Quand Warren Kinsella se fait le porte-étendard de la contre-culture punk
Dossier Warren Kinsella -partie 7
(précédent)
Comme on a pu le voir, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts (et beaucoup de fric s’est accumulé dans son compte de banque…) depuis la belle époque où Warren Kinsella grattait une basse dans The Hot Nasties. En fait, non seulement M. Kinsella a-t-il changé, mais la scène punk traversa, elle aussi, d’importantes métamorphoses.
En 2005, le moins que l’on puisse dire c’est que le phénomène punk n’est plus confiné à la scène underground. Contrairement aux années ’80, il existe aujourd’hui un marché lucratif pour les « produits punks ». Un marché qui, comme l’a sans doute compris M. Kinsella, a le potentiel de faire de son livre un best-seller.
Car, évidemment, le livre de l’ex-stratège libéral s’adresse à un public large, ce qui inclut autant les initiés que les nouveaux fans. À ses lecteurs, il offre une visite guidée des différentes tendances qui caractérisent la diversité de la contre-culture punk, incluant le courant Straight Edge, le Oi, le punk engagé, le punk mainstream, le punk gay, le punk féministe, etc. Il consacre même un chapitre entier à l’éthique D.I.Y., ou « Do-it-yourself » (« Fais-le toi-même »).
Pour insuffler une dose de crédibilité à son livre « Fury’s Hour », M. Kinsella interviewa quelques gros noms du mouvement punk, incluant Ian MacKaye (ex-Minor Threat, Fugazi), Billy Idol (?), Joey “Shithead” Keithly (D.O.A.) et Brett Gurewitz (Bad Religion).
Tel un pape qui excommunie les hérétiques, M. Kinsella qualifia Johnny Rotten des Sex Pistols de « vendu ». Son péché ? Il a refusé d’accorder une entrevue à M. Kinsella pour son livre. En fait, il a même fait plus que ça : il a averti Warren Kinsella que, s’il le trouverait sur son chemin, il passerait un « sérieux mauvais quart d’heure » ! (Même si on ignore tout des motifs réels qui incitèrent M. Rotten à se montrer si hostile, il y a tout de même une partie à l’intérieur de nous qui à envie de dire : Bravo, Johnny!).
Il affirme aussi que The Clash et Iggy Pop vivront pour toujours dans l’infamie pour avoir accepté de vendre les droits de certaines de leurs chansons pour en faire des commerciaux à la télé. Non mais, regardez un peu qui parle ! Après avoir été avocat, journaliste, stratège libéral, chef de cabinet et lobbyiste, M. Kinsella se croit-il vraiment bien placé pour prêcher la rectitude punk ? Celui-ci confesse d’abord qu’il n’est plus aussi radical qu’il l’avait été jadis. « Oui, je suis devenu celui que je cherchais à détruire autrefois », écrit-il, avant d’ajouter : « Big fucking deal ».
« En politique, je n’ai jamais cessé d’être entièrement un punk », prétend encore aujourd’hui M. Kinsella à qui veut l’entendre. « Je suis toujours emballé par la musique, et j’admire toujours pratiquement chaque punk que je croise sur la rue—pour leur refus de se conformer, pour leur cran, pour leur passion, pour leur engagement », écrit-il. (44)
Il y a peut-être un petit quelque chose de « punk » dans le fait d’élever l’insulte au rang du septième art, comme le fait M. Kinsella à titre de « spin doctor » pour les libéraux depuis les quinze dernières années. Il est d’ailleurs vraisemblable que c’est dans la scène punk de Calgary qu’il développa son sens de l’irrévérence qui deviendra plus tard son fond de commerce, lui qui, déjà à l’époque des Social Blemishes, écrivait des chansons à propos des gens qui l’ennuyait.
Mais, sa plume incendiaire, il choisira de la mettre au service de la grande famille libérale fédérale. De toute évidence, M. Kinsella constitua un atout de valeur pour M. Chrétien et son équipe. En effet, qui peut être mieux placé qu’un transfuge de la scène punk pour décrypter l’humeur cynique de l’électorat canadien vis-à-vis de la classe politique ? C’est aussi à ça que servent les stratèges en politique.
