L'affaire Doray

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Affaire Boisclair -partie 3

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Le 12 février 2001, M. Luc Doray a reconnu devant la Cour du Québec avoir fraudé le gouvernement de 33 000$ à l’époque où il était directeur de cabinet de M. André Boisclair, alors ministre délégué à l’Immigration et aux Relations avec les citoyens. En plaidant coupable, M. Doray évitait la tenue d’un procès qui aurait pu s’avérer fort gênant pour le gouvernement péquiste, alors dirigé par M. Bernard Landry.

M. Doray a avoué avoir falsifié à répétition son compte de dépenses pour entretenir sa coûteuse dépendance à la cocaïne et à l’alcool. À la suite de son plaidoyer de culpabilité, le juge Claude Parent l’avait condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis—une peine à purger dans la communauté—, ainsi qu’à deux ans de probation, à payer une amende de 4000$, à accomplir 150 heures de travaux communautaires et à rembourser une somme totalisant de 29 500$ à raison de 500$ par mois.

Aujourd’hui âgé de 50 ans, M. Doray a commencé à s’impliquer en politique dès l’âge de 15 ans avant de devenir haut fonctionnaire à la Ville de Montréal. En 1991, il a coordonné le Troisième Sommet des grandes villes du monde à l’époque où il était employé au Secrétariat des Affaires internationales de la Ville de Montréal sous l’administration du maire Jean Doré.

M. Doray était aussi reconnu pour être un militant péquiste très actif dans Montréal-Centre. Lors du retour du Parti Québécois au pouvoir, en 1994, il fut « prêté par la Ville au gouvernement du Québec » pendant quatre ans, jusqu’à son congédiement, à l’automne 1998.

M. Doray a occupé ces quatre années en exerçant tout d’abord les fonctions de directeur de cabinet, de 1994 à 1996, pour la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Mme Louise Harel, qui est aujourd’hui leader intérimaire du PQ. Puis, de 1996 à 1998, M. Doray occupe la même fonction, cette fois-ci au cabinet de M. André Boisclair, alors ministre délégué à l’Immigration et aux Relations avec les citoyens.

L’affaire Doray a été évoquée pour la première fois à l’intérieur de l’Assemblée nationale lors de la période des questions du 15 avril 1999. La députée libérale Nicole Loiselle demandait alors à M. André Boisclair, devenu depuis ministre à la Solidarité Sociale, s’il avait autorisé le compte de dépenses de M. Doray à l’époque où il était ministre à l’Immigration et aux Relations avec les Citoyens.

M. Boisclair avait répondu non, en disant qu’il avait « suivi la pratique qui était en vigueur, qui remonte à juin 1991 ». Ce fut la seule fois où M. Boisclair fut interpellé par l’opposition en rapport avec cette affaire.

L’opposition libérale est ensuite revenue sur l’affaire Doray lors des périodes de question des 20 et 21 avril suivant. On y apprenait alors qu’une enquête de la Sûreté du Québec, qui avait débuté en juillet 1998, a été complétée le 12 décembre suivant. Le dossier a ensuite été transmis à la Couronne pour qu’un procureur examine la preuve et prenne une décision. Puis, le 13 avril 1999, une plainte criminelle a été autorisée par la Couronne.

Au printemps de 1999, M. Doray est formellement inculpé de trois chefs d’accusation criminels concernant des fraudes touchant « une somme d’argent dépassant 5000 $ entre le 29 septembre 1994 et le 7 mai 1998 ». L’acte d’accusation précise que M. Doray, « sachant que des documents étaient contrefaits, soit : plusieurs reçus provenant de divers restaurants, s’en est servi, les a traités ou a agi à leur égard comme si ces documents étaient authentiques ». (10)

Sur une période d’un an, M. Doray avait effectué 152 réclamations totalisant 17 000 $ pour diverses dépenses douteuses, notamment : une facture de repas de 374 $ d’une entreprise qui ne sert aucun repas ; deux factures totalisant la somme de 380 $ dans un casse-croûte ; 5 800 $ pour 34 repas pris dans un bistro ; et la production d’un bail avec une adresse qui était inexistante, afin de réclamer 540 $ par mois.

Malgré les procédures criminelles entreprises contre lui, M. Doray a néanmoins pu conserver sa job de haut fonctionnaire à la Ville de Montréal, qui lui rapporte environ 77 000$ par année.

