COCAÏNE ET POLITIQUE AU QUÉBEC (1ère partie): L'affaire Boisclair
LE VRAI SCANDALE N’EST PEUT-ÊTRE PAS LÀ OÙ ON LE PENSE…
La controverse entourant la consommation de cocaïne de M. André Boisclair se résume-t-elle à quelques « frasques de jeunesse » sans conséquences ?
En grattant un peu, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES a fait la découverte de certains faits troublants qui laissent soupçonner que nous pourrions avoir affaire à autre chose que quelques faux pas occasionnels de la part de celui qui est devenu le grand favori dans la course à la succession de Barnard Landry au Parti Québécois.
Quand on sait que l’ancien chef de cabinet de M. Boisclair a non seulement lui-même été cocaïnomane mais qu’en plus il fraudait le gouvernement pour s’approvisionner en poudre, cela donne une tout autre dimension à l’affaire.
De plus, quand on sait que le quotidien La Presse a délibérément censuré un passage d’un article signé par un de ses journalistes qui faisait précisément allusion à la consommation de cocaïne de M. Boisclair, la question du traitement médiatique de l’affaire mérite dès lors d’être analysée sous un éclairage nouveau.
Par ailleurs, on est loin d’être en présence d’un cas isolé. Dans la deuxième partie de ce dossier « Cocaïne et politique au Québec », le B.A.L. entend revenir sur le cas de l’ancien député Gilles Baril et sur celui de l’ancien ministre Jean-François Bertrand.
Enfin, ce dossier ne serait pas complet si le B.A.L. ne prenait pas parti dans la polémique endiablée qui a accompagné toute l’affaire Boisclair.
Le droit de savoir
Ils ont dit que la consommation de cocaïne de M. André Boisclair n’était pas d’intérêt public. Ils ont dit qu’ils ne voulaient rien savoir et ont fait un procès d’intention à ceux qui voulaient savoir. Ils s’en sont pris aux médias, en dénonçant leur « comportement de hyènes qui harcèlent une proie jusqu’à la détruire » ainsi que « cette manie de toujours fouiller le passé de nos politiciens pour mieux les planter ».
Qui ça ?
Des gens qui, par dizaines, sont intervenus sur les tribunes libres et ont vu leurs lettres d’indignation être publié dans le courrier des lecteurs des grands journaux. Des gens parmi lesquels se sont assurément faufilé un certain nombre de Boisclairistes. Mais aussi des citoyens bien-pensants qui, sans avoir forcément un parti-pris dans la course à la chefferie du PQ, estimaient que les médias avaient largement dépassé les bornes de la décence dans leur traitement de l’affaire Boisclair.
Ainsi, à peine les journalistes avaient-ils commencé à faire leur boulot, c’est-à-dire questionner le candidat Boisclair sur son usage de la cocaïne, que déjà les bien-pensants commençaient à faire leur procès, en les accusant d’intrusion indue dans la vie privée d’un homme politique.
De quoi parle-t-on au juste ici ? On nous parle de l’influence de la drogue sur le monde de la politique—une fois n’étant pas coutume—et on nous dit que ce n’est pas d’intérêt public ?!
Faut-il rappeller que la possession simple de cocaïne est un acte criminel passible d’une peine maximale de 7 ans d’emprisonnement ? Bien que la consommation de cocaïne n’est pas un acte criminel comme tel, on imagine mal par quel tour de force quelqu’un pourrait consommer une substance prohibée sans être en possession de celle-ci.
Par contre, il n’est pas essentiel d’avoir la drogue sur soi pour être déclaré coupable de possession simple. Si, par exemple, la police faisait soudainement irruption dans une chambre d’hôtel où se trouveraient plusieurs personnes réunies autour d’une table, sur laquelle se trouverait une quantité X de poudre, alors les policiers pourraient coffrer tout ce beau monde pour possession simple. Voilà qui illustre le genre de risque qu’a pris M. Boisclair.
