer de disque. « Tout ce dont on parle, c’est de la consommation de coke d’André Boisclair… », a déploré M. Legault. « C’est même difficile pour les autres candidats… », a-t-il ajouté, avant de conclure, sur un ton catégorique : « Je pense que c’est très mauvais pour le Parti québécois et pour la cause… » (22)
L’ancien ministre libéral Yvon Picotte, aujourd’hui président de l’Action Démocratique du Québec, fut l’une des rares personnalités politiques à avoir fait preuve de constance dans ses critiques à l’égard du manque de transparence du candidat Boisclair. M. Picotte, qui avait sombré dans l’alcoolisme alors qu’il siégeait comme député de l’opposition, sait de quoi il parle en matière de toxicomanie puisqu’il dirige aujourd’hui le Pavillon du nouveau point de vue, le même centre de désintoxication où l’ex-député péquiste Gilles Baril avait accompli sa cure.
Du côté des forces souverainistes, seul le vétéran Yves Michaud a fait ce que personne d’autre au PQ n’avait osé faire ouvertement : il invita M. Boisclair à réfléchir sur son avenir politique « en tenant compte de l’intérêt du parti, de l’intérêt général » et dans l’intérêt du projet d’indépendance nationale. (23)
Le silence des libéraux de Charest et des adversaires de M. Boisclair dans la course à la chefferie pourrait aussi s’expliquer par un autre facteur. Malgré sa performance aussi maladroite que malhonnête, M. Boisclair a réussi l’étonnant tour de force de faire une spectaculaire remontée dans les sondages après sa confession (peut-être que les sondages sont-ils « cokés » eux aussi ?).
Par ailleurs, le fait que l’exploitation de l’affaire par les médias soit devenue suspecte chez de nombreux membres du public, contribua assurément au capital de sympathie dont a bénéficié M. Boisclair. Ainsi, pour une classe politique dopée aux sondages, il était devenu clair qu’il n’était pas payant politiquement de faire la vie dure à M. Boisclair au sujet de ses soi-disantes « erreurs de jeunesse ».
C’est donc à contrecœur que les médias acceptèrent d’effectivement « passer à autre chose », sans toutefois pour autant ranger la controverse dans la filière des « affaires classées ». Car ils ont été plusieurs, eux aussi, à afficher leur certitude qu’il manquait encore certaines pièces du puzzle. Tellement que certains commentateurs politiques n’eurent aucune hésitation à lancer une invitation à peine déguisée à ceux qui sont au parfum de sortir de l’ombre afin de faire toute la lumière sur l’affaire.
« Les réponses de M. Boisclair ne satisfont peut-être pas les médias, mais on ne pourra pas continuer pendant deux mois à poser les mêmes questions sans nouveaux éléments », écrivait M. Vincent Marissal dans La Presse du 20 septembre 2005. « À moins que d’autres informations soient publiées indiquant que ses plus récentes déclarations ne sont pas exactes, on ne devrait pas en demander davantage à M. Boisclair », de surenchérir la même journée M. André Pratte en page éditoriale de La Presse.
Au Journal de Montréal, c’est sur un ton défiant que le journaliste Yves Chartrand prédit que l’affaire Boisclair est encore loin d’être enterrée. « Le public devra s’y résigner », écrit M. Chartrand. « Qu’ils le désirent ou non, les journalistes vont tout faire dans les prochaines semaines pour qu’il sache la vérité, toute la vérité, sur sa nouvelle coqueluche en politique et sur son passé enfariné de cocaïne. Car ici, ce n’est plus de vie privée dont il est question, mais bien d’intérêt public. » (24)
Une position que partage M. Alain Gravel, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Selon lui, les journalistes sont pleinement justifiés « d’aller au fond des choses », et ce, « en raison des fonctions que cette personne recherche et des fonctions qu’elle exerçait lorsqu’elle a consommé ».
Le silence explicable de La Presse
À première vue, la tempête médiatique qui s’est abattue sur M. Boisclair à la mi-septembre pourrait donner l’impression à certains que le journalisme québécois est en train de se donner des allures inquisitoriales.
Or, les apparences sont définitivement trompeuses dans le cas qui nous occupe. Quand on examine attentivement la couverture médiatique, on constate plutôt à quel point les journaux y sont allés à reculons et ont traité cette information explosive en mettant des gants blancs à double épaisseur.
Ainsi, une semaine avant que l’affaire Boisclair éclate au grand jour, le journaliste Michel David révélait dans les pages du Devoir que La Presse avait littéralement censuré un passage d’un article du journaliste Denis Lessard paru le 18 juin 2005 dans lequel il était fait allusion à la consommation de cocaïne de M. Boisclair à l’époque où il occupait des fonctions de ministre dans le gouvernement péquiste alors dirigé par M. Lucien Bouchard. (26)
L’article en question avait été publié dans les quotidiens La Presse, de Montréal, Le Droit, de Gatineau, Le Nouvelliste, de Trois-Rivières, et La Voix de l’Est, journaux qui ont tous comme point en commun d’appartenir au groupe Gesca, une filiale de la multinationale Power Corporation.
La principale différence entre la version de l’article de M. Lessard qui a été publiée dans La Presse et dans les trois autres quotidiens régionaux tient dans une simple petite phrase :
« Cocaïne, excès d’alcool, fins de semaine exaltées au terme desquelles on ne sait plus où se trouve l’auto qu’on a louée... »
La Presse a délibérément charcuté ce passage de l’article de M. Lessard dans son édition du 18 juin 2005, page A3. On remarquera que dans l’édition du journal Le Droit paru la même journée, on a adopté une approche totalement différente. Le thème de la cocaïne fut clairement mis en évidence, le journal Le Droit choisissant de reprendre le même passage censuré par La Presse pour en faire le titre même de l’article paru en page 3 : « Cocaïne, excès d’alcool et fins de semaines exaltées ».
