Le cas de Sylvain Vaugeois
Cocaïne et politique au Québec -partie 4
(précédent)
L’ex-homme d’affaires Sylvain Vaugeois était un autre de ces « amis du régime » péquiste qui allait se retrouver sur la sellette au cours du printemps 2002. Président-fondateur du Groupe Vaugeois, il fut un personnage des plus colorés qui acquérra une certaine notoriété dans le monde des affaires et de la politique québécoise.
Capitaliste sans complexes, flambeur flamboyant, excentrique excessif, emberlificoteur de première et manipulateur de métier, M. Vaugeois était un être suffisant et allergique à la fausse modestie. Un flyé ? Oui. Sa machine à idée semblait rouler à pleine vapeur sans jamais s’arrêter.
Pendant longtemps, M. Vaugeois a baigné comme un poisson dans l’eau dans les milieux politiques. De 1978 à 1985, il travailla comme attaché politique sous le gouvernement de M. René Lévesque et se retrouve tour à tour aux cabinets de Marc-André Bédard, Jean-François Bertrand, Camille Laurin et de Michel Clair.
C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec le jeune député Baril. Compagnon de trips de ce dernier, et auteur du manifeste des « Conspirateurs de l’an 2000 », Sylvain Vaugeois joua un rôle crucial lors de certains moments-clé de la vie de Gilles Baril.
Rappelons qu’ils étaient ensembles lorsqu’ils ont fait l’essai de l’ecstasy, en Californie, en 1983. Et, en novembre 1986, lorsqu’il se sent incapable de continuer son train de vie de toxicomane, c’est à Sylvain Vaugeois que Gilles Baril téléphone pour demander de l’aide. C’est encore M. Vaugeois qui trouve une place à son ami Baril dans une maison de désintoxication.
Puis, lorsque, une fois désintoxiqué, M. Baril est à la recherche d’un débouché intéressant sur le marché du travail, il sollicite à nouveau l’assistance de son ami Sylvain Vaugeois qui, cette fois-ci, avec le concours de Bernard Landry, va l’aider à obtenir un boulot de consultant chez le groupe Promexpo. Et c’est encore Sylvain Vaugeois qui faufile le manuscrit du livre de M. Baril à M. Pierre Migneault, de VLB Éditeur.
M. Vaugeois a aussi participé au sauvetage du centre du Nouveau Point de vue, menacé de fermeture au milieu des années ’80. Plus tard, en 1991, il met sur pied une campagne d’information contre l’alcool et les drogues.
Mais contrairement à M. Baril, M. Vaugeois n’a pas fait une croix définitive sur la cocaïne. À l’inverse, comme nous le verrons plus tard, c’est plutôt la cocaïne qui fit une croix sur lui. Portrait d’un businessmen à la fois influent et sous influence.
C’est vers la fin des années ’80 que Sylvain Vaugeois fonde le Groupe Vaugeois, une société de conseillers en « gestion stratégique » spécialisée dans la conception, la réalisation et la gestion de projets économiques de grande envergure. Il se fait alors le promoteur enthousiaste de divers projets aussi ambitieux que controversés.
Parmi ceux-ci, on compte la création d’un régime d’épargne-santé, appelé RAVIES (pour Régime d’assurance vie et santé), un abri fiscal destiné à obtenir des soins privés qui ne sont pas couverts par le gouvernement, ou encore à court-circuiter les listes d’attentes en se faisant opérer dans une clinique privée.
M. Vaugeois avait aussi caressé le projet de faire construire, au coût de 500 millions$, un grand hôpital privé de 2000 chambres à Mirabel afin d’y soigner des patients étrangers suffisamment fortunés pour être en mesure d’assumer eux-mêmes les coûts de l’intervention.
Sa plus grande réalisation est sans contredit la création de la Cité du Multimédia, dont il fut le principal artisan. Toutefois, pour arriver à cette fin, M. Vaugeois eu recours à des méthodes de persuasion des plus discutables. Ainsi, c’est en faisant miroiter des subventions, qui étaient alors du domaine de l’hypothétique, que M. Vaugeois avait réussi à convaincre le géant des jeux multimédia Ubisoft de venir s’installer à Montréal, en 1997, et d’y créer 550 emplois.
Grand parleur, M. Vaugeois avait le tour pour vendre sa salade. « Pour commencer, nous avons cru qu’il représentait le gouvernement du Québec! », dit Mme Sabine Hamelin, la vice-présidente responsable des activités d’Ubisoft à Montréal. Or, à Québec même, les fonctionnaires responsables du dossier se montraient plutôt défavorables à l’idée. (28)
Mais il n’était dans la nature de M. Vaugeois de se laisser abattre par les résistances que ses idées suscitaient invariablement. S’ensuit alors un chantage entre M. Vaugeois et le gouvernement lors duquel Ubisoft menace de faire marche arrière, privant ainsi l’économie montréalaise des 550 emplois promis. Une bruyante campagne de presse, et un peu de tordage de bras en coulisse, finiront par porter fruit. Après plusieurs rencontres avec M. Landry, et les ministres fédéraux Martin Cauchon et Pierre Pettigrew, la Cité du Multimédia voit le jour, en 1998.
Pour chaque emploi créé, le gouvernement offre de généreux crédits d’impôts pouvant atteindre 25 000$ par année, représentant 60% du salaire, pour les emplois créés avant 1999, et 40% après pour ceux créés après 1999. Le concept fera l’objet de vives critiques de toutes parts.