Or, si M. Kinsella adore varger sur ses adversaires, réels ou imaginaires, on ne peut pas en dire autant lorsque c’est lui qui reçoit les coups. Ainsi, en octobre 2004, le site web BlogsCanada rapportait que M. Kinsella avait acheminé des mises en garde tenant lieu, sur le plan légal, de véritables mises en demeure à pas moins de quatre blogueurs différents pour des commentaires peu élogieux à son égard qu’ils avaient publié sur internet. (45)
L’un d’eux avait accusé un peu gratuitement M. Kinsella d’être « complice » dans la mort accidentelle d’un soldat canadien. Pourquoi ? Parce que, selon le blogueur, la mort du soldat aurait peut-être pu être évitée n’eut été des compressions budgétaires effectuées sur le budget de la Défense nationale par le régime Chrétien, dont M. Kinsella fut et continue d’être l’éternel défenseur. Un autre blogueur avait quant à lui qualifié de « retardés » les parents de M. Kinsella. Mauvais timing, car le père de celui-ci venait récemment de rendre l’âme, ce qu’ignorait alors le blogueur. Qu’à cela ne tienne, il fit lui aussi l’objet d’une mise en demeure.
Dans chacun des cas, les blogueurs obtempérèrent et retirèrent les commentaires soi-disant « diffamatoires » après que M. Kinsella eut menacé de les traînés devant les tribunaux. À chaque fois, les blogueurs expliquèrent qu’ils n’avaient pas les connaissances juridiques, ni les fonds nécessaires, pour se défendre dans un procès au civil en libelle diffamatoire. Après tout, c’est M. Kinsella qui est avocat. Pas eux.
D’une façon ou d’une autre, peut-on imaginer quelque chose de plus anti-punk que de brandir l’épée de la loi contre ses détracteurs ? Difficilement.
Bref, M. Kinsella n’est pas plus punk aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque où il écrivait les discours de Jean Chrétien. C’est si évident qu’il est presque loufoque d’avoir à le dire et le redire. Si évident que même un journaliste du Globe and Mail décrivait « Fury’s Hour » comme étant « un trip de nostalgie d’un dinosaure punk et, ah oui, d’un vendu total ». (46)
M. Kinsella n’a aucune qualification pour présenter la contre-culture punk comme un outil pour le changement social, lui qui fut un défenseur indéfectible d’un gouvernement qui est probablement allé plus loin que n’importe quel autre de ses prédécesseurs dans le démantèlement des programmes sociaux.
Il n’est pas plus qualifié pour écrire sur l’éthique D.I.Y., lui, qui a eu recours au conglomérat de l’édition Random House pour publier « Fury’s Hour ». Autant demander à un aveugle de décrire des couleurs.
De plus, le culte de la personnalité que M. Kinsella a entretenu à l’égard de Jean Chrétien le rend également inapte à assumer le rôle de porte-étendard de la contre-culture punk qu’il s’est lui-même attribué. On soutiendra, avec justesse, que la scène punk n’est plus ce qu’elle était. Mais cela n’enlève rien au fait que l’esprit punk originel, celui auquel Warren Kinsella fait référence dans « Fury’s Hour », c’était celui de la révolte sans compromission, c’était le plaisir de porter outrage à l’autorité, c’était la résistance au conformisme étouffant.
Or, il est frappant de constater à quel point M. Jean Chrétien, lui, représente des valeurs tout à fait inverses : un pouvoir autoritaire exercé avec une main de fer. En fait, on peut même aller jusqu’à dire que le régime Chrétien fut marqué par une spectaculaire escalade de la répression policière à l’égard du phénomène contestataire. Tout au long de son règne (1993-2003), l’hostilité violente que ressent M. Chrétien à l’égard de l’opposition de la rue ne s’est pas démentie.
Rappelons qu’en février 1996, M. Chrétien posait un geste sans précédent pour un premier ministre canadien en exercice en agressant physiquement un manifestant du nom Bill Clennet sous l’œil incrédule des caméras de télévision simplement parce que celui-ci se trouvait sur son chemin.
