David Basi libéré des accusations de narco-trafic
Dossier drogue et politique en Colombie-Britannique -partie 8
(précédent)
En avril 2005, une nouvelle révélation inusitée est venue ajouter davantage de piquant à l’affaire Basi. Le journaliste Sean Holman dévoila que l’un des principaux enquêteurs du Projet Everywhichway avait acheté une maison de la famille Basi, à Saanich, six ans plus tôt ! Le caporal Andrew Thomas Cowan de la GRC avait en effet payé 414 900$ pour acquérir une propriété inscrite au nom de Mme Sukhbir Basi, la mère de David, en 1999. (66)
Le Cpl Cowan, qui a été jusqu’à récemment le directeur d’une association de policier chrétiens, le « Fellowship of Christian Peace Officers », expliquait au Vancouver Sun que la transaction avait été organisée via un agent immobilier. Quant à M. Basi, le Cpl Cowan affirme ne l’avoir rencontré que brièvement lors de la signature des documents relatifs au transfert de propriété, et ajoute n’avoir eu de relations avec ce dernier ni avant ni après cette date.
Le porte-parole de la GRC John Ward confirma que le Cpl Cowan avait informé ses supérieurs de cette transaction avec la famille Basi avant d’être assigné sur l’équipe d’enquêteurs du Projet Everywhichway, en octobre 2003.
Il faut croire que ceux-ci ne lui en tiendront pas rigueur puisque le Cpl Cowan sera appelé à jouer un rôle de premier plan dans l’enquête de la GRC. En effet, la dénonciation que les enquêteurs présentèrent à un juge afin d’obtenir les mandats de perquisition qui leur permettront d’entrer au parlement de C.-B. portait la signature du Cpl Andrew Cowan !
Entre-temps, certains avaient entretenu l’espoir que la Cour suprême de Colombie-Britannique accepterait peut-être de réviser sa décision de refuser de divulguer davantage d’informations relativement à l’affaire des perquisitions au parlement avant la tenue des élections provinciales de mai 2005. Ils seront amèrement déçus car le juge Patrick Dohm persistera dans son refus de céder le moindre pouce carré aux demandes de divulgation des avocats des médias.
Le 17 mai 2005, le gouvernement Campbell était reporté au pouvoir pour un nouveau mandat de quatre ans. Le nombre de députés libéraux passa alors de 76 à 46. S’il est vrai que la majorité libérale s’en est retrouvée réduite, il était peu probable que le parti de M. Campbell soit en mesure de rééditer son exploit électoral de 2001, lors duquel les libéraux avait conquis pas moins de 77 des 79 sièges de l’assemblée législative de C.-B.
Puis, coup de théâtre : les deux accusations de narco-trafic portées contre M. Basi sont discrètement abandonnées, sans tambour ni trompettes, le 24 juin 2005! La décision vient, non pas d’un juge, mais bien du bureau fédéral des procureurs de la couronne, qui relève du Procureur général du Canada, une fonction qui est assumée par le ministre de la Justice.
Le procureur de la couronne responsable du dossier Basi s’est donc prévalu de son pouvoir, qui lui est reconnu à l’article 579 du Code criminel canadien, d’ordonner l’arrêt des procédures. Pour se faire, le procureur n’a même pas eu à demander la permission à un juge : il lui a simplement suffit d’ordonner l’arrêt des procédures au greffier ou à tout autre fonctionnaire compétent du tribunal, et le tour est joué !
Si l’arrêt des procédures n’a pas le même poids symbolique qu’un acquittement formel prononcé par un juge ou un jury au terme d’un procès en bonne et due forme, il n’en demeure pas moins que l’accusé qui en bénéficie se retrouve libéré de ses accusations.
La porte-parole du ministère fédéral de la Justice, Mme Lyse Cantin, refusa d’expliquer aux journalistes les motifs de l’étrange décision de la couronne de mettre fin aux procédures criminelles engagées contre M. Basi. Il n’y a d’ailleurs rien dans la loi qui oblige le Procureur général à motiver sa décision dans de pareils cas. (67)
Par contre, l’avocat de M. Basi, Me Michael Bolton, ne se priva pas de commenter la décision de la poursuite. « En tant qu’avocat de M. Basi, je peux dire que je suis très reconnaissant que la couronne ait été ouverte à jeter un coup d’œil à ce dossier et ait été préparée à reconsidérer la question », déclara-il.