On reprocha notamment au gouvernement de consacrer des millions$ à subventionner des emplois qui existent déjà dans l’industrie locale du multimédia, ce qui constitue un cadeau à des entreprises en bonne santé financière. « Non seulement les emplois n’ont pas nécessairement à être nouvellement créés, mais les entreprises bénéficiant du programme ne sont pas tenues de créer les emplois annoncés », dénonce M. Stéphane Labrèche dans un article paru dans le magazine Les Affaires. (29)
Par la suite, le Groupe Vaugeois récidiva avec l’idée de la Cité du commerce électronique (25 000 emplois et 15 milliards$ d’investissements en dix ans), pour laquelle M. Vaugeois envisageait la construction d’une « Tour du millénaire » de 57 étages. En 2000, il disait vouloir se porter acquéreur du quotidien Le Devoir.
Mais, en 2002, alors que le gouvernement péquiste est accablé de révélations embarrassantes portant sur ses liens avec les « amis du régime », M. Vaugeois se retrouve à son tour sur la sellette. Après l’affaire Baril-Desroches, le public a maintenant droit à l’affaire Landry-Vaugeois.
C’est le journaliste Michel David du Devoir qui part le bal en révélant que le programme endossé par M. Landry, à l’époque où il était aux Finances, permettait au Groupe Vaugeois d’encaisser des ristournes pouvant atteindre jusqu’à 10% de la valeur du crédit d’impôt octroyé pour chaque emploi créé dans la Cité du multimédia. (30)
Ainsi, pour le seul contrat signé avec la firme Tecsys, les projections de revenus du Groupe Vaugeois étaient de l’ordre de 7,4 millions$ pour la période 1998-2008. En extrapolant à la dizaine d’entreprises mises sous contrat, on arrive à une bagatelle de plusieurs dizaines de millions$.
Deux jours plus tard, La Presse révélait à son tour que M. Landry avait agit comme consultant pour le compte de M. Vaugeois à l’époque où le chef péquiste était professeur à l’UQAM. À l’été 1994, soit quelques mois à peine avant les élections qui allait lui permettre de revenir à l'Assemblée nationale comme ministre du gouvernement Parizeau, M. Landry avait obtenu pour M. Vaugeois un rendez-vous avec M. Claude Béland, alors président du Mouvement Desjardins. (31)
À l’époque, M. Vaugeois avait réussi à intéresser la compagnie d’assurance La Laurentienne pour son projet de RAVIES. Lorsque La Laurentienne fut achetée par le Mouvement Desjardins, celui-ci était peu chaud à l’idée. Refusant d’être laissé pour compte, M. Vaugeois avait alors réclamé 500 000$ d’honoraires comme consultant.
Après le tête-à-tête entre MM. Béland et Vaugeois, ce dernier avait obtenu environ la moitié de la somme qu’il revendiquait. M. Jacques Wilkins, directeur des communications au cabinet du premier ministre, confirma que M. Landry avait alors été rémunéré par le Groupe Vaugeois « pour permettre le règlement d’un différend entre M. Vaugeois et Desjardins ».
Mais ce n’est pas tout. Toujours avant les élections de 1994, M. Landry avait également participé à la conception du projet RAVIES en aidant à rédiger un document. Une fois devenu ministre, M. Landry avait aiguillé M. Vaugeois vers son collègue au ministère de la Santé, M. Jean Rochon, qui, lui aussi, accueilla le projet avec tiédeur.
Lorsque M. Landry accède aux Finances, au début de 1996, les rapports entre les deux hommes vont se poursuivre de plus belle. M. Luc Berlinguette, vice-président finances du Groupe Vaugeois, déclara à La Presse qu’à l’époque, M. Vaugeois « parle environ deux fois par mois à M. Landry par téléphone ».
M. Vaugeois avait même poussé l’audace jusqu’à louer un hélicoptère à Montréal pour amener des clients potentiels directement sur le terrain de la résidence ancestrale de M. Landry, à Verchères. Seul le mauvais temps avait empêché le pilote de se poser. « M. Landry n’avait pas l’air de trouver ça drôle », se rappelle M. Berlinguette.
Mais les connexions du bouillant promoteur dans le monde de la politique ne s’arrêtent pas à la famille péquiste. Vaugeois-le-vantard se plaisait à citer parmi ses collaborateurs l’ex-premier ministre Brian Mulroney (qui se défend d’être un « collaborateur », mais qui l’aidera néanmoins à ouvrir quelques portes au niveau international) et M. Christopher Patten, le dernier gouverneur britannique de Hong Kong. (32)
De plus, M. Vaugeois se présente à qui veut l’entendre comme étant « un camarade de jeunesse » de l’actuel premier ministre du Québec, M. Jean Charest, une affirmation qu’a toutefois formellement niée le principal intéressé. M. Vaugeois se vantait aussi d’avoir rencontré M. Paul Martin Jr., alors ministre des Finances, pour essayer de lui vendre son projet de RAVIES. Enfin, c’est encore M. Vaugeois qui était derrière la visite du premier ministre Jean Chrétien aux locaux montréalais de Ubisoft, en juillet 1999.
On l’aura deviné, malgré ses entrées au Parti Québécois, M. Vaugeois n’est pas du genre à arborer un tatouage de la fleur du lys sur sa poitrine. Que le client soit Ottawa ou qu’il soit Québec, le business prime, c’est les affaires avant tout ! Même que M. Vaugeois comptait parmi ses amis M. Jacques Corriveau, propriétaire de la firme Pluri Design, qui s’était scandaleusement enrichi de plusieurs millions$ avec l’argent du programme des commandites. (33)
Avec des fréquentations aussi peu recommandables, comment alors s’étonner que le nom de M. Sylvain Vaugeois soit apparu lors des audiences de la fameuse Commission Gomery ? C’est en effet ce qui est arrivé lors du témoignage du M. Roger Collet, un ancien haut fonctionnaire qui fut directeur exécutif du Bureau d’information du Canada (BIC) de 1996 à 1998. (34)
On apprenait alors qu’en 1996, le BIC avait accepté de verser 1 million$ au Groupe Everest afin de financer un projet de campagne de publicité radiophonique portant sur la « Nouvelle Économie » qui avait été proposée par Adpac, une compagnie dont M. Vaugeois était le propriétaire. « Monsieur Sylvain Vaugeois était l’individu qui négociait avec nous, oui », déclara sans détour M. Collet.