Rappelons aussi qu’en novembre 1997, des manifestants totalement inoffensifs avaient été généreusement arrosés de poivre de Cayenne par la GRC en marge du sommet de l’APEC, à Vancouver. Par la suite, M. Chrétien avait affiché son insensibilité face au traitement brutal subi par les manifestants, en lançant, à la blague, que lui, le poivre, il le met dans son assiette. Dans son rapport, le commissaire Ted Hughes, qui mena une enquête sur ces événements, blâma des membres du bureau du premier ministre pour avoir fait pression sur la GRC, mais épargna leur patron, M. Chrétien.
Mais les abus à l’APEC parurent bien pâles en comparaison avec le déchaînement de violences policières qui caractérisa le Sommet des Amériques, à Québec, en avril 2001, au cours duquel pas moins de 5000 canettes de gaz lacrymogènes furent utilisées pour étouffer la contestation. C’était encore le régime Chrétien qui décida d’entourer cette rencontre internationale de mesures de sécurité d’une ampleur jamais vue au Canada, incluant la mobilisation de quelques 6000 flics armés jusqu’aux dents et l’érection d’un gigantesque périmètre de sécurité.
Bien entendu, il ne fallait pas compter sur Warren Kinsella pour prendre sympathiser avec les manifestants. Au lieu de cela, M. Kinsella s’est employé à salir les opposants au Sommet des Amériques, en dénonçant une soi-disant alliance entre l’extrême gauche et l’extrême droite (!) qui auraient subitement « joint leurs forces pour s’opposer à la réglementation du commerce libéralisé », selon lui. (47)
En réalité, s’il avait prit la peine de venir constater par lui-même, M. Kinsella aurait cherché longtemps avant de trouver des suppôts du fascisme parmi les quelques 60 000 militants étudiants, anarchistes, communistes, syndiqués, féministes, etc., qui prirent la rue cette fin de semaine là. Sans oublier les incontournables contingents de punks qui, comme c’est souvent le cas, se retrouvèrent sur la ligne de front à livrer bataille au péril de leur intégrité physique.
M. Kinsella conclut son « analyse » en disant qu’il « soupçonne que les Canadiens ordinaires en ont plutôt marre de ce genre de « confrontation » ». Jamais M. Kinsella n’exprima de préoccupation relativement aux enjeux de fond—la création de la Zone de libre-échange des Amériques—qui suscitaient tant de grogne au sein de la gauche canadienne.
Être un big-shot de la politique politicienne est définitivement et irrémédiablement incompatible avec tout ce que peut prôner et représenter la contre-culture punk. Prétendre le contraire relève de la fraude intellectuelle pure et simple.
Pire qu’un poseur, M. Kinsella est ni plus ni moins qu’un profanateur. Il a amplement fait la preuve qu’il n’a plus sa place aux côtés de jeunes révoltés. Et il ne fait qu’aggraver son cas en essayant de se faire du fric avec un bouquin sur la contre-culture punk. En s’autoproclamant porte-parole de la contre-culture punk, il ne fait que satisfaire son propre ego.
Résultat : la contre-culture punk s’en retrouve plus que jamais discréditée.
La question n’est pas tellement de savoir pour qui se prend-il. Non, en fait, ce qu’il faut se demander, c’est : pour quels genre d’imbéciles nous prend-il ? Sûrement pour des imbéciles heureux qui ne se posent pas de trop question sur ceux qui s’autoproclament du jour au lendemain comme étant des experts en matière révolte contre-culturelle.
Non mais, Warren Kinsella, un punk ? Vous vous foutez de ma gueule ?!?!
M. Kinsella a choisi son camp. Alors qu’il l’assume !
Sources :
(44) Globe and Mail, « Political punk », by Jen Gerson, August 20, 2005.
(45) HTTP://WWW.BLOGSCANADA.CA/EGROUP/COMMENTVIEW.ASPX?GUID=4963EE56-C66C-4476-B444-AA4EF74EF040
(46) Globe and Mail, “The short neocon trip from punk to Karl Rove”, by Carl Wilson, August 27, 2005.
