Le cas de Gilles Baril

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Cocaïne et politique au Québec -partie 3

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M. Gilles Baril est assurément le premier politicien québécois à avoir brisé le tabou sur la consommation de cocaïne en milieu politique. En ce sens, il fit figure de pionnier.

En 1991, VLB éditeur publie son livre, une autobiographie, intitulée « Tu ne sera plus jamais seul », dans lequel M. Baril confesse son passé de cocaïnomane tout en livrant un regard introspectif sur ses propres faiblesses.

À l’instar de M. Bertrand, les problèmes de toxicomanie de M. Baril semblent être intimement liés à sa carrière politique.

En effet, M. Baril raconte dans son livre qu’il a sniffé sa première ligne de coke lorsqu’il remporta sa première élection et devint député du comté de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, le 13 avril 1981, à l’âge de seulement 24 ans. Celui que l’on surnommait alors « Ti-Cul Baril » venait d’accomplir tout un exploit en détrônant un poids lourd de la politique provinciale, le créditiste Camil Samson.

M. Baril incarnait alors le prototype du jeune politicien dévoré par l’ambition, celui qui est convaincu d’être destiné à remplir un rôle important dans l’histoire québécoise. Comme plusieurs députés d’arrière-banc, M. Baril se voyait faire son entrée au Conseil des ministres. Mais la porte du gouvernement lui restera fermée.

Le « high » de la victoire laissera progressivement place à des sentiments beaucoup plus amers. Le premier ministre René Lévesque choisira un autre jeune député, beaucoup plus discipliné que lui, pour être son porte-parole jeunesse, M. Jean-Pierre Charbonneau. C’est dans ces circonstances que le député Baril se rapproche de M. Bernard Landry, qui fait alors de lui son adjoint parlementaire. C’est le début d’une longue amitié, qui s’étira sur une quinzaine d’années.

En attendant, le jeune député s’enfonce toujours plus profondément dans la dope. En l’espace de deux ans, écrit M. Baril, « je passais lentement—mais combien sûrement—du stade de consommateur occasionnel d’alcool ou de cocaïne, à celui de consommateur régulier. (…) De celui qui ne consommait de la cocaïne qu’en dilettante, parce que ça faisait bien dans les salons, j’en suis arrivé à celui qui travaillait pour la coke, et qui sniffait pour travailler. » (17)

Confirmant l’ampleur du « fléau » qu’évoquaient les journalistes de La Presse, M. Baril mentionne aussi qu’il avait trouvé, à l’Assemblée nationale, quelques collègues pour être ses partenaires dans ses trips de poudre. « Mais je ne suis pas le seul à en consommer », peut-on lire. « Je me souviens de m’être retrouvé avec d’autres députés pour sniffer quelques lignes. » (18)

C’est à cette époque que M. Baril et son ami Sylvain Vaugeois prennent la tête d’un groupe appelé les « Conspirateurs de l’an 2000 », qui publia un manifeste du même nom sur leur vision de la société québécoise. Outre MM. Baril et Vaugeois, le groupe incluait des personnalités telles que M. Camille Laurin, dit le « père de la loi 101 », M. Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil, M. Jacques Languirand, animateur à Radio-Canada, ainsi que M. Michel Champagne, qui sera élu député du Parti conservateur par la suite.

Ce groupe était directement inspiré par Mme Marilyn Ferguson, auteure californienne d’ouvrages best-sellers tels que « Les Enfants du Verseau », « La Révolution du Cerveau » et, évidemment, « La Conspiration de l’an 2000 »… Pionnière du mouvement Nouvel-Âge, Mme Ferguson, qui est aussi une bonne amie de celui qui se fait appeler « le père du LSD », M. Thimoty Leary, parle d’une « révolution chimique » dans le cerveau comme étant « la seule révolution à faire », écrit M. Baril.