Il s’agit là, bien entendu, d’une situation hypothétique. Mais ce qui n’a rien d’hypothétique est le fait que M. Boisclair, au même titre que tous les autres consommateurs de ce produit dispendieux, n’aurait jamais pu faire ses trips de poudre n’eut été des divers passeurs et pourvoyeurs qui s’exposèrent à de lourdes peines d’emprisonnement pour faire entrer cette substance prohibée au pays.
Si la notion de l’égalité devant la loi ne relève pas de l’intérêt public, alors on peut bien se demander qu’est-ce qui relève de l’intérêt public ! Après tout, il ne se passe pas une journée sans que quelqu’un quelque part au Québec soit arrêté et accusé de possession d’une substance prohibée quelconque.
On savait déjà que les ministres étaient au-dessus des lois. On n’a qu’à constater la rareté avec laquelle ceux qui occupent de telles fonctions sont traduits devant les tribunaux criminels pour s’en convaincre. Mais on ignorait que les membres du gouvernement pouvaient à la fois se soustraire aux foudres de la justice et à l’attention du public en se cachant derrière leur droit à la vie privée pour refuser de rendre des comptes à la population.
Faut-il rappeler que les hommes et femmes politiques, plus particulièrement ceux et celles qui accèdent à des fonctions ministérielles, jouissent déjà de pouvoirs et de privilèges immenses ? Où se situe la contrepartie s’ils n’ont aucun devoir de transparence auprès de l’électorat qu’ils disent représenter ?
Avons-nous déjà oublié que les ministres d’un gouvernement sont régulièrement appelés à prendre des décisions qui peuvent facilement affecter la vie de centaines, sinon de milliers de personnes ? N’est-ce pas là le strict minimum que l’on puisse demander de la part des journalistes, ceux-là mêmes qui aiment se voir comme les « chiens de garde de la démocratie », que de nous assurer que les membres du gouvernement ont bel et bien toute leur tête au moment où ils prennent de telles décisions ?
Car il est difficile de prendre pour acquis que les ministres ont les idées claires quand on lit comment l’ex-politicien péquiste Jean-François Bertrand décrit l’état d’intoxication dans lequel il se trouvait durant les années 1981 à 1985 où il exerçait les fonctions de ministre des communications dans le gouvernement de René Lévesque :
« Je remplis mon mandat ministériel sous l’influence des médicaments et de l’alcool, me plaçant, moi et le gouvernement, dans des situations risquées qui auraient pu s’avérer ennuyeuses, voire tragiques. » (1)
Pas d’intérêt public, ça ?
Ils ont dit que la consommation de coke de M. Boisclair n’était pas de nos oignons parce que ça regardait la « vie personnelle » du ministre. Vraiment ? Quelqu’un pourrait-il alors nous indiquer à partir de quelle heure dans sa journée de travail un ministre cesse-t-il d’être un ministre ? Certains semblent avoir oublié qu’une job de ministre, c’est pas une job comme les autres. Or, le ministre qui oublie qu’il est ministre pourrait aussi être contraint d’oublier sa job de ministre.
Malgré sa baby-face, M. Boisclair n’a plus rien d’un jeune innocent. Il n’est pas sans savoir que la politique est un jeu de massacre dans lequel on exploite systématiquement les faiblesses de l’adversaire.
De l’avis du B.A.L., le débat sur la protection de la vie privée des hommes politiques n’est rien d’autre qu’un faux débat. Lorsqu’ils tentent de séduire l’électorat, les politiciens n’ont souvent aucun scrupule à étaler devant le grand public certains aspects de leur vie privée, ceux qui les font paraître sous un jour meilleur, bien entendu, afin de les rendre plus humains.