Le nom de l’animateur de cette campagne radiophonique nous réserve une autre surprise. En effet, il s’agit de nul autre que M. Yvon Picotte, que nous avions déjà mentionné précédemment, et qui est aujourd’hui président de l’Action Démocratique du Québec.
Durant son interrogatoire, Me Bernard Roy, procureur de la Commission, avait exhibé au témoin Collet un document dans lequel Adpac cherchait à convaincre le BIC de la bonne affaire qu’il faisait en retenant ses services. « Si le gouvernement fédéral abandonne sa place, », lit-on, « le gouvernement du Québec occupera toute la place, réservée jusqu’ici à ADPAC. Nos diffuseurs nous le confirment. Ils sont sujets à des pressions constantes. »
M. Collet dira lui-même qu’il considérait que la façon de procéder de la compagnie Adpac était « un peu comme du chantage ». Chose certaine, les copains péquistes de M. Vaugeois ne devaient pas été très fiers de lui lorsqu’ils ont vu ça.
Bien entendu, la controverse du printemps 2002 n’a rien fait pour ralentir les ardeurs du promoteur. Quelques mois après, M. Vaugeois faisait la promotion d’un projet de train à lévitation magnétique, le Maglev, qui relierait Montréal à New York en 90 minutes.
Puis, comme on dit, M. Vaugeois a frappé un mur. Il est mort subitement, le 23 août 2003, à l’âge de 46 ans. Dans un communiqué de presse, le Groupe Vaugeois parlait pudiquement d’un « arrêt cardiaque ». M. Vaugeois fut alors salué comme étant un « entrepreneur visionnaire », par M. Bernard Landry, et fut qualifié d’« homme exceptionnel », par l’ex-maire montréalais Pierre Bourque. (35)
Au moment de sa mort, M. Vaugeois venait de convaincre la société immobilière américaine Hines d’investir dans un luxueux projet de « Vacances Santé » de 200 millions$ autour du lac Mékinac, en Mauricie, comprenant la construction de 830 unités résidentielles et de trois auberges totalisant 200 chambres.
Ce n’est qu’en janvier 2005 que la lumière sera faite sur les circonstances exactes du décès de M. Vaugeois. Au terme d’une enquête qui dura un an et demi, la coroner Candice Tremblay a conclut que le décès de M. Vaugeois était attribuable à une « présence de cocaïne en dose létale dans le sang », c’est-à-dire en quantité suffisante pour entraîner la mort. (36)
Bref, M. Vaugeois est mort d’une overdose de coke. Et, pour couronner le tout, son cadavre fut découvert dans une chambre louée à l’heure de l’Auberge 1082, un hôtel où logeait un club échangiste dans le quartier Rosemont, à Montréal. Voilà une fin bien peu glorieuse pour un promoteur qui a fait le commerce de ses idées de grandeur durant la majeure partie de sa vie professionnelle.
Si une aussi grande présence de cocaïne a été détectée dans son sang, cela ne peut que signifier que l’une de ces deux choses : soit il était devenu un consommateur régulier qui en était rendu à augmenter ses doses pour que la coke continue à le faire tripper ; ou soit M. Vaugeois ne touchait pas, ou plus, à la coke avec pour conséquence que cela nous placerait possiblement en présence d’un meurtre déguisé en overdose de drogue.
En ce qui concerne cette deuxième hypothèse, seule la présence constante à ses côtés d’un type au physique d’armoire à glace qui lui servait de chauffeur, mais qui aurait facilement pu être mépris pour un garde du corps, pouvait laisser imaginer que M. Vaugeois aurait pu avoir des ennemis capables de faire porter un risque sérieux à son intégrité personnelle.
Or, dans tout ce qui a pu être écrit dans la presse écrite sur M. Vaugeois, le B.A.L. n’a trouvé aucun élément d’information pouvant accréditer la théorie de la mort suspecte. Le rapport de la coroner Tremblay, qui conclut à une mort accidentelle, ne supporte pas une telle hypothèse non plus.
Ce qui laisse la première hypothèse, celle voulant que M. Vaugeois ait carburé à la cocaïne de son vivant.
Sylvain Vaugeois, un coké ?
Un coké, oui, mais pas n’importe lequel. Il fut un coké qui, pendant un moment, avait l’oreille des politiciens les plus puissants à Québec et à Ottawa.
Cette révélation-choc s’est toutefois heurtée à un mur de silence. Toutes ces honorables personnalités qui, à sa mort, ne tarissaient pas d’éloges, se sont soudainement retrouvées sans voix lorsque la cause exacte du décès de M. Vaugeois devint connue du public.
Dans les médias écrits, M. Jean-Marc Beaudoin, du Nouvelliste, fut le seul à avoir commenté cette controverse. Dans un texte publié le 29 janvier 2005, M. Beaudoin était tout d’abord revenu sur une chronique qu’il avait signée près de trois ans plus tôt. En voici un extrait :
Avec ses cheveux gominés lissés vers l’arrière, sa grosse moustache poivre et sel, ses épais sourcils, son sourire carnassier, sa Rolex (ou quelque chose d’au moins aussi cher) au poignet, ses complets rayés, son teint basané et un étalage étudié, mais délibéré de richesses clinquantes, Sylvain Vaugeois a décidément les airs d’un riche latino. “D’un narco-trafiquan?, me persiflera quelqu’un.
Avec tout le mystère qui entoure son apparente fortune, l’homme prête le flanc à toutes les rumeurs, y compris celle-là.