Au cours de l’été de 1983, MM. Baril, Vaugeois et M. Jean Couture s’étaient d’ailleurs rendus en Californie, où ils passèrent trois jours en compagnie de Mme Ferguson. C’est à cette occasion qu’elle fait découvrir à ses visiteurs québécois « cette drogue magique qu’on appelle le MDMA », le fameux esctasy. M. Baril résume ainsi son trip : « Nous sombrons littéralement dans l’extase, rien de moins. »(19)

« C’était un foireux, comme on l’était tous à l’époque », dira de lui M. François Houle, un ami de longue date qui était alors un leader dans le mouvement étudiant. De moins en moins motivé par la politique, M. Baril en vient à frayer avec le milieu artistique montréalais, délaissant peu à peu son travail au bureau de comté de Rouyn. En 1984, le député Baril s’était même brièvement lancé dans la chanson, enregistrant un disque 45 tours du nom de « Rock’n Rêve ». (20)

Parmi ses plus proches amis dans le show-business, on compte le chanteur Claude Dubois, un co-Conspirateur de l’an 2000 qui montera le voir à Rouyn sur sa Harley. En 1981, le même Dubois avait été déclaré coupable de trafic d’héroïne et de possession de cocaïne et d’héroïne au terme d’un procès devant jury et avait été condamné à 22 mois d’emprisonnement. (21)

(En fait, M. Dubois passa deux mois en prison et purgea le reste de sa sentence au centre de désintoxication Le Portage. Il avait été défendu par l’avocat Serge Ménard, futur ministre de la sécurité publique. Notons aussi que l’ancien président de l’Assemblée nationale, Jean-Noël Lavoie, dont la fille, Martine, était alors la copine et compagne de vie du chanteur, s’était porté garant pour un montant de 10 000$ lors de la remise en liberté de M. Dubois. Député libéral du comté de Laval pratiquement sans interruption de 1960 à 1981, M. Lavoie devint par la suite président-fondateur du centre pour toxicomanes La Maisonnée de Laval.)

Lorsqu’il est battu aux élections de 1985, M. Baril liquide tout ce qu’il possède et part pour l’Amérique Latine. Il visite la Colombie, l’Équateur et le Pérou, et son voyage s’éternise. « Et si ce n’était de la coke—de sa qualité et de son prix—je repartirais », écrit-il dans son livre. M. Baril passera en tout huit mois à faire le party dans les pays de cordillère des Andes.

À Lima, au Pérou, il entre—à titre de visiteur—dans la prison de Lurigancho, qui avait défrayé les manchettes au Québec lorsqu’une série d’articles parus dans Le Journal de Québec avait exposé le sort peu enviable fait aux prisonniers originaires du Québec. M. Paul Chrétien, le neveu de l’ex-premier ministre canadien Jean Chrétien, fut sans conteste le prisonnier Québécois le plus célèbre de Lurigancho, où il fut détenu, entre 1978 et 1981, après qu’il se soit fait prendre avec une quantité de cocaïne suffisante pour justifier des accusations de narco-trafic. (22)

De retour au Québec, M. Baril compléta sa cure de désintoxication, fin 1986. Depuis, il n’a plus jamais rechuté. Par contre, M. Baril replongea en politique à l’occasion des élections provinciales de 1989. Mais il est battu dans le comté de Bourget par seulement 132 votes. L’année suivante, il décroche le poste de directeur général au centre de désintoxication Pavillon du Nouveau Point de Vue, où il avait suivi sa cure.

Et, en janvier 1991, M. Baril décide de dévoiler publiquement son passé de cocaïnomane à l’émission Le Match de la vie, animée par un ancien collègue péquiste, M. Claude Charron. Toutefois, cette confession publique n’est pas allée sans porter ombrage à sa carrière politique, comme il l’écrit dans son livre :

« C’est ainsi que j’ai été obligé, quelques semaines après la diffusion du Match de la vie, d’abandonner l’idée de poser ma candidature dans le comté de Bourget à la prochaine élection. L’exécutif du comté n’a pas accepté cette confession publique : “Tu ne passeras pas la prochaine élection après ça?, m’a-t-on dit clairement. “T’aurais dû garder ça secret?, “T’aurais dû cacher ça?, “Ça ne regarde personne? » (23)

Il a joué franc-jeu et l’exécutif de son parti le condamne. C’est le prix à payer pour avoir brisé un tabou très sensible, celui de la consommation de drogue dans les cercles politiques.