(47) http://www.warrenkinsella.com/words_extremism_qc.htm
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Comme on a pu le voir, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts (et beaucoup de fric s’est accumulé dans son compte de banque…) depuis la belle époque où Warren Kinsella grattait une basse dans The Hot Nasties. En fait, non seulement M. Kinsella a-t-il changé, mais la scène punk traversa, elle aussi, d’importantes métamorphoses.
En 2005, le moins que l’on puisse dire c’est que le phénomène punk n’est plus confiné à la scène underground. Contrairement aux années ’80, il existe aujourd’hui un marché lucratif pour les « produits punks ». Un marché qui, comme l’a sans doute compris M. Kinsella, a le potentiel de faire de son livre un best-seller.
Car, évidemment, le livre de l’ex-stratège libéral s’adresse à un public large, ce qui inclut autant les initiés que les nouveaux fans. À ses lecteurs, il offre une visite guidée des différentes tendances qui caractérisent la diversité de la contre-culture punk, incluant le courant Straight Edge, le Oi, le punk engagé, le punk mainstream, le punk gay, le punk féministe, etc. Il consacre même un chapitre entier à l’éthique D.I.Y., ou « Do-it-yourself » (« Fais-le toi-même »).
Pour insuffler une dose de crédibilité à son livre « Fury’s Hour », M. Kinsella interviewa quelques gros noms du mouvement punk, incluant Ian MacKaye (ex-Minor Threat, Fugazi), Billy Idol (?), Joey “Shithead” Keithly (D.O.A.) et Brett Gurewitz (Bad Religion).
Tel un pape qui excommunie les hérétiques, M. Kinsella qualifia Johnny Rotten des Sex Pistols de « vendu ». Son péché ? Il a refusé d’accorder une entrevue à M. Kinsella pour son livre. En fait, il a même fait plus que ça : il a averti Warren Kinsella que, s’il le trouverait sur son chemin, il passerait un « sérieux mauvais quart d’heure » ! (Même si on ignore tout des motifs réels qui incitèrent M. Rotten à se montrer si hostile, il y a tout de même une partie à l’intérieur de nous qui à envie de dire : Bravo, Johnny!).
Il affirme aussi que The Clash et Iggy Pop vivront pour toujours dans l’infamie pour avoir accepté de vendre les droits de certaines de leurs chansons pour en faire des commerciaux à la télé. Non mais, regardez un peu qui parle ! Après avoir été avocat, journaliste, stratège libéral, chef de cabinet et lobbyiste, M. Kinsella se croit-il vraiment bien placé pour prêcher la rectitude punk ? Celui-ci confesse d’abord qu’il n’est plus aussi radical qu’il l’avait été jadis. « Oui, je suis devenu celui que je cherchais à détruire autrefois », écrit-il, avant d’ajouter : « Big fucking deal ».
« En politique, je n’ai jamais cessé d’être entièrement un punk », prétend encore aujourd’hui M. Kinsella à qui veut l’entendre. « Je suis toujours emballé par la musique, et j’admire toujours pratiquement chaque punk que je croise sur la rue—pour leur refus de se conformer, pour leur cran, pour leur passion, pour leur engagement », écrit-il. (44)
Il y a peut-être un petit quelque chose de « punk » dans le fait d’élever l’insulte au rang du septième art, comme le fait M. Kinsella à titre de « spin doctor » pour les libéraux depuis les quinze dernières années. Il est d’ailleurs vraisemblable que c’est dans la scène punk de Calgary qu’il développa son sens de l’irrévérence qui deviendra plus tard son fond de commerce, lui qui, déjà à l’époque des Social Blemishes, écrivait des chansons à propos des gens qui l’ennuyait.
Mais, sa plume incendiaire, il choisira de la mettre au service de la grande famille libérale fédérale. De toute évidence, M. Kinsella constitua un atout de valeur pour M. Chrétien et son équipe. En effet, qui peut être mieux placé qu’un transfuge de la scène punk pour décrypter l’humeur cynique de l’électorat canadien vis-à-vis de la classe politique ? C’est aussi à ça que servent les stratèges en politique.