Le cas d’André Boisclair est justement très révélateur à ce sujet. En février 2004, il reçoit chez lui, dans sa propre salle à manger, une chroniqueuse culinaire de La Presse, Rafaële Germain, à qui il sert un plat de risotto aux porcini tout en lui parlant de ses livres de cuisine préférés et de son épicerie favorite, située dans la Petite Italie. (2)
En mai 2004, on retrouve le même Boisclair dans un article publié dans le cahier ‘Lectures’ (!) de La Presse, dans lequel il parle de ses lectures éclectiques, de son admiration pour Winston Churchill, de son amour de l’escalade et des randonnées en montagne et de l’importance qu’il accorde aux week-ends, au temps passé au chalet, au bord d’un lac des Laurentides, en compagnie d’amis. (3)
Enfin, dans une entrevue publiée dans le cahier ‘Automobile’ (!!) de La Presse, en août 2004, M. Boisclair parlait de sa passion pour la conduite automobile, de la première voiture qu’il a achetée de sa vie, puis de celle qu’il s’est acheté lorsqu’il retourna sur les banquettes de l’opposition, des disques compacts qu’il écoute lorsqu’il est sur la route, de sa station de radio préférée, et de quelques anecdotes de jeunesse. (4)
Ça, c’est d’intérêt public ?
En quoi le fait de connaître l’épicerie préférée d’un homme politique peut-il éclairer l’électorat sur la confiance à accorder au candidat Boisclair ? Et que penser du fait que le même politicien qui joue à fond la carte du human interest, qui expose au grand public ses goûts personnels, se plaint aujourd’hui que les médias ne se mêlent pas de leurs oignons ? Pourquoi est-ce que les journaux ne sont-ils pas ensevelis de lettres de protestation de lecteurs mécontents lorsqu’ils nous offrent de l’information digne des shows de variétés à la télé ?
S’il faut laisser aux seuls politiciens le soin de décider ce qu’ils peuvent révéler sur la vie qu’ils mènent après les heures de bureaux, ça leur laisse l’entière discrétion de décider qu’est-ce qui nous regarde de qu’est-ce qui ne nous regarde pas. Ça leur laisse tout le loisir de jouer les exhibitionnistes à outrance quand ça les avantage et de devenir de pudiques cachottiers quand ça les désavantage.
De nos jours, les hommes politiques avouent avoir fumé du pot pour paraître « cool » et faire monter leur côte de popularité auprès de l’électorat « jeune ». D’ailleurs, personne ne déchire sa chemise lorsque la presse demande à un politicien s’il a déjà essayé la marijuana. Alors pourquoi en serait-il autrement lorsque l’on parle d’une drogue plus dangereuse et dispendieuse ?
On n’insistera jamais assez pour dire à quel point André Boisclair s’en tire bien dans cette histoire. Non seulement, il n’a jamais été et ne sera vraisemblablement jamais inculpé devant un tribunal criminel pour les infractions qu’il a de toute évidence commis à l’égard de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais en plus, il a bénéficié pendant longtemps de l’omerta médiatique. Comme « victime des médias », on a déjà vu plus maganée !
Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES ne peut faire autrement que de se méfier de ces voix qui veulent nier à la population le droit de tout savoir des agissements criminels de ceux qui exercent le pouvoir. Est-ce vraiment rendre service à la population que de revendiquer ni plus ni moins l’autocensure médiatique quand certains comportements illégaux sont le fait de ministres ou d’influentes personnalités politiques ?
Si la conduite des membres du gouvernement n’est ni soumise aux lois, ni soumise à la loupe des médias, alors c’est le free for all, c’est un chèque en blanc pour faire absolument n’importe quoi. Et après ça, on s’étonnera de voir que la culture de l’impunité se porte bien au sein des milieux politiques québécois ! Il doit bien avoir une maudite limite aux passe-droits des hommes politiques !
Mais ce n’est ni à M. Boisclair, ni à ses partisans vendus d’avance, ni à quelconque autre politicien de tracer où se situe la limite. C’est à nous, au peuple, aux membres du public, à faire pression et à exiger des comptes et des explications complètes quand un membre du gouvernement flirte avec l’illégalité. Contrairement à M. Boisclair et à sa légion d’apologistes, le B.A.L. est fermement partisan du droit inconditionnel de savoir du public en pareilles circonstances.
Si un ministre a brisé la loi, on a le droit de savoir.
Si d’anciens ministres étaient cokés, on a le droit de savoir.
Si un ministre a sniffé une ligne une fois de temps en temps, sans devenir cocaïnomane pour autant, nous avons également le droit de savoir.