M. Doray avait attribué ses problèmes de consommation d’alcool et de cocaïne à sa boulimie de travail et à ses problèmes familiaux découlant de sa nouvelle orientation sexuelle. Il a aussi raconté avoir effectué une longue thérapie pour se reprendre en main et venir à bout de sa dépendance à la boisson et à la poudre. En plaidant coupable au premier chef d’accusation, M. Doray bénéficia du retrait des deux autres accusations par la Couronne. (11)

Après sa condamnation, M. Boisclair n’avait pas caché ses sympathies pour son ancien chef de cabinet lorsqu’il fut contacté par un reporter du quotidien The Gazette. « C’est une triste affaire personnelle », avait commenté M. Boisclair, alors ministre de l’Environnement. « Je souhaite à M. Doray ce qu’il y a de mieux parce qu’il le mérite. » (12)

L’affaire Doray a récemment refait surface durant la même semaine où l’affaire Boisclair battait son plein. Le Journal de Montréal révélait que le Procureur général du Québec avait institué, en juillet dernier, une poursuite au civil contre M. Doray et son employeur, la Ville de Montréal, pour obtenir le remboursement des 29 500$ toujours impayés. Un tribunal a par la suite ordonné une saisie de salaire, ne donnant ainsi plus le choix à M. Doray de rendre au gouvernement du Québec son dû. (13)

Aux dernières nouvelles, M. Doray occupait toujours le poste de directeur administratif à l’Office de consultation publique de la Ville de Montréal.

Et maintenant, une petite leçon de mathématique.

Combien de ministres péquistes ont-ils avoué avoir consommé de la coke à l’époque du gouvernement de Lucien Bouchard ? Un. Et c’est M. André Boisclair.

Et combien de chefs de cabinet ont-ils confessé avoir consommé de la coke, toujours à l’époque du gouvernement de Lucien Bouchard ? Un. Et c’était le chef de cabinet de M. Boisclair, M. Luc Doray.

Donc, 1+1=2.

Il n’y a donc pas une histoire de coke, mais bien deux. Et, curieusement, le nom de M. Boisclair ressort coup sur coup. Premièrement, parce qu’il en a lui-même sniffé. Deuxièmement, parce que le plus important membre de son propre cabinet gonflait ses factures pour s’approvisionner en cocaïne.

Malheureusement, à part l’article paru dans le Journal de Montréal et quelques lignes enfouies à la fin d’un article publié dans La Presse, les médias n’ont pas daigné se questionner tout haut sur la possibilité d’un lien entre l’affaire Boisclair et l’affaire Doray. Comme si, pour eux, il ne s’agissait que de deux histoires séparées. Comme si pour les médias, 1+1 égale 1. Et non pas 2.

Mais est-il vraisemblable que M. Boisclair, amateur de coke à l’occasion selon ses dires, pouvait ignorer que son propre directeur de cabinet avait développé un sérieux problème de toxicomanie lorsqu’il travaillait sous ses ordres ?

Puisqu’ils avaient comme point en commun non seulement leur orientation sexuelle, mais en plus d’être amateurs de la même drogue, une question se pose : le ministre André Boisclair et son chef de cabinet Luc Doray ont-ils consommé ensemble de la cocaïne dont l’achat fut financé à même des fonds publics détournés selon des procédés frauduleux ?

(Ah non, c’est vrai : c’est leur « vie privée » ! Ça nous regarde pas de savoir en quelle charmante compagnie ces deux messieurs cokés se saupoudraient les narines…)

Plus sérieusement, tant qu’on n’aura pas eu une réponse claire de sa part, on sera en droit de penser que M. Boisclair pourrait cacher des choses beaucoup plus embarrassantes que quelques soirées de défonce bien « enneigées » ici et là. C’est d’ailleurs l’impression que laissait sa gestion pour le moins catastrophique de l’affaire. Rappelons-nous avec quelle réticence M. Boisclair avait fini par admettre sur le bout des lèvres qu’il avait effectivement consommé de la coke lorsqu’il était ministre.

(suivant)

Sources :

(10)    La Presse, « Luc Doray accusé de fraude et d’abus de confiance », par André Noël, 21 mai 1999.
(11)    La Presse, « L’ex-chef de cabinet Doray écope d’une peine avec sursis », par Christiane Desjardins, 26 mai 2001.
(12)    The Gazette, « Ex-PQ aide avoids jail for fraud », by George Kalogerakis, May 21 2005.
(13)    Journal de Montréal, « Saisie de salaire contre l’ancien chef de cabinet d’André Boisclair », par Yves Chartrand et Michel Hébert, 22 septembre 2005.

Publié dans Affaire Boisclair

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