« Nous avons travaillé fort avec le ministère de la Justice pour nous assurer qu’ils aient une vue d’ensemble », ajouta Me Bolton. Selon lui, la couronne aurait décidé de mettre fin aux procédures après avoir prit connaissance d’informations qui n’étaient pas disponibles à l’origine et qui proviennent de son client, David Basi. Me Bolton n’a toutefois pas voulu révéler la nature de ces informations. (68)
On ignore d’ailleurs pourquoi les informations dont parle l’avocat n’ont pas été rendues disponibles à la couronne dès le début de l’affaire. De plus, on ignore tout autant ce qu’il est advenu du locataire de la maison de Shawnigan Lake, à savoir s’il a été accusé dans cette affaire. Aucune information n’a jamais été publiée à son sujet—en supposant qu’il existe.
Bref, encore une fois, on nage en plein mystère.
Tout ce qu’on sait avec certitude, c’est qu’il y a, quelque part, une baguette magique qui a réussi à faire disparaître les accusations de narco-trafic portées contre M. Basi.
Est-ce qu’on pourrait savoir à quoi est-ce qu’on joue ici ?
Tout d’abord, précisons que le rôle de la couronne n’est pas de décider de la culpabilité de quiconque. C’est aux tribunaux qu’il revient d’accomplir cette tache. Non, le rôle de la couronne se limite essentiellement à déterminer s’il y a matière à porter des accusations ou non. Par ailleurs, ce sont les procureurs de la couronne qui ont le pouvoir d’autoriser les chefs d’accusations criminelles, et non pas les policiers.
Pour la couronne, le pouvoir de porter des accusations criminelles est une responsabilité lourde de conséquences qui ne peut être utilisé à la légère. Or, dans l’affaire Basi, l’attitude de la couronne laisse pour le moins perplexe.
Constatez par vous-mêmes : un jour, la couronne croit qu’il y a matière à porter des accusations contre un influent organisateur politique libéral d’accusations de narco-trafic ; puis, un autre jour, la couronne conclut apparemment que la matière n’y est plus.
Or, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Soit la matière à porter des accusations a déjà existée. Ou soit, elle n’a jamais existée. C’est soit un ou soit l’autre.
De deux choses, l’une : soit David Basi était innocent depuis le début, ce qui impliquerait qu’il aurait été faussement accusé. Dans un pareil cas, M. Basi serait pleinement en droit d’exercer une poursuite civile contre le Procureur général du Canada et la GRC, et de réclamer des dédommagements financiers pour les torts subis à sa réputation et ainsi de suite.
Or, bien que cela reste encore à voir, il est peu probable que M. Basi soit tenté de se lancer dans une aventure semblable. Après tout, un procès au civil apporterait aussi son lot de d’inconvénients. Ainsi, le tribunal qui aurait à se pencher sur la poursuite de M. Basi n’aurait d’autre choix que de déterminer si la GRC disposait des motifs raisonnables de croire que l’ex-aide ministériel était impliqué dans des activités de narco-trafic et de blanchiment d’argent.
En tant qu’accusée, la GRC aurait alors tout intérêt à faire la preuve du bien-fondé de son enquête à l’égard de M. Basi. Ce qui impliquerait que le procès civil pourrait lever le voile sur une partie du mystérieux Projet Everywhichway et ainsi exposer des détails possiblement embarrassants, voire compromettants, pour M. Basi.
Un autre élément nous amène à douter que M. Basi puisse être tenté de s’adresser aux tribunaux civils pour être dédommagé. Depuis le début de l’affaire, M. Basi est demeuré aussi silencieux qu’une pierre tombale. De plus, l’influent organisateur politique a refusé toutes les demandes d’entrevue que lui ont faites les médias. Pour cette raison, M. Basi serait plutôt mal-venu de se soucier soudainement de l’intégrité de sa réputation.