Or, si M. Kinsella adore varger sur ses adversaires, réels ou imaginaires, on ne peut pas en dire autant lorsque c’est lui qui reçoit les coups. Ainsi, en octobre 2004, le site web BlogsCanada rapportait que M. Kinsella avait acheminé des mises en garde tenant lieu, sur le plan légal, de véritables mises en demeure à pas moins de quatre blogueurs différents pour des commentaires peu élogieux à son égard qu’ils avaient publié sur internet. (45)
L’un d’eux avait accusé un peu gratuitement M. Kinsella d’être « complice » dans la mort accidentelle d’un soldat canadien. Pourquoi ? Parce que, selon le blogueur, la mort du soldat aurait peut-être pu être évitée n’eut été des compressions budgétaires effectuées sur le budget de la Défense nationale par le régime Chrétien, dont M. Kinsella fut et continue d’être l’éternel défenseur. Un autre blogueur avait quant à lui qualifié de « retardés » les parents de M. Kinsella. Mauvais timing, car le père de celui-ci venait récemment de rendre l’âme, ce qu’ignorait alors le blogueur. Qu’à cela ne tienne, il fit lui aussi l’objet d’une mise en demeure.
Dans chacun des cas, les blogueurs obtempérèrent et retirèrent les commentaires soi-disant « diffamatoires » après que M. Kinsella eut menacé de les traînés devant les tribunaux. À chaque fois, les blogueurs expliquèrent qu’ils n’avaient pas les connaissances juridiques, ni les fonds nécessaires, pour se défendre dans un procès au civil en libelle diffamatoire. Après tout, c’est M. Kinsella qui est avocat. Pas eux.
D’une façon ou d’une autre, peut-on imaginer quelque chose de plus anti-punk que de brandir l’épée de la loi contre ses détracteurs ? Difficilement.
Bref, M. Kinsella n’est pas plus punk aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque où il écrivait les discours de Jean Chrétien. C’est si évident qu’il est presque loufoque d’avoir à le dire et le redire. Si évident que même un journaliste du Globe and Mail décrivait « Fury’s Hour » comme étant « un trip de nostalgie d’un dinosaure punk et, ah oui, d’un vendu total ». (46)
M. Kinsella n’a aucune qualification pour présenter la contre-culture punk comme un outil pour le changement social, lui qui fut un défenseur indéfectible d’un gouvernement qui est probablement allé plus loin que n’importe quel autre de ses prédécesseurs dans le démantèlement des programmes sociaux.
Il n’est pas plus qualifié pour écrire sur l’éthique D.I.Y., lui, qui a eu recours au conglomérat de l’édition Random House pour publier « Fury’s Hour ». Autant demander à un aveugle de décrire des couleurs.
De plus, le culte de la personnalité que M. Kinsella a entretenu à l’égard de Jean Chrétien le rend également inapte à assumer le rôle de porte-étendard de la contre-culture punk qu’il s’est lui-même attribué. On soutiendra, avec justesse, que la scène punk n’est plus ce qu’elle était. Mais cela n’enlève rien au fait que l’esprit punk originel, celui auquel Warren Kinsella fait référence dans « Fury’s Hour », c’était celui de la révolte sans compromission, c’était le plaisir de porter outrage à l’autorité, c’était la résistance au conformisme étouffant.
Or, il est frappant de constater à quel point M. Jean Chrétien, lui, représente des valeurs tout à fait inverses : un pouvoir autoritaire exercé avec une main de fer. En fait, on peut même aller jusqu’à dire que le régime Chrétien fut marqué par une spectaculaire escalade de la répression policière à l’égard du phénomène contestataire. Tout au long de son règne (1993-2003), l’hostilité violente que ressent M. Chrétien à l’égard de l’opposition de la rue ne s’est pas démentie.
Rappelons qu’en février 1996, M. Chrétien posait un geste sans précédent pour un premier ministre canadien en exercice en agressant physiquement un manifestant du nom Bill Clennet sous l’œil incrédule des caméras de télévision simplement parce que celui-ci se trouvait sur son chemin.