J’avais écrit cela au printemps 2002. Six mois plus tard, il m’avait appelé pour me rencontrer, la voix un peu grognarde. Il était arrivé au NOUVELLISTE à bord d’une BMW de la série 700, escorté par son chauffeur, un colosse, croate d’origine, qui ne disait jamais un mot.
“Tu as dit que j’étais un narco-trafiquan?, m’avait-il lancé d’entrée de jeu, en se donnant un air menaçant. Je lui avais répondu que je ne l’avais pas qualifié de narco-trafiquant, mais plutôt écrit qu’il en avait la tête. “J’aurais pu te poursuivr?, me répliqua-t-il. Je lui ai alors envoyé un beau sourire : “Si tu avais pu me poursuivre, tu l’aurais fait. C’est que tu n’avais pas de prise pour le faire?
S’il n’en faisait pas le trafic, on sait aujourd’hui qu’il en consommait de grosses quantités. C’est peut-être pour cela qu’il avait mal réagi à la description de narco-trafiquant latino que j’en avais fait à l'époque. J’avais touché sans le vouloir un aspect caché de sa personnalité. (37)
Exception faite du texte de M. Beaudoin, les médias ont vite fait d’enterrer l’affaire. Tabou oblige…
Cette révélation nous permet néanmoins de regarder sous un éclairage différent certains des agissements assez singuliers du personnage Vaugeois. « Il pouvait m’appeler à trois heures le matin pour me demander ce que je pensais de telle ou telle affaire », se rappelait l’ex-député conservateur Michel Champagne, qui avait été des « Conspirateurs de l’an 2000 ». « Il n’était pas évident à suivre », ajouta-t-il.
M. Yvon Picotte a également confié avoir été réveillé à trois heures du matin par un Sylvain Vaugeois qui était tout excité par une nouvelle trouvaille. Même son de cloche du côté du maire de Trois-Rivières, M. Lucien Mongrain. « Il arrivait qu’il m’appelle à six heures du matin pour me dire qu’il venait de lui passer une idée par la tête ! » Avec sa mort, on peut aujourd’hui soupçonner qu’il y avait un ingrédient secret qui le tenait réveillé la nuit. (38)
Certains se demanderont peut-être si les circonstances entourant la mort de M. Vaugeois sont vraiment une information d’intérêt public. Elles le sont dans la mesure où elles nous permettent de mieux cerner ce personnage particulier qui avait fini par devenir public et influent.
Elles le sont ne serait-ce qu’en raison du fait que M. Vaugeois s’était fait le porte-parole d’une campagne anti-drogue en 1991. D’ailleurs, ce n’était sans doute pas le fruit du hasard si cette campagne s’appelait « Jamais seul », tandis que le livre de M. Baril, dont il s’était fait le promoteur, portait le titre « Tu ne sera plus jamais seul ». On pourrait mettre notre main au feu qu’il s’agissait-là d’un concept signé Vaugeois.
Bref, c’est un peu comme il avait traité la lutte anti-drogue comme un autre produit de plus dont il se faisait le promoteur. On peut aujourd’hui mieux saisir le sens de ses paroles, lorsqu’il déclarait au journaliste René Vézina de la revue Commerce : « Je ne me suis pas embarqué là-dedans par vertu. Il fallait que j’aide d’autres personnes à se rétablir. »
Il avait fait de la Santé un de ses principaux produits de vente. Mais derrière son discours pro-Santé se cachait un homme adepte d’un poison toxique notoire : la cocaïne.
On peut d’ores et déjà présumer que la consommation de drogues entre MM. Vaugeois et Baril ne s’était pas limitée à un petit trip d’ecstasy en Californie, en 1983. On peut même certainement prendre pour acquis que M. Vaugeois faisait partie du petit « cercle des sniffeux » de M. Baril. L’un en est sorti. L’autre y est resté.
On ne saura sans doute jamais quel rôle la dope a-t-elle jouée, si elle en a jouée un, dans le processus créatif de M. Vaugeois. En mourrant prématurément, M. Vaugeois emporta vraisemblablement avec lui un certain nombre de secrets.
Sources :
(28) Commerce, « Les idées de grandeur de Sylvain Vaugeois », par René Vézina, Mai 1998, p. 58.
(29) Les Affaires, « Québec donne des millions pour créer des emplois... existants », par Stéphane Labrèche, 8 janvier 2000.
(30) Le Devoir, « Encore les amis », par Michel David, 19 mars 2002.
(31) La Presse, « Landry a agi comme consultant pour Vaugeois », par Denis Lessard, 21 mars 2002.
(32) Commerce, « Les idées de grandeur de Sylvain Vaugeois », par René Vézina, Mai 1998, p. 58.
(33) Le Droit, « www.milliards.qc.ca », par Michel Vastel, 18 octobre 1999.
(34) Transcription de la Commission Gomery, journée du 2 décembre 2004, p. 56 à 61.
(35) Le Devoir, « Mort subite à 46 ans d’un homme d’affaires iconoclaste—Sylvain Vaugeois n’a pas eu le temps de réaliser son dernier projet », par Alec Castonguay, 26 août 2003.
(36) Le Nouvelliste, « Sylvain Vaugeois victime d’une surdose de cocaïne », par Presse Canadienne, 30 janvier 2005.
(37) Le Nouvelliste, « Sylvain Vaugeois, il en avait plus que la tête », par Jean-Marc Beaudoin, 29 janvier 2005.
(38) Le Nouvelliste, « Un conspirateur aux idées ambitieuses—Sylvain Vaugeois ne laissait personne indifférent », « Le père du projet du lac Mékinac n’est plus—Sylvain Vaugeois meurt d’un arrêt cardiaque à l’âge de 46 ans », par Guy Veillette, mardi 26 août 2003 ; Le Nouvelliste, « Un départ qui ne laisse personne indifférent », par Martin Francoeur, 30 août 2003.