Par contre, le silence de M. Basi ne doit pas faire automatiquement de lui un suspect. Peut-être n’a-t-il fait que suivre les conseils de son avocat de ne faire aucune déclaration publique (et c’est souvent le genre de conseils que les avocats sont portés à donner).
Enfin, notons aussi que dans le débat judiciaire sur les requêtes des avocats des médias demandant de rendre public les motifs policiers qui furent à l’origine de la perquisition au parlement de C.-B., la position de M. Basi a toujours été de s’opposer à la divulgation d’informations. Même que, en janvier 2004, M. Basi s’était plaint à deux reprises, via son avocat, que certains éléments d’information reliés à l’enquête policière avaient trouvé leur chemin dans les pages journaux.
D’un autre côté, il existe toujours cette possibilité bien réelle que, loin d’être une innocente victime, M. Basi a bel et bien pris part à la culture et au commerce de pot et à des activités de blanchiment d’argent. Le train de vie de flambeur de M. Basi, que son salaire d’aide ministériel ne pouvait normalement lui permettre, est un élément qui appuie cette conclusion.
Mais, si M. Basi était coupable depuis le début, cela impliquerait donc que la couronne était entièrement justifiée de porter de telles accusations. Dans une telle éventualité, comment alors explique-t-on sa décision de faire subitement marche arrière ? Était-ce une décision juridique fondée sur le droit ? Ou était-ce plutôt une décision « politique » ? Y a-t-il eu du marchandage en coulisse? Y a-t-il eu chantage ? Ce dénouement est-il le résultat d’une conspiration du silence orchestré au plus haut niveau du gouvernement fédéral ?
Il sera cependant difficile d’aller plus loin dans cette veine car il manque encore trop d’éléments d’informations pour élaborer une théorie de la conspiration digne de ce nom.
De toute évidence, un minimum d’explications aurait été plus que requis de la part des porte-parole du ministère de la Justice. Malheureusement, contrairement à l’émoi qu’avaient suscité en Colombie-Britannique les perquisitions au parlement provincial, cette fois-ci, les médias et commentateurs politiques furent trop peu nombreux, voire même rares, à réclamer de telles explications.
Ainsi, aussi choquante puisse-t-elle paraître, la décision de la couronne d’ordonner l’arrêt des procédures suscita néanmoins peu de réactions et de commentaires de part et d’autres. Elle ne fera l’objet d’aucun éditorial et ne sera pas non plus exploitée de quelque façon que ce soit par les partis d’opposition, ni à Ottawa, ni à Victoria.
D’ailleurs, et c’est peut-être un « hasard », mais notons tout de même que la décision de la couronne est intervenue au tout début de la saison estivale, à un moment où l’assemblée législative de Colombie-Britannique et la Chambre des communes étaient toutes deux en période de relâche. (Ce qui s’ajouterait à autre « hasard », celui qui veut que la police eut choisi la période entre Noël et le jour l’an pour perquisitionner le parlement.)
« Hasard » ou non, limitons-nous à constater que le timing de ladite décision était plutôt commode pour beaucoup de gens qui avait tout intérêt à ce que toute cette bruyante controverse adopte un profil bas et disparaisse une fois pour toutes des manchettes.
Mais, à défaut d’avoir des explications du ministère de la Justice, nous nous contenterons des paroles de l’avocat de M. Basi, dont certaines pourraient s’avérer être lourdes de sens. Ainsi, il fut intéressant d’entendre Me Bolton affirmer avoir « travaillé fort » auprès de la couronne, même si on est laissé à nous-mêmes quant à l’interprétation qu’il faut donner à de tels propos.
Notons aussi que Me Bolton semblait accorder une certaine importance à ce que la couronne puisse bénéficier d’une « vue d’ensemble » sur cette affaire. Encore là, la notion de « vue d’ensemble » est assez énigmatique en soi et porte nécessairement à toutes sortes d’interprétations.
Comme dans un casse-tête où de nombreuses pièces manquent à l’appel, la notion de « vue d’ensemble » est justement ce qui fait défaut depuis le début dans cette affaire. C’est en effet l’absence de « vue d’ensemble » qui fait obstacle à ce que l’opinion publique puisse jouir d’une compréhension complète de la dimension exacte de l’affaire.