Qu’à cela ne tienne, lors des élections provinciales de 1994, M. Baril se présente tout de même sous la bannière du Parti québécois, cette fois-ci dans le comté de Berthier, où il est élu, contredisant ainsi l’exécutif de Bourget qui voyait en lui un politicien fini. Après avoir été réélu lors des élections suivantes, en 1998, qu’il accède, par la petite porte, au Conseil des ministres.

Mais c’est vraiment au début de 2001, lorsque M. Bernard Landry succède à M. Lucien Bouchard au poste de premier ministre, que M. Baril commence vraiment à prendre du galon. Fidèle lieutenant et homme de confiance de M. Landry, M. Baril connaîtra une ascension spectaculaire durant laquelle il deviendra brièvement un des gros canons du régime avant de mettre fin à sa carrière dans le déshonneur, un an plus tard.

M. Landry le nomme tout d’abord ministre d’État aux Régions, ministre de l’Industrie et du Commerce et ministre responsable du Loisir et du Sport, le 8 mars 2001. Parallèlement à cela, M. Baril hérite également de la responsabilité de l’organisation électorale du Parti Québécois. Voilà une situation qui le place potentiellement dans une situation de conflit d’intérêt permanent.

Car M. Baril se retrouve à la fois à la tête de deux ministères (Industrie, Régions), qui sont tous deux de gros distributeurs en subventions, tout en devant assurer la victoire du PQ aux prochaines élections. « Le mariage de ces responsabilités est toujours suspect », écrira plus tard à ce sujet l’éditorialiste J-Jacques Samson.

Mais il se trouvait toutefois des gens pour prétendre qu’à cause, justement, de la victoire personnelle de M. Baril sur ses vieux démons, celui-ci saura garder la tête haute et éviter de se ramasser dans le pétrin.

L’ancien ministre libéral Yvon Picotte, qui avait succédé à M. Baril à la tête du Pavillon du Nouveau Point de Vue, était de ceux-là. « Avec tout ce qu’il a traversé, je dirais maintenant qu’il sera le ministre le plus fiable pour Bernard Landry. Quand on change ainsi de mode de vie, qu’on opte pour une rigoureuse honnêteté, on sait qu’on ne peut plus être “phon?... bluffer les gens », a déclaré M. Picotte peu après la nomination de M. Baril au sein du gouvernement Landry.« Il vérifie, il contre-vérifie, il est déterminé à ne pas faire de gaffes », avait aussi confié un aparatchik politique au journaliste Denis Lessard de La Presse. (24)

Néanmoins, ces précautions se révéleront nettement insuffisantes. Car, en janvier 2002, La Presse publie une série d’articles exposant les liens embarrassants entre M. Baril et une firme de consultants appelé Oxygène 9. Le quotidien avait entre autres révélé que M. Baril s’était rendu au Mexique avec son ami lobbyiste André Desroches, dont la firme Oxygène 9 avait largement profité de ses relations étroites avec le régime péquiste. (25)

M. Desroches était payé par des entreprises privées pour préparer leur dossier en vue d’obtenir une aide financière de la société d’État Investissement Québec. Ainsi, la firme Oxygène 9 toucha des sommes importantes pour avoir agit comme intermédiaire lors de l’octroi de subventions pour des événements tel que le Festival de Jazz, le Festival Juste pour Rire, le Carnaval de Québec et le Grand Prix de Trois-Rivières.