(précédent)
L’ex-homme d’affaires Sylvain Vaugeois était un autre de ces « amis du régime » péquiste qui allait se retrouver sur la sellette au cours du printemps 2002. Président-fondateur du Groupe Vaugeois, il fut un personnage des plus colorés qui acquérra une certaine notoriété dans le monde des affaires et de la politique québécoise.
Capitaliste sans complexes, flambeur flamboyant, excentrique excessif, emberlificoteur de première et manipulateur de métier, M. Vaugeois était un être suffisant et allergique à la fausse modestie. Un flyé ? Oui. Sa machine à idée semblait rouler à pleine vapeur sans jamais s’arrêter.
Pendant longtemps, M. Vaugeois a baigné comme un poisson dans l’eau dans les milieux politiques. De 1978 à 1985, il travailla comme attaché politique sous le gouvernement de M. René Lévesque et se retrouve tour à tour aux cabinets de Marc-André Bédard, Jean-François Bertrand, Camille Laurin et de Michel Clair.
C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec le jeune député Baril. Compagnon de trips de ce dernier, et auteur du manifeste des « Conspirateurs de l’an 2000 », Sylvain Vaugeois joua un rôle crucial lors de certains moments-clé de la vie de Gilles Baril.
Rappelons qu’ils étaient ensembles lorsqu’ils ont fait l’essai de l’ecstasy, en Californie, en 1983. Et, en novembre 1986, lorsqu’il se sent incapable de continuer son train de vie de toxicomane, c’est à Sylvain Vaugeois que Gilles Baril téléphone pour demander de l’aide. C’est encore M. Vaugeois qui trouve une place à son ami Baril dans une maison de désintoxication.
Puis, lorsque, une fois désintoxiqué, M. Baril est à la recherche d’un débouché intéressant sur le marché du travail, il sollicite à nouveau l’assistance de son ami Sylvain Vaugeois qui, cette fois-ci, avec le concours de Bernard Landry, va l’aider à obtenir un boulot de consultant chez le groupe Promexpo. Et c’est encore Sylvain Vaugeois qui faufile le manuscrit du livre de M. Baril à M. Pierre Migneault, de VLB Éditeur.
M. Vaugeois a aussi participé au sauvetage du centre du Nouveau Point de vue, menacé de fermeture au milieu des années ’80. Plus tard, en 1991, il met sur pied une campagne d’information contre l’alcool et les drogues.
Mais contrairement à M. Baril, M. Vaugeois n’a pas fait une croix définitive sur la cocaïne. À l’inverse, comme nous le verrons plus tard, c’est plutôt la cocaïne qui fit une croix sur lui. Portrait d’un businessmen à la fois influent et sous influence.
C’est vers la fin des années ’80 que Sylvain Vaugeois fonde le Groupe Vaugeois, une société de conseillers en « gestion stratégique » spécialisée dans la conception, la réalisation et la gestion de projets économiques de grande envergure. Il se fait alors le promoteur enthousiaste de divers projets aussi ambitieux que controversés.
Parmi ceux-ci, on compte la création d’un régime d’épargne-santé, appelé RAVIES (pour Régime d’assurance vie et santé), un abri fiscal destiné à obtenir des soins privés qui ne sont pas couverts par le gouvernement, ou encore à court-circuiter les listes d’attentes en se faisant opérer dans une clinique privée.
M. Vaugeois avait aussi caressé le projet de faire construire, au coût de 500 millions$, un grand hôpital privé de 2000 chambres à Mirabel afin d’y soigner des patients étrangers suffisamment fortunés pour être en mesure d’assumer eux-mêmes les coûts de l’intervention.
Sa plus grande réalisation est sans contredit la création de la Cité du Multimédia, dont il fut le principal artisan. Toutefois, pour arriver à cette fin, M. Vaugeois eu recours à des méthodes de persuasion des plus discutables. Ainsi, c’est en faisant miroiter des subventions, qui étaient alors du domaine de l’hypothétique, que M. Vaugeois avait réussi à convaincre le géant des jeux multimédia Ubisoft de venir s’installer à Montréal, en 1997, et d’y créer 550 emplois.
Grand parleur, M. Vaugeois avait le tour pour vendre sa salade. « Pour commencer, nous avons cru qu’il représentait le gouvernement du Québec! », dit Mme Sabine Hamelin, la vice-présidente responsable des activités d’Ubisoft à Montréal. Or, à Québec même, les fonctionnaires responsables du dossier se montraient plutôt défavorables à l’idée. (28)
Mais il n’était dans la nature de M. Vaugeois de se laisser abattre par les résistances que ses idées suscitaient invariablement. S’ensuit alors un chantage entre M. Vaugeois et le gouvernement lors duquel Ubisoft menace de faire marche arrière, privant ainsi l’économie montréalaise des 550 emplois promis. Une bruyante campagne de presse, et un peu de tordage de bras en coulisse, finiront par porter fruit. Après plusieurs rencontres avec M. Landry, et les ministres fédéraux Martin Cauchon et Pierre Pettigrew, la Cité du Multimédia voit le jour, en 1998.
Pour chaque emploi créé, le gouvernement offre de généreux crédits d’impôts pouvant atteindre 25 000$ par année, représentant 60% du salaire, pour les emplois créés avant 1999, et 40% après pour ceux créés après 1999. Le concept fera l’objet de vives critiques de toutes parts.