Cette « vue d’ensemble » suppose un ensemble de ramifications qui pourrait dépasser le client de Me Bolton. Peut-être que la défense voulait amener la couronne à considérer que M. Basi n’était qu’un maillon très secondaire, ou carrément insignifiant, dans le réseau de narco-trafic qui s’étendait de Victoria jusqu’à Toronto qui était la cible du Projet Everywhichway.
Jusqu’à où s’étendent les tentacules du crime organisé ? Vont-elles jusqu’aux plus hauts échelons du gouvernement de Colombie-Britannique ? Vont-elles jusqu’à l’intérieur du Parti libéral du Canada, comme le pense l’avocat libéral Bruce Torrie ? Ce sont là certaines des questions qui demeurent toujours sans réponse.
Par ses commentaires, Me Bolton semble ainsi laisser entendre que la défense aurait fourni à la couronne certaines pièces manquantes du puzzle. Et si on se fie aux propos de Me Bolton, cette « vue d’ensemble » semble avoir été un élément-clé dans la décision de la couronne. Et c’est seulement après ça que les procureurs de la couronne en sont venus à la conclusion qu’il valait mieux mettre un terme aux procédures criminelles engagées contre M. Basi. Parce qu’ils en savaient assez ? Ou parce qu’ils en savaient trop?
En fait, plus on y réfléchit, et plus cet arrêt des procédures semble louche, pour ne pas dire suspect.
Puis, le 7 novembre 2005, la couronne répète le même geste en ordonnant cette fois-ci l’arrêt des procédures à l’égard de M. Mandeep Sandhu, qui avait été inculpé de conspiration en vue de faire le trafic de marijuana. Selon la porte-parole du ministère de la Justice, l’accusation aurait été abandonné après que M. Sandhu eut « sacrifié certains fonds qui avaient été saisi à sa résidence ». Me Richard Peck, l’avocat de M. Sandhu affirma quant à lui que la preuve de la couronne était insuffisante à l’égard de son client. (69)
Rappelons que David Basi avait mêlé M. Sandhu au magouillage à l’Association libérale du comté d’Esquimalt-Juan de Fuca. Rappelons aussi que le cousin de M. Sandhu, le policier Dosanjh, fait toujours face à une accusation d’entrave à l’administration de la justice découlant de cette affaire.
Après le retrait des charges contre Basi, M. Sandhu était devenu le seul membre du groupe d’accusés qui disposaient de connexions connues auprès de la grande famille libérale. Maintenant que M. Sandhu est libéré de la seule accusation qui pesait contre lui, il semble que la couronne soit bien déterminée à aller de l’avant avec les procédures criminelles engagées contre les six derniers membres du groupe d’accusés puisqu’une série de dates de procès sont prévue au palais de justice de Victoria au cours de l’année 2006.
Ainsi, les accusés Jasmohan Bains, John Scallon, Brahm Mikol et Blythe Vernon subiront leur procès pour conspiration en vue de faire le trafic de marijuana du 3 au 27 avril, puis du 11 septembre au 23 novembre 2006. Également inculpé de conspiration destinée à faire le trafic de cocaïne, M. Scallon doit aussi subir un autre procès, aux côtés de l’accusé Michael Doyle, du 28 février au 30 mars 2006.
Quant à M. Jaspal Singh, qui était initialement co-accusé de conspiration pour le faire le trafic de marijuana avec M. Sandhu, son procès a déjà débuté avec un voir-dire en décembre 2005, à Surrey, et doit se poursuivre pour une journée le 23 janvier 2006 et s’étirer encore sur trois autres semaines, au mois de mars prochain.
Si, comme certains commentateurs politiques l’avaient prédit, en janvier 2004, cette affaire représente une bombe à retardement pour les libéraux de Martin, alors on peut dire que l’explosion sait se faire attendre…
En fait, l’abandon des accusations de narco-trafic contre MM. Basi et Sandhu représentent plutôt un tournant probablement définitif dans cette troublante affaire, qui risque d’être enterrée pour de bon. On peut d’ores et déjà prédire que tout ce qui subsistera du scandale, ce seront les soupçons de l’opinion publique à l’égard de l’intégrité du système politique et judiciaire canadien.