Rappelons aussi qu’en novembre 1997, des manifestants totalement inoffensifs avaient été généreusement arrosés de poivre de Cayenne par la GRC en marge du sommet de l’APEC, à Vancouver. Par la suite, M. Chrétien avait affiché son insensibilité face au traitement brutal subi par les manifestants, en lançant, à la blague, que lui, le poivre, il le met dans son assiette. Dans son rapport, le commissaire Ted Hughes, qui mena une enquête sur ces événements, blâma des membres du bureau du premier ministre pour avoir fait pression sur la GRC, mais épargna leur patron, M. Chrétien.
Mais les abus à l’APEC parurent bien pâles en comparaison avec le déchaînement de violences policières qui caractérisa le Sommet des Amériques, à Québec, en avril 2001, au cours duquel pas moins de 5000 canettes de gaz lacrymogènes furent utilisées pour étouffer la contestation. C’était encore le régime Chrétien qui décida d’entourer cette rencontre internationale de mesures de sécurité d’une ampleur jamais vue au Canada, incluant la mobilisation de quelques 6000 flics armés jusqu’aux dents et l’érection d’un gigantesque périmètre de sécurité.
Bien entendu, il ne fallait pas compter sur Warren Kinsella pour prendre sympathiser avec les manifestants. Au lieu de cela, M. Kinsella s’est employé à salir les opposants au Sommet des Amériques, en dénonçant une soi-disant alliance entre l’extrême gauche et l’extrême droite (!) qui auraient subitement « joint leurs forces pour s’opposer à la réglementation du commerce libéralisé », selon lui. (47)
En réalité, s’il avait prit la peine de venir constater par lui-même, M. Kinsella aurait cherché longtemps avant de trouver des suppôts du fascisme parmi les quelques 60 000 militants étudiants, anarchistes, communistes, syndiqués, féministes, etc., qui prirent la rue cette fin de semaine là. Sans oublier les incontournables contingents de punks qui, comme c’est souvent le cas, se retrouvèrent sur la ligne de front à livrer bataille au péril de leur intégrité physique.
M. Kinsella conclut son « analyse » en disant qu’il « soupçonne que les Canadiens ordinaires en ont plutôt marre de ce genre de « confrontation » ». Jamais M. Kinsella n’exprima de préoccupation relativement aux enjeux de fond—la création de la Zone de libre-échange des Amériques—qui suscitaient tant de grogne au sein de la gauche canadienne.
Être un big-shot de la politique politicienne est définitivement et irrémédiablement incompatible avec tout ce que peut prôner et représenter la contre-culture punk. Prétendre le contraire relève de la fraude intellectuelle pure et simple.
Pire qu’un poseur, M. Kinsella est ni plus ni moins qu’un profanateur. Il a amplement fait la preuve qu’il n’a plus sa place aux côtés de jeunes révoltés. Et il ne fait qu’aggraver son cas en essayant de se faire du fric avec un bouquin sur la contre-culture punk. En s’autoproclamant porte-parole de la contre-culture punk, il ne fait que satisfaire son propre ego.
Résultat : la contre-culture punk s’en retrouve plus que jamais discréditée.
La question n’est pas tellement de savoir pour qui se prend-il. Non, en fait, ce qu’il faut se demander, c’est : pour quels genre d’imbéciles nous prend-il ? Sûrement pour des imbéciles heureux qui ne se posent pas de trop question sur ceux qui s’autoproclament du jour au lendemain comme étant des experts en matière révolte contre-culturelle.
Non mais, Warren Kinsella, un punk ? Vous vous foutez de ma gueule ?!?!
M. Kinsella a choisi son camp. Alors qu’il l’assume !
Sources :
(44) Globe and Mail, « Political punk », by Jen Gerson, August 20, 2005.
(45) HTTP://WWW.BLOGSCANADA.CA/EGROUP/COMMENTVIEW.ASPX?GUID=4963EE56-C66C-4476-B444-AA4EF74EF040
(46) Globe and Mail, “The short neocon trip from punk to Karl Rove”, by Carl Wilson, August 27, 2005.
(47) http://www.warrenkinsella.com/words_extremism_qc.htm