On reprocha notamment au gouvernement de consacrer des millions$ à subventionner des emplois qui existent déjà dans l’industrie locale du multimédia, ce qui constitue un cadeau à des entreprises en bonne santé financière. « Non seulement les emplois n’ont pas nécessairement à être nouvellement créés, mais les entreprises bénéficiant du programme ne sont pas tenues de créer les emplois annoncés », dénonce M. Stéphane Labrèche dans un article paru dans le magazine Les Affaires. (29)
Par la suite, le Groupe Vaugeois récidiva avec l’idée de la Cité du commerce électronique (25 000 emplois et 15 milliards$ d’investissements en dix ans), pour laquelle M. Vaugeois envisageait la construction d’une « Tour du millénaire » de 57 étages. En 2000, il disait vouloir se porter acquéreur du quotidien Le Devoir.
Mais, en 2002, alors que le gouvernement péquiste est accablé de révélations embarrassantes portant sur ses liens avec les « amis du régime », M. Vaugeois se retrouve à son tour sur la sellette. Après l’affaire Baril-Desroches, le public a maintenant droit à l’affaire Landry-Vaugeois.
C’est le journaliste Michel David du Devoir qui part le bal en révélant que le programme endossé par M. Landry, à l’époque où il était aux Finances, permettait au Groupe Vaugeois d’encaisser des ristournes pouvant atteindre jusqu’à 10% de la valeur du crédit d’impôt octroyé pour chaque emploi créé dans la Cité du multimédia. (30)
Ainsi, pour le seul contrat signé avec la firme Tecsys, les projections de revenus du Groupe Vaugeois étaient de l’ordre de 7,4 millions$ pour la période 1998-2008. En extrapolant à la dizaine d’entreprises mises sous contrat, on arrive à une bagatelle de plusieurs dizaines de millions$.
Deux jours plus tard, La Presse révélait à son tour que M. Landry avait agit comme consultant pour le compte de M. Vaugeois à l’époque où le chef péquiste était professeur à l’UQAM. À l’été 1994, soit quelques mois à peine avant les élections qui allait lui permettre de revenir à l'Assemblée nationale comme ministre du gouvernement Parizeau, M. Landry avait obtenu pour M. Vaugeois un rendez-vous avec M. Claude Béland, alors président du Mouvement Desjardins. (31)
À l’époque, M. Vaugeois avait réussi à intéresser la compagnie d’assurance La Laurentienne pour son projet de RAVIES. Lorsque La Laurentienne fut achetée par le Mouvement Desjardins, celui-ci était peu chaud à l’idée. Refusant d’être laissé pour compte, M. Vaugeois avait alors réclamé 500 000$ d’honoraires comme consultant.
Après le tête-à-tête entre MM. Béland et Vaugeois, ce dernier avait obtenu environ la moitié de la somme qu’il revendiquait. M. Jacques Wilkins, directeur des communications au cabinet du premier ministre, confirma que M. Landry avait alors été rémunéré par le Groupe Vaugeois « pour permettre le règlement d’un différend entre M. Vaugeois et Desjardins ».
Mais ce n’est pas tout. Toujours avant les élections de 1994, M. Landry avait également participé à la conception du projet RAVIES en aidant à rédiger un document. Une fois devenu ministre, M. Landry avait aiguillé M. Vaugeois vers son collègue au ministère de la Santé, M. Jean Rochon, qui, lui aussi, accueilla le projet avec tiédeur.
Lorsque M. Landry accède aux Finances, au début de 1996, les rapports entre les deux hommes vont se poursuivre de plus belle. M. Luc Berlinguette, vice-président finances du Groupe Vaugeois, déclara à La Presse qu’à l’époque, M. Vaugeois « parle environ deux fois par mois à M. Landry par téléphone ».
M. Vaugeois avait même poussé l’audace jusqu’à louer un hélicoptère à Montréal pour amener des clients potentiels directement sur le terrain de la résidence ancestrale de M. Landry, à Verchères. Seul le mauvais temps avait empêché le pilote de se poser. « M. Landry n’avait pas l’air de trouver ça drôle », se rappelle M. Berlinguette.
Mais les connexions du bouillant promoteur dans le monde de la politique ne s’arrêtent pas à la famille péquiste. Vaugeois-le-vantard se plaisait à citer parmi ses collaborateurs l’ex-premier ministre Brian Mulroney (qui se défend d’être un « collaborateur », mais qui l’aidera néanmoins à ouvrir quelques portes au niveau international) et M. Christopher Patten, le dernier gouverneur britannique de Hong Kong. (32)
De plus, M. Vaugeois se présente à qui veut l’entendre comme étant « un camarade de jeunesse » de l’actuel premier ministre du Québec, M. Jean Charest, une affirmation qu’a toutefois formellement niée le principal intéressé. M. Vaugeois se vantait aussi d’avoir rencontré M. Paul Martin Jr., alors ministre des Finances, pour essayer de lui vendre son projet de RAVIES. Enfin, c’est encore M. Vaugeois qui était derrière la visite du premier ministre Jean Chrétien aux locaux montréalais de Ubisoft, en juillet 1999.
On l’aura deviné, malgré ses entrées au Parti Québécois, M. Vaugeois n’est pas du genre à arborer un tatouage de la fleur du lys sur sa poitrine. Que le client soit Ottawa ou qu’il soit Québec, le business prime, c’est les affaires avant tout ! Même que M. Vaugeois comptait parmi ses amis M. Jacques Corriveau, propriétaire de la firme Pluri Design, qui s’était scandaleusement enrichi de plusieurs millions$ avec l’argent du programme des commandites. (33)
Avec des fréquentations aussi peu recommandables, comment alors s’étonner que le nom de M. Sylvain Vaugeois soit apparu lors des audiences de la fameuse Commission Gomery ? C’est en effet ce qui est arrivé lors du témoignage du M. Roger Collet, un ancien haut fonctionnaire qui fut directeur exécutif du Bureau d’information du Canada (BIC) de 1996 à 1998. (34)
On apprenait alors qu’en 1996, le BIC avait accepté de verser 1 million$ au Groupe Everest afin de financer un projet de campagne de publicité radiophonique portant sur la « Nouvelle Économie » qui avait été proposée par Adpac, une compagnie dont M. Vaugeois était le propriétaire. « Monsieur Sylvain Vaugeois était l’individu qui négociait avec nous, oui », déclara sans détour M. Collet.