Si l’affaire Boisclair peut jeter un nouvel éclairage sur la véritable nature de la lutte anti-drogue et de celle contre le crime organisé que mènent les différents palliers de gouvernement au Canada, alors c’est d’intérêt public.
De nos jours, chaque grand parti cherche à convaincre la population que c’est lui qui fera le plus mal au crime organisé. Or, quand au moins un membre du Conseil des ministres se tape des trips de poudre, ça change le rapport entre l’État et le crime organisé.
Le gouvernement est, ne l’oublions pas, l’ultime patron des juges et des flics. C’est le gouvernement du Québec qui nomme les juges à la Cour du Québec et qui nomme les membres de la haute direction de la Sûreté du Québec. Et ce sont les juges et les flics qui arrêtent, jugent et emprisonnent des milliers de gens chaque année pour des infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
S’il y a quelque chose d’utile pour l’intérêt public dans le semi-aveu de M. Boisclair, c’est qu’il fournit un exemple de plus de la faillite complète de la lutte anti-drogue. Car si les drogues dures rentrent aussi facilement au Conseil des ministres que dans les prisons, c’est encore un autre signe que quelque chose ne tourne pas rond dans notre soi-disant État de droit.
Si le gouvernement du Québec a délibérément fermé les yeux sur les actes criminels qu’a vraisemblablement posés M. Boisclair, alors on n’a plus affaire à un État de droit mais bien plutôt à un système politique corrompu où seule règne la loi du « deux poids, deux mesures ».
Nous vivons à une époque où l’État n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition pour enquêter sur ses propres concitoyens. L’État québécois fouille le passé de ceux qui postulent pour un boulot d’enseignant et mène des « enquêtes de bonnes mœurs » sur ceux qui appliquent pour travailler en milieu carcéral. Au moindre antécédent judiciaire, au moindre commentaire négatif d’un flic, l’État peut réduire à néant des projets de carrière en raison d’une quelconque « frasque de jeunesse ».
Pourtant, celui-là même qui aspire à diriger ce même État, voire à le rendre souverain, s’est montré des plus réticent à lever le voile sur certains aspects compromettants de son passé. Avec ce qu’on sait sur lui aujourd’hui, M. Boisclair se serait vraisemblablement vu refuser une job de prof ou d’agent correctionnel. Mais pas celle de leader de l’Opposition officielle, apparemment…
Ainsi, si l’affaire Boisclair est susceptible de nous permettre de mieux comprendre dans quel genre de système politique on vit, alors c’est éminemment d’intérêt public.
C’est le droit de savoir de la collectivité qui impose aux journalistes le devoir de faire bien plus que de poser des questions : soit celui d’obtenir des réponses.
On ne demande quand même pas à M. Boisclair de nous dire s’il gardait ses vêtements lorsqu’il faisait de la poudre ! (trips de coke et trips de cul vont souvent de pair, c’est bien connu, on n’a qu’à lire le livre de l’ex-ministre péquiste Jean-François Bertrand pour en avoir une idée).
Enfin, ils ont dit que M. Boisclair avait lâché le morceau et qu’il fallait dorénavant lui foutre la paix. Mais quand on analyse l’affaire de plus près, on devient davantage porté à redouter qu’en réalité, il n’a peut-être fait que lâcher un simple fragment d’un plus gros morceau.
On dit qu’une faute avouée est à moitié pardonnée. Mais que dit-on dans le cas d’une personne qui avoue sa faute à moitié, comme ça semble être le cas avec M. Boisclair ? La personne fautive reçoit-elle un quart de pardon, au lieu d’une moitié de pardon ? Ce qui voudrait dire que les trois-quarts de sa faute ne lui sont pas pardonnés. Pas fort…
(suivant)
Sources :
(1) « Je suis un bum de bonne famille », par Jean-François Bertrand (2003), Les Éditions de l’homme, p.83.
(2) La Presse, « CHE FESTINO!—André Boisclair, le goût de l’Italie », par Rafaële Germain, 6 février 2004.
(3) La Presse, « Le beau plaisir de lire d’André Boisclair », par Jean Fugère, 9 mai 2004.