Le fait qu’un quotidien d’allégeance ouvertement fédéraliste comme La Presse ménage la réputation du candidat favori dans la course à la chefferie du principal parti souverainiste québécois laisse pour le moins perplexe. Il n’en fallait pas plus pour qu’un des adversaires de M. Boisclair dans la course à la direction du PQ, le député de l’Assomption M. Jean-Claude Saint-André, accuse ce dernier d’être « l’homme de Gesca ».
Depuis, beaucoup d’articles ont été écrits dans La Presse sur l’affaire Boisclair. Mais le quotidien ne s’est jamais expliqué sur son étrange silence en juin. Il y a forcément une explication logique à cette décision éditoriale de censurer ce passage précis de l’article. Et cette explication ne peut être que politique.
D’entrée de jeu, on peut exclure que la décision de La Presse puisse avoir reposé sur le principe que l’affaire n’était pas d’intérêt public et qu’elle ne regardait que la vie privée de M. Boisclair.
Dans son édition du 20 septembre 2005, publiée le jour suivant les semi-aveux de M. Boisclair, le même quotidien qui avait censuré une simple référence à la consommation de cocaïne de M. Boisclair consacra pas moins de cinq pages à cette affaire. Quatre chroniqueurs politiques de La Presse (Vincent Marissal, Yves Boisvert, Lysianne Gagnon, Pierre Foglia) offrirent tour à tour leur opinion sur l’affaire, sans oublier l’éditorial d’André Patte, le tout dans la même édition de La Presse. L’affaire Boisclair était subitement devenue d’intérêt public…
La Presse a décidé de ne pas en parler en juin. Mais ça ne veut pas dire pour autant que le quotidien avait décidé de garder le silence ad vitam eternam. Ça veut peut-être tout simplement dire que La Presse attendait un meilleur moment pour faire éclater l’affaire. Un peu comme quand on a une carte maîtresse dans son jeu, on attend stratégiquement le bon moment pour la jouer contre l’adversaire. Question d’en tirer le maximum.
Ainsi, si cette affaire était sortie en fin de course, elle aurait pu être beaucoup plus dommageable pour sa campagne. M. Boisclair peut donc s’estimer chanceux.
Quoique audacieuse, cette théorie pourrait néanmoins expliquer le silence initial de La Presse, de même que le silence plus persistant des libéraux de Charest. Les forces fédéralistes au Québec ont-elles intérêts à ce que le Parti Québécois se donne un leader vulnérabilisé, qui se promène avec une épée de Damoclès qui plane au-dessus de sa tête partout où il va ? Poser la question, c’est y répondre.
Il ne faut donc pas voir dans ce silence un renoncement à exploiter le passé compromettant de M. Boisclair. Peut-être, au contraire, souhaitait-on plutôt attendre le moment où ça ferait le plus mal : lors d’une élection générale où M. Boisclair aurait à diriger les troupes péquistes dans la bataille contre le régime Charest. Ou peut-être même lors d’un éventuel référendum sur la souveraineté, tandis qu’on y est.
« Les libéraux vont le ramasser là-dessus. Ils attendent leur heure », prédis d’ailleurs l’ex-député bloquiste Ghislain Lebel, un des neuf candidats à la succession de M. Landry. Selon lui, ce n’est qu’une question de temps avant que le Parti libéral du Québec ne fasse ses choux gras du passé de fêtard de M. Boisclair. (27)
Dans cette perspective, il n’y avait donc rien qui pressait pour les ennemis du PQ de sortir l’affaire Boisclair du garde-robe. Surtout qu’il pourrait y avoir bien plus que M. Boisclair n’a voulu n’en dire.
Sources :
(14) La Presse, « Boisclair perd patience », par Tommy Chouinard, 21 septembre 2005.
(15) Idem.
(16) Le Devoir, « Cocaïne : Boisclair avoue—Il reconnaît avoir “consomm? quand il était ministre », par Kathleen Lévesque et Antoine Robitaille, 20 septembre 2005.
(17) Journal de Montréal, « Sa nouvelle drogue : le pouvoir », par Jean Laroche, 21 septembre 2005.
(18) Presse Canadienne, « Les aveux d’André Boisclair restent flous, selon Mario Dumont », 21 septembre 2005.
(19) Le Devoir, « Boisclair et la cocaïne : une affaire privée, dit Dumont », par Robert Dutrisac, 4 octobre 2005.
(20) Presse Canadienne, « Gilles Duceppe tente d'atténuer ses propos sur André Boisclair », 26 septembre 2005, à 17h31 HAE.
(21) Le Devoir, « La ciguë du PQ », par Michel David, 1er octobre 2005.
(22) Le Devoir, « Boisclair se tait et reste », par Robert Dutrisac et Kathleen Lévesque, 21 septembre 2005.
(23) Presse Canadienne, « Yves Michaud propose à André Boisclair de réfléchir à son avenir », 21 septembre 2005, à 18h17.
(24) Journal de Montréal, « La mince ligne blanche », par Yves Chartrand, 24 septembre 2005.
(25) Le Devoir, « La langue sale », par Michel David, 10 septembre 2005.
(26) La Presse, « Boisclair embarrassé », par Denis Lessard et Nicolas Saint-Pierre, 17 septembre 2005.
(27) Le Devoir, « La ciguë du PQ », par Michel David, 1er octobre 2005.