Le nom de l’animateur de cette campagne radiophonique nous réserve une autre surprise. En effet, il s’agit de nul autre que M. Yvon Picotte, que nous avions déjà mentionné précédemment, et qui est aujourd’hui président de l’Action Démocratique du Québec.
Durant son interrogatoire, Me Bernard Roy, procureur de la Commission, avait exhibé au témoin Collet un document dans lequel Adpac cherchait à convaincre le BIC de la bonne affaire qu’il faisait en retenant ses services. « Si le gouvernement fédéral abandonne sa place, », lit-on, « le gouvernement du Québec occupera toute la place, réservée jusqu’ici à ADPAC. Nos diffuseurs nous le confirment. Ils sont sujets à des pressions constantes. »
M. Collet dira lui-même qu’il considérait que la façon de procéder de la compagnie Adpac était « un peu comme du chantage ». Chose certaine, les copains péquistes de M. Vaugeois ne devaient pas été très fiers de lui lorsqu’ils ont vu ça.
Bien entendu, la controverse du printemps 2002 n’a rien fait pour ralentir les ardeurs du promoteur. Quelques mois après, M. Vaugeois faisait la promotion d’un projet de train à lévitation magnétique, le Maglev, qui relierait Montréal à New York en 90 minutes.
Puis, comme on dit, M. Vaugeois a frappé un mur. Il est mort subitement, le 23 août 2003, à l’âge de 46 ans. Dans un communiqué de presse, le Groupe Vaugeois parlait pudiquement d’un « arrêt cardiaque ». M. Vaugeois fut alors salué comme étant un « entrepreneur visionnaire », par M. Bernard Landry, et fut qualifié d’« homme exceptionnel », par l’ex-maire montréalais Pierre Bourque. (35)
Au moment de sa mort, M. Vaugeois venait de convaincre la société immobilière américaine Hines d’investir dans un luxueux projet de « Vacances Santé » de 200 millions$ autour du lac Mékinac, en Mauricie, comprenant la construction de 830 unités résidentielles et de trois auberges totalisant 200 chambres.
Ce n’est qu’en janvier 2005 que la lumière sera faite sur les circonstances exactes du décès de M. Vaugeois. Au terme d’une enquête qui dura un an et demi, la coroner Candice Tremblay a conclut que le décès de M. Vaugeois était attribuable à une « présence de cocaïne en dose létale dans le sang », c’est-à-dire en quantité suffisante pour entraîner la mort. (36)
Bref, M. Vaugeois est mort d’une overdose de coke. Et, pour couronner le tout, son cadavre fut découvert dans une chambre louée à l’heure de l’Auberge 1082, un hôtel où logeait un club échangiste dans le quartier Rosemont, à Montréal. Voilà une fin bien peu glorieuse pour un promoteur qui a fait le commerce de ses idées de grandeur durant la majeure partie de sa vie professionnelle.
Si une aussi grande présence de cocaïne a été détectée dans son sang, cela ne peut que signifier que l’une de ces deux choses : soit il était devenu un consommateur régulier qui en était rendu à augmenter ses doses pour que la coke continue à le faire tripper ; ou soit M. Vaugeois ne touchait pas, ou plus, à la coke avec pour conséquence que cela nous placerait possiblement en présence d’un meurtre déguisé en overdose de drogue.
En ce qui concerne cette deuxième hypothèse, seule la présence constante à ses côtés d’un type au physique d’armoire à glace qui lui servait de chauffeur, mais qui aurait facilement pu être mépris pour un garde du corps, pouvait laisser imaginer que M. Vaugeois aurait pu avoir des ennemis capables de faire porter un risque sérieux à son intégrité personnelle.
Or, dans tout ce qui a pu être écrit dans la presse écrite sur M. Vaugeois, le B.A.L. n’a trouvé aucun élément d’information pouvant accréditer la théorie de la mort suspecte. Le rapport de la coroner Tremblay, qui conclut à une mort accidentelle, ne supporte pas une telle hypothèse non plus.
Ce qui laisse la première hypothèse, celle voulant que M. Vaugeois ait carburé à la cocaïne de son vivant.
Sylvain Vaugeois, un coké ?
Un coké, oui, mais pas n’importe lequel. Il fut un coké qui, pendant un moment, avait l’oreille des politiciens les plus puissants à Québec et à Ottawa.
Cette révélation-choc s’est toutefois heurtée à un mur de silence. Toutes ces honorables personnalités qui, à sa mort, ne tarissaient pas d’éloges, se sont soudainement retrouvées sans voix lorsque la cause exacte du décès de M. Vaugeois devint connue du public.
Dans les médias écrits, M. Jean-Marc Beaudoin, du Nouvelliste, fut le seul à avoir commenté cette controverse. Dans un texte publié le 29 janvier 2005, M. Beaudoin était tout d’abord revenu sur une chronique qu’il avait signée près de trois ans plus tôt. En voici un extrait :
Avec ses cheveux gominés lissés vers l’arrière, sa grosse moustache poivre et sel, ses épais sourcils, son sourire carnassier, sa Rolex (ou quelque chose d’au moins aussi cher) au poignet, ses complets rayés, son teint basané et un étalage étudié, mais délibéré de richesses clinquantes, Sylvain Vaugeois a décidément les airs d’un riche latino. “D’un narco-trafiquan?, me persiflera quelqu’un.
Avec tout le mystère qui entoure son apparente fortune, l’homme prête le flanc à toutes les rumeurs, y compris celle-là.