(4) La Presse, « Fou d’auto », par Stéphane Champagne, 23 août 2004.
La controverse entourant la consommation de cocaïne de M. André Boisclair se résume-t-elle à quelques « frasques de jeunesse » sans conséquences ?
En grattant un peu, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES a fait la découverte de certains faits troublants qui laissent soupçonner que nous pourrions avoir affaire à autre chose que quelques faux pas occasionnels de la part de celui qui est devenu le grand favori dans la course à la succession de Barnard Landry au Parti Québécois.
Quand on sait que l’ancien chef de cabinet de M. Boisclair a non seulement lui-même été cocaïnomane mais qu’en plus il fraudait le gouvernement pour s’approvisionner en poudre, cela donne une tout autre dimension à l’affaire.
De plus, quand on sait que le quotidien La Presse a délibérément censuré un passage d’un article signé par un de ses journalistes qui faisait précisément allusion à la consommation de cocaïne de M. Boisclair, la question du traitement médiatique de l’affaire mérite dès lors d’être analysée sous un éclairage nouveau.
Par ailleurs, on est loin d’être en présence d’un cas isolé. Dans la deuxième partie de ce dossier « Cocaïne et politique au Québec », le B.A.L. entend revenir sur le cas de l’ancien député Gilles Baril et sur celui de l’ancien ministre Jean-François Bertrand.
Enfin, ce dossier ne serait pas complet si le B.A.L. ne prenait pas parti dans la polémique endiablée qui a accompagné toute l’affaire Boisclair.
Le droit de savoir
Ils ont dit que la consommation de cocaïne de M. André Boisclair n’était pas d’intérêt public. Ils ont dit qu’ils ne voulaient rien savoir et ont fait un procès d’intention à ceux qui voulaient savoir. Ils s’en sont pris aux médias, en dénonçant leur « comportement de hyènes qui harcèlent une proie jusqu’à la détruire » ainsi que « cette manie de toujours fouiller le passé de nos politiciens pour mieux les planter ».
Qui ça ?
Des gens qui, par dizaines, sont intervenus sur les tribunes libres et ont vu leurs lettres d’indignation être publié dans le courrier des lecteurs des grands journaux. Des gens parmi lesquels se sont assurément faufilé un certain nombre de Boisclairistes. Mais aussi des citoyens bien-pensants qui, sans avoir forcément un parti-pris dans la course à la chefferie du PQ, estimaient que les médias avaient largement dépassé les bornes de la décence dans leur traitement de l’affaire Boisclair.
Ainsi, à peine les journalistes avaient-ils commencé à faire leur boulot, c’est-à-dire questionner le candidat Boisclair sur son usage de la cocaïne, que déjà les bien-pensants commençaient à faire leur procès, en les accusant d’intrusion indue dans la vie privée d’un homme politique.
De quoi parle-t-on au juste ici ? On nous parle de l’influence de la drogue sur le monde de la politique—une fois n’étant pas coutume—et on nous dit que ce n’est pas d’intérêt public ?!
Faut-il rappeller que la possession simple de cocaïne est un acte criminel passible d’une peine maximale de 7 ans d’emprisonnement ? Bien que la consommation de cocaïne n’est pas un acte criminel comme tel, on imagine mal par quel tour de force quelqu’un pourrait consommer une substance prohibée sans être en possession de celle-ci.
Par contre, il n’est pas essentiel d’avoir la drogue sur soi pour être déclaré coupable de possession simple. Si, par exemple, la police faisait soudainement irruption dans une chambre d’hôtel où se trouveraient plusieurs personnes réunies autour d’une table, sur laquelle se trouverait une quantité X de poudre, alors les policiers pourraient coffrer tout ce beau monde pour possession simple. Voilà qui illustre le genre de risque qu’a pris M. Boisclair.
Il s’agit là, bien entendu, d’une situation hypothétique. Mais ce qui n’a rien d’hypothétique est le fait que M. Boisclair, au même titre que tous les autres consommateurs de ce produit dispendieux, n’aurait jamais pu faire ses trips de poudre n’eut été des divers passeurs et pourvoyeurs qui s’exposèrent à de lourdes peines d’emprisonnement pour faire entrer cette substance prohibée au pays.