Mais ça, le Parti libéral du Canada peut très bien vivre avec ça, comme il nous l’a démontré avec l’affaire des commandites, celle du registre des armes à feu, celle de l’Auberge Grand-Mère, et la liste pourrait s’allonger indéfiniment.
Quant à M. Basi, il n’a pas tardé à se remettre le nez dans la politique de coulisse au sein des Associations de comté libérales. D’ailleurs, avec le déclenchement de nouvelles élections fédérales, force est de constater que l’ouvrage ne manquera pas pour lui et ses semblables. Ainsi, le site internet TDH Strategies révélait récemment que M. Basi avait fait une apparition lors de l’assemblée d’investiture de l’Association libérale du comté de Saanich-Gulf Islands, le 20 novembre 2005. (70)
La course pour la nomination libérale était alors disputée entre deux candidats, soit l’ex-députée provinciale Sheila Orr et M. Jag Dhanowa, qui avait participé à la conférence de presse du 19 janvier 2004 où les médias avaient été accusés de faire preuve de racisme dans leur couverture sur l’affaire des perquisitions au parlement. (Mme Orr l’emporta avec une majorité de 71 voix).
Commentant le come-back de David Basi sur la scène politique, M. Jonathan Ross, le responsable du site TDH Strategies, posa une question d’une redoutable pertinence : « Si Paul Martin peut bannir ces dix individus du Parti libéral (dont plusieurs se trouvaient à être des partisans de Chrétien), pourquoi n’a-t-il pas fait la même chose avec ses organisateurs politiques tels que de Basi et Bornman ? »
Qu’en dites-vous, Monsieur le premier ministre ?
Sources
(précédent)
En avril 2005, une nouvelle révélation inusitée est venue ajouter davantage de piquant à l’affaire Basi. Le journaliste Sean Holman dévoila que l’un des principaux enquêteurs du Projet Everywhichway avait acheté une maison de la famille Basi, à Saanich, six ans plus tôt ! Le caporal Andrew Thomas Cowan de la GRC avait en effet payé 414 900$ pour acquérir une propriété inscrite au nom de Mme Sukhbir Basi, la mère de David, en 1999. (66)
Le Cpl Cowan, qui a été jusqu’à récemment le directeur d’une association de policier chrétiens, le « Fellowship of Christian Peace Officers », expliquait au Vancouver Sun que la transaction avait été organisée via un agent immobilier. Quant à M. Basi, le Cpl Cowan affirme ne l’avoir rencontré que brièvement lors de la signature des documents relatifs au transfert de propriété, et ajoute n’avoir eu de relations avec ce dernier ni avant ni après cette date.
Le porte-parole de la GRC John Ward confirma que le Cpl Cowan avait informé ses supérieurs de cette transaction avec la famille Basi avant d’être assigné sur l’équipe d’enquêteurs du Projet Everywhichway, en octobre 2003.
Il faut croire que ceux-ci ne lui en tiendront pas rigueur puisque le Cpl Cowan sera appelé à jouer un rôle de premier plan dans l’enquête de la GRC. En effet, la dénonciation que les enquêteurs présentèrent à un juge afin d’obtenir les mandats de perquisition qui leur permettront d’entrer au parlement de C.-B. portait la signature du Cpl Andrew Cowan !
Entre-temps, certains avaient entretenu l’espoir que la Cour suprême de Colombie-Britannique accepterait peut-être de réviser sa décision de refuser de divulguer davantage d’informations relativement à l’affaire des perquisitions au parlement avant la tenue des élections provinciales de mai 2005. Ils seront amèrement déçus car le juge Patrick Dohm persistera dans son refus de céder le moindre pouce carré aux demandes de divulgation des avocats des médias.
Le 17 mai 2005, le gouvernement Campbell était reporté au pouvoir pour un nouveau mandat de quatre ans. Le nombre de députés libéraux passa alors de 76 à 46. S’il est vrai que la majorité libérale s’en est retrouvée réduite, il était peu probable que le parti de M. Campbell soit en mesure de rééditer son exploit électoral de 2001, lors duquel les libéraux avait conquis pas moins de 77 des 79 sièges de l’assemblée législative de C.-B.