Or, M. Desroches fut un organisateur politique de M. Baril dans le comté de Berthier jusqu’en 1998. Mais la relation entre les deux hommes ne s’arrête pas là. Car M. Baril se trouve aussi à être le « parrain de sobriété » de M. Desroches, après avoir aidé ce dernier à vaincre son problème de toxicomanie lors d’une thérapie au Pavillon du Nouveau Point de Vue. (26)

Créé en février 1999, Oxygène 9 compte parmi ses fondateurs un certain Jean-René Gagnon, une personnalité de la famille libérale qui avait été associée à des affaires louches durant les années ’70 à l’occasion des travaux de la légendaire Commission d’enquête sur le crime organisé (CECO). À l’époque du régime de M. Bourassa, M. Gagnon avait exercé la fonction de chef de cabinet de M. Pierre Laporte, l’ancien vice-premier ministre qui a péri durant la Crise d’Octobre. (27)

Durant l’été de 1973, M. Gagnon s’était retrouvé au centre d’un scandale exposant les liens occultes qui avaient existé entre l’organisation politique de M. Laporte et des membres de la mafia de Montréal.

On apprenait alors que M. Gagnon avait servi de liaison entre M. Laporte et un caïd du clan Cotroni, M. Frank Dasti, durant la course à la chefferie du Parti libéral du Québec, lors de laquelle M. Laporte s’était porté candidat, ainsi que lors des élections générales d’avril 1970, que remportèrent les libéraux. M. Dasti, qui sera plus tard condamné à 20 ans d’emprisonnement aux États-Unis dans une affaire de narco-trafic, était alors perçu comme une source de financement prometteuse par les organisateurs politiques du clan Laporte, incluant M. Gagnon.

Lors du remaniement ministériel du 30 janvier 2002, M. Landry confie à M. Baril les fonctions de ministre d’État aux Ressources naturelles et aux Régions, ministre des Ressources naturelles et ministre responsable du développement du Nord québécois. Puis, à la surprise générale, M. Baril démissionne brusquement de toutes ses fonctions ministérielles le 12 février 2002.

Pleurant à chaudes larmes devant les caméras, M. Baril déclare ne plus être capable de supporter la pression médiatique. Il démissionne ensuite de son siège de député de Berthier le 12 mai suivant. Un mois plus tard, il est nommé directeur du bureau d’Hydro-Québec International à Santiago, au Chili. Depuis, il fit peu parler de lui.

Mais cette affaire ne sera que la première d’une série de révélations sur les liens entre le gouvernement péquiste et les « amis du régime ». Des affaires qui puaient le trafic d’influence à plein nez, et qui contribueront à discréditer le PQ auprès d’une partie de l’électorat. Les médias parlaient alors d’un gouvernement en crise.

(suivant)

Sources :

(17)    « Tu ne sera plus jamais seul », par Gilles Baril (1991), VLB Éditeur, p.38 et 39.
(18)    Op. cit., p.66.
(19)    Op. cit., p.54.
(20)    La Presse, « Gilles Baril, conspirateur de l’an 2001 », par Denis Lessard, 17 mars 2001.
(21)    Le Devoir, « Possession et trafic d’héroïne—Dubois reconnu coupable », 6 juillet 1981.
(22)    « Chrétien—The will to win », by Lawrence Martin (1995), Lester Publishin, p. 297 & 298. M. Paul Chrétien a d’ailleurs écrit son propre livre sur son expérience carcérale au Pérou, qui est paru en 1983 aux Éditions Québécor sous le titre « Pour quelques grammes d’illusion ».
(23)    Op. cit., p.140 et 141.
(24)    La Presse, « Gilles Baril, conspirateur de l’an 2001 », par Denis Lessard, 17 mars 2001.
(25)    La Presse, « Un lobbyiste monnaie grassement ses accès auprès du ministre Baril », par Denis Lessard, 17 janvier 2002.
(26)    Le Soleil, « Lobby controversé auprès du ministre de l’Industrie et du Commerce : “Basse mesquineri?, se défend Gilles Baril », par Valérie Lesage et Annie Morin, 18 janvier 2002.
(27)    « Le crime organisé à Montréal (1940-1980) », Pierre de Champlain (1986), Éditions Asticou, p.207 à 218.
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S
<br /> Wow, un véritable roman! Bravo pour votre blogue, je vais le suivre avec intérêt!<br /> <br /> <br />
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