Si la notion de l’égalité devant la loi ne relève pas de l’intérêt public, alors on peut bien se demander qu’est-ce qui relève de l’intérêt public ! Après tout, il ne se passe pas une journée sans que quelqu’un quelque part au Québec soit arrêté et accusé de possession d’une substance prohibée quelconque.
On savait déjà que les ministres étaient au-dessus des lois. On n’a qu’à constater la rareté avec laquelle ceux qui occupent de telles fonctions sont traduits devant les tribunaux criminels pour s’en convaincre. Mais on ignorait que les membres du gouvernement pouvaient à la fois se soustraire aux foudres de la justice et à l’attention du public en se cachant derrière leur droit à la vie privée pour refuser de rendre des comptes à la population.
Faut-il rappeler que les hommes et femmes politiques, plus particulièrement ceux et celles qui accèdent à des fonctions ministérielles, jouissent déjà de pouvoirs et de privilèges immenses ? Où se situe la contrepartie s’ils n’ont aucun devoir de transparence auprès de l’électorat qu’ils disent représenter ?
Avons-nous déjà oublié que les ministres d’un gouvernement sont régulièrement appelés à prendre des décisions qui peuvent facilement affecter la vie de centaines, sinon de milliers de personnes ? N’est-ce pas là le strict minimum que l’on puisse demander de la part des journalistes, ceux-là mêmes qui aiment se voir comme les « chiens de garde de la démocratie », que de nous assurer que les membres du gouvernement ont bel et bien toute leur tête au moment où ils prennent de telles décisions ?
Car il est difficile de prendre pour acquis que les ministres ont les idées claires quand on lit comment l’ex-politicien péquiste Jean-François Bertrand décrit l’état d’intoxication dans lequel il se trouvait durant les années 1981 à 1985 où il exerçait les fonctions de ministre des communications dans le gouvernement de René Lévesque :
« Je remplis mon mandat ministériel sous l’influence des médicaments et de l’alcool, me plaçant, moi et le gouvernement, dans des situations risquées qui auraient pu s’avérer ennuyeuses, voire tragiques. » (1)
Pas d’intérêt public, ça ?
Ils ont dit que la consommation de coke de M. Boisclair n’était pas de nos oignons parce que ça regardait la « vie personnelle » du ministre. Vraiment ? Quelqu’un pourrait-il alors nous indiquer à partir de quelle heure dans sa journée de travail un ministre cesse-t-il d’être un ministre ? Certains semblent avoir oublié qu’une job de ministre, c’est pas une job comme les autres. Or, le ministre qui oublie qu’il est ministre pourrait aussi être contraint d’oublier sa job de ministre.
Malgré sa baby-face, M. Boisclair n’a plus rien d’un jeune innocent. Il n’est pas sans savoir que la politique est un jeu de massacre dans lequel on exploite systématiquement les faiblesses de l’adversaire.
De l’avis du B.A.L., le débat sur la protection de la vie privée des hommes politiques n’est rien d’autre qu’un faux débat. Lorsqu’ils tentent de séduire l’électorat, les politiciens n’ont souvent aucun scrupule à étaler devant le grand public certains aspects de leur vie privée, ceux qui les font paraître sous un jour meilleur, bien entendu, afin de les rendre plus humains.
Le cas d’André Boisclair est justement très révélateur à ce sujet. En février 2004, il reçoit chez lui, dans sa propre salle à manger, une chroniqueuse culinaire de La Presse, Rafaële Germain, à qui il sert un plat de risotto aux porcini tout en lui parlant de ses livres de cuisine préférés et de son épicerie favorite, située dans la Petite Italie. (2)
En mai 2004, on retrouve le même Boisclair dans un article publié dans le cahier ‘Lectures’ (!) de La Presse, dans lequel il parle de ses lectures éclectiques, de son admiration pour Winston Churchill, de son amour de l’escalade et des randonnées en montagne et de l’importance qu’il accorde aux week-ends, au temps passé au chalet, au bord d’un lac des Laurentides, en compagnie d’amis. (3)
Enfin, dans une entrevue publiée dans le cahier ‘Automobile’ (!!) de La Presse, en août 2004, M. Boisclair parlait de sa passion pour la conduite automobile, de la première voiture qu’il a achetée de sa vie, puis de celle qu’il s’est acheté lorsqu’il retourna sur les banquettes de l’opposition, des disques compacts qu’il écoute lorsqu’il est sur la route, de sa station de radio préférée, et de quelques anecdotes de jeunesse. (4)
Ça, c’est d’intérêt public ?