Puis, coup de théâtre : les deux accusations de narco-trafic portées contre M. Basi sont discrètement abandonnées, sans tambour ni trompettes, le 24 juin 2005! La décision vient, non pas d’un juge, mais bien du bureau fédéral des procureurs de la couronne, qui relève du Procureur général du Canada, une fonction qui est assumée par le ministre de la Justice.
Le procureur de la couronne responsable du dossier Basi s’est donc prévalu de son pouvoir, qui lui est reconnu à l’article 579 du Code criminel canadien, d’ordonner l’arrêt des procédures. Pour se faire, le procureur n’a même pas eu à demander la permission à un juge : il lui a simplement suffit d’ordonner l’arrêt des procédures au greffier ou à tout autre fonctionnaire compétent du tribunal, et le tour est joué !
Si l’arrêt des procédures n’a pas le même poids symbolique qu’un acquittement formel prononcé par un juge ou un jury au terme d’un procès en bonne et due forme, il n’en demeure pas moins que l’accusé qui en bénéficie se retrouve libéré de ses accusations.
La porte-parole du ministère fédéral de la Justice, Mme Lyse Cantin, refusa d’expliquer aux journalistes les motifs de l’étrange décision de la couronne de mettre fin aux procédures criminelles engagées contre M. Basi. Il n’y a d’ailleurs rien dans la loi qui oblige le Procureur général à motiver sa décision dans de pareils cas. (67)
Par contre, l’avocat de M. Basi, Me Michael Bolton, ne se priva pas de commenter la décision de la poursuite. « En tant qu’avocat de M. Basi, je peux dire que je suis très reconnaissant que la couronne ait été ouverte à jeter un coup d’œil à ce dossier et ait été préparée à reconsidérer la question », déclara-il.
« Nous avons travaillé fort avec le ministère de la Justice pour nous assurer qu’ils aient une vue d’ensemble », ajouta Me Bolton. Selon lui, la couronne aurait décidé de mettre fin aux procédures après avoir prit connaissance d’informations qui n’étaient pas disponibles à l’origine et qui proviennent de son client, David Basi. Me Bolton n’a toutefois pas voulu révéler la nature de ces informations. (68)
On ignore d’ailleurs pourquoi les informations dont parle l’avocat n’ont pas été rendues disponibles à la couronne dès le début de l’affaire. De plus, on ignore tout autant ce qu’il est advenu du locataire de la maison de Shawnigan Lake, à savoir s’il a été accusé dans cette affaire. Aucune information n’a jamais été publiée à son sujet—en supposant qu’il existe.
Bref, encore une fois, on nage en plein mystère.
Tout ce qu’on sait avec certitude, c’est qu’il y a, quelque part, une baguette magique qui a réussi à faire disparaître les accusations de narco-trafic portées contre M. Basi.
Est-ce qu’on pourrait savoir à quoi est-ce qu’on joue ici ?
Tout d’abord, précisons que le rôle de la couronne n’est pas de décider de la culpabilité de quiconque. C’est aux tribunaux qu’il revient d’accomplir cette tache. Non, le rôle de la couronne se limite essentiellement à déterminer s’il y a matière à porter des accusations ou non. Par ailleurs, ce sont les procureurs de la couronne qui ont le pouvoir d’autoriser les chefs d’accusations criminelles, et non pas les policiers.
Pour la couronne, le pouvoir de porter des accusations criminelles est une responsabilité lourde de conséquences qui ne peut être utilisé à la légère. Or, dans l’affaire Basi, l’attitude de la couronne laisse pour le moins perplexe.
Constatez par vous-mêmes : un jour, la couronne croit qu’il y a matière à porter des accusations contre un influent organisateur politique libéral d’accusations de narco-trafic ; puis, un autre jour, la couronne conclut apparemment que la matière n’y est plus.
Or, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Soit la matière à porter des accusations a déjà existée. Ou soit, elle n’a jamais existée. C’est soit un ou soit l’autre.
De deux choses, l’une : soit David Basi