J’avais écrit cela au printemps 2002. Six mois plus tard, il m’avait appelé pour me rencontrer, la voix un peu grognarde. Il était arrivé au NOUVELLISTE à bord d’une BMW de la série 700, escorté par son chauffeur, un colosse, croate d’origine, qui ne disait jamais un mot.
“Tu as dit que j’étais un narco-trafiquan?, m’avait-il lancé d’entrée de jeu, en se donnant un air menaçant. Je lui avais répondu que je ne l’avais pas qualifié de narco-trafiquant, mais plutôt écrit qu’il en avait la tête. “J’aurais pu te poursuivr?, me répliqua-t-il. Je lui ai alors envoyé un beau sourire : “Si tu avais pu me poursuivre, tu l’aurais fait. C’est que tu n’avais pas de prise pour le faire?
S’il n’en faisait pas le trafic, on sait aujourd’hui qu’il en consommait de grosses quantités. C’est peut-être pour cela qu’il avait mal réagi à la description de narco-trafiquant latino que j’en avais fait à l'époque. J’avais touché sans le vouloir un aspect caché de sa personnalité. (37)
Exception faite du texte de M. Beaudoin, les médias ont vite fait d’enterrer l’affaire. Tabou oblige…
Cette révélation nous permet néanmoins de regarder sous un éclairage différent certains des agissements assez singuliers du personnage Vaugeois. « Il pouvait m’appeler à trois heures le matin pour me demander ce que je pensais de telle ou telle affaire », se rappelait l’ex-député conservateur Michel Champagne, qui avait été des « Conspirateurs de l’an 2000 ». « Il n’était pas évident à suivre », ajouta-t-il.
M. Yvon Picotte a également confié avoir été réveillé à trois heures du matin par un Sylvain Vaugeois qui était tout excité par une nouvelle trouvaille. Même son de cloche du côté du maire de Trois-Rivières, M. Lucien Mongrain. « Il arrivait qu’il m’appelle à six heures du matin pour me dire qu’il venait de lui passer une idée par la tête ! » Avec sa mort, on peut aujourd’hui soupçonner qu’il y avait un ingrédient secret qui le tenait réveillé la nuit. (38)
Certains se demanderont peut-être si les circonstances entourant la mort de M. Vaugeois sont vraiment une information d’intérêt public. Elles le sont dans la mesure où elles nous permettent de mieux cerner ce personnage particulier qui avait fini par devenir public et influent.
Elles le sont ne serait-ce qu’en raison du fait que M. Vaugeois s’était fait le porte-parole d’une campagne anti-drogue en 1991. D’ailleurs, ce n’était sans doute pas le fruit du hasard si cette campagne s’appelait « Jamais seul », tandis que le livre de M. Baril, dont il s’était fait le promoteur, portait le titre « Tu ne sera plus jamais seul ». On pourrait mettre notre main au feu qu’il s’agissait-là d’un concept signé Vaugeois.
Bref, c’est un peu comme il avait traité la lutte anti-drogue comme un autre produit de plus dont il se faisait le promoteur. On peut aujourd’hui mieux saisir le sens de ses paroles, lorsqu’il déclarait au journaliste René Vézina de la revue Commerce : « Je ne me suis pas embarqué là-dedans par vertu. Il fallait que j’aide d’autres personnes à se rétablir. »
Il avait fait de la Santé un de ses principaux produits de vente. Mais derrière son discours pro-Santé se cachait un homme adepte d’un poison toxique notoire : la cocaïne.
On peut d’ores et déjà présumer que la consommation de drogues entre MM. Vaugeois et Baril ne s’était pas limitée à un petit trip d’ecstasy en Californie, en 1983. On peut même certainement prendre pour acquis que M. Vaugeois faisait partie du petit « cercle des sniffeux » de M. Baril. L’un en est sorti. L’autre y est resté.
On ne saura sans doute jamais quel rôle la dope a-t-elle jouée, si elle en a jouée un, dans le processus créatif de M. Vaugeois. En mourrant prématurément, M. Vaugeois emporta vraisemblablement avec lui un certain nombre de secrets.
Sources :
(28) Commerce, « Les idées de grandeur de Sylvain Vaugeois », par René Vézina, Mai 1998, p. 58.
(29) Les Affaires, « Québec donne des millions pour créer des emplois... existants », par Stéphane Labrèche, 8 janvier 2000.
(30) Le Devoir, « Encore les amis », par Michel David, 19 mars 2002.
(31) La Presse, « Landry a agi comme consultant pour Vaugeois », par Denis Lessard, 21 mars 2002.
(32) Commerce, « Les idées de grandeur de Sylvain Vaugeois », par René Vézina, Mai 1998, p. 58.
(33) Le Droit, « www.milliards.qc.ca », par Michel Vastel, 18 octobre 1999.
(34) Transcription de la Commission Gomery, journée du 2 décembre 2004, p. 56 à 61.
(35) Le Devoir, « Mort subite à 46 ans d’un homme d’affaires iconoclaste—Sylvain Vaugeois n’a pas eu le temps de réaliser son dernier projet », par Alec Castonguay, 26 août 2003.
(36) Le Nouvelliste, « Sylvain Vaugeois victime d’une surdose de cocaïne », par Presse Canadienne, 30 janvier 2005.
(37) Le Nouvelliste, « Sylvain Vaugeois, il en avait plus que la tête », par Jean-Marc Beaudoin, 29 janvier 2005.
(38) Le Nouvelliste, « Un conspirateur aux idées ambitieuses—Sylvain Vaugeois ne laissait personne indifférent », « Le père du projet du lac Mékinac n’est plus—Sylvain Vaugeois meurt d’un arrêt cardiaque à l’âge de 46 ans », par Guy Veillette, mardi 26 août 2003 ; Le Nouvelliste, « Un départ qui ne laisse personne indifférent », par Martin Francoeur, 30 août 2003.