En quoi le fait de connaître l’épicerie préférée d’un homme politique peut-il éclairer l’électorat sur la confiance à accorder au candidat Boisclair ? Et que penser du fait que le même politicien qui joue à fond la carte du human interest, qui expose au grand public ses goûts personnels, se plaint aujourd’hui que les médias ne se mêlent pas de leurs oignons ? Pourquoi est-ce que les journaux ne sont-ils pas ensevelis de lettres de protestation de lecteurs mécontents lorsqu’ils nous offrent de l’information digne des shows de variétés à la télé ?
S’il faut laisser aux seuls politiciens le soin de décider ce qu’ils peuvent révéler sur la vie qu’ils mènent après les heures de bureaux, ça leur laisse l’entière discrétion de décider qu’est-ce qui nous regarde de qu’est-ce qui ne nous regarde pas. Ça leur laisse tout le loisir de jouer les exhibitionnistes à outrance quand ça les avantage et de devenir de pudiques cachottiers quand ça les désavantage.
De nos jours, les hommes politiques avouent avoir fumé du pot pour paraître « cool » et faire monter leur côte de popularité auprès de l’électorat « jeune ». D’ailleurs, personne ne déchire sa chemise lorsque la presse demande à un politicien s’il a déjà essayé la marijuana. Alors pourquoi en serait-il autrement lorsque l’on parle d’une drogue plus dangereuse et dispendieuse ?
On n’insistera jamais assez pour dire à quel point André Boisclair s’en tire bien dans cette histoire. Non seulement, il n’a jamais été et ne sera vraisemblablement jamais inculpé devant un tribunal criminel pour les infractions qu’il a de toute évidence commis à l’égard de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais en plus, il a bénéficié pendant longtemps de l’omerta médiatique. Comme « victime des médias », on a déjà vu plus maganée !
Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES ne peut faire autrement que de se méfier de ces voix qui veulent nier à la population le droit de tout savoir des agissements criminels de ceux qui exercent le pouvoir. Est-ce vraiment rendre service à la population que de revendiquer ni plus ni moins l’autocensure médiatique quand certains comportements illégaux sont le fait de ministres ou d’influentes personnalités politiques ?
Si la conduite des membres du gouvernement n’est ni soumise aux lois, ni soumise à la loupe des médias, alors c’est le free for all, c’est un chèque en blanc pour faire absolument n’importe quoi. Et après ça, on s’étonnera de voir que la culture de l’impunité se porte bien au sein des milieux politiques québécois ! Il doit bien avoir une maudite limite aux passe-droits des hommes politiques !
Mais ce n’est ni à M. Boisclair, ni à ses partisans vendus d’avance, ni à quelconque autre politicien de tracer où se situe la limite. C’est à nous, au peuple, aux membres du public, à faire pression et à exiger des comptes et des explications complètes quand un membre du gouvernement flirte avec l’illégalité. Contrairement à M. Boisclair et à sa légion d’apologistes, le B.A.L. est fermement partisan du droit inconditionnel de savoir du public en pareilles circonstances.
Si un ministre a brisé la loi, on a le droit de savoir.
Si d’anciens ministres étaient cokés, on a le droit de savoir.
Si un ministre a sniffé une ligne une fois de temps en temps, sans devenir cocaïnomane pour autant, nous avons également le droit de savoir.
Si l’affaire Boisclair peut jeter un nouvel éclairage sur la véritable nature de la lutte anti-drogue et de celle contre le crime organisé que mènent les différents palliers de gouvernement au Canada, alors c’est d’intérêt public.
De nos jours, chaque grand parti cherche à convaincre la population que c’est lui qui fera le plus mal au crime organisé. Or, quand au moins un membre du Conseil des ministres se tape des trips de poudre, ça change le rapport entre l’État et le crime organisé.
Le gouvernement est, ne l’oublions pas, l’ultime patron des juges et des flics. C’est le gouvernement du Québec qui nomme les juges à la Cour du Québec et qui nomme les membres de la haute direction de la Sûreté du Québec. Et ce sont les juges et les flics qui arrêtent, jugent et emprisonnent des milliers de gens chaque année pour des infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
S’il y a quelque chose d’utile pour l’intérêt public dans le semi-aveu de M. Boisclair, c’est qu’il fournit un exemple de plus de la faillite complète de la lutte anti-drogue. Car si les drogues dures rentrent aussi facilement au Conseil des ministres que dans les prisons, c’est encore un autre signe que quelque chose ne tourne pas rond dans notre soi-disant État de droit.
Si le gouvernement du Québec a délibérément fermé les yeux sur les actes criminels qu’a vraisemblablement posés M. Boisclair, alors on n’a plus affaire à un État de droit mais bien plutôt à un système politique corrompu où seule règne la loi du « deux poids, deux mesures ».
Nous vivons à une époque où l’État n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition pour enquêter sur ses propres concitoyens. L’État québécois fouille le passé de ceux qui postulent pour un boulot d’enseignant et mène des « enquêtes de bonnes mœurs » sur ceux qui appliquent pour travailler en milieu carcéral. Au moindre antécédent judiciaire, au moindre commentaire négatif d’un flic, l’État peut réduire à néant des projets de carrière en raison d’une quelconque « frasque de jeunesse ».
Pourtant, celui-là même qui aspire à diriger ce même État, voire à le rendre souverain, s’est montré des plus réticent à lever le voile sur certains aspects compromettants de son passé. Avec ce qu’on sait sur lui aujourd’hui, M. Boisclair se serait vraisemblablement vu refuser une job de prof ou d’agent correctionnel. Mais pas celle de leader de l’Opposition officielle, apparemment…
Ainsi, si l’affaire Boisclair est susceptible de nous permettre de mieux comprendre dans quel genre de système politique on vit, alors c’est éminemment d’intérêt public.
C’est le droit de savoir de la collectivité qui impose aux journalistes le devoir de faire bien plus que de poser des questions : soit celui d’obtenir des réponses.
On ne demande quand même pas à M. Boisclair de nous dire s’il gardait ses vêtements lorsqu’il faisait de la poudre ! (trips de coke et trips de cul vont souvent de pair, c’est bien connu, on n’a qu’à lire le livre de l’ex-ministre péquiste Jean-François Bertrand pour en avoir une idée).
Enfin, ils ont dit que M. Boisclair avait lâché le morceau et qu’il fallait dorénavant lui foutre la paix. Mais quand on analyse l’affaire de plus près, on devient davantage porté à redouter qu’en réalité, il n’a peut-être fait que lâcher un simple fragment d’un plus gros morceau.
On dit qu’une faute avouée est à moitié pardonnée. Mais que dit-on dans le cas d’une personne qui avoue sa faute à moitié, comme ça semble être le cas avec M. Boisclair ? La personne fautive reçoit-elle un quart de pardon, au lieu d’une moitié de pardon ? Ce qui voudrait dire que les trois-quarts de sa faute ne lui sont pas pardonnés. Pas fort…
(suivant)
Sources :
(1) « Je suis un bum de bonne famille », par Jean-François Bertrand (2003), Les Éditions de l’homme, p.83.
(2) La Presse, « CHE FESTINO!—André Boisclair, le goût de l’Italie », par Rafaële Germain, 6 février 2004.
(3) La Presse, « Le beau plaisir de lire d’André Boisclair », par Jean Fugère, 9 mai 2004.
(4) La Presse, « Fou d’auto », par Stéphane Champagne, 23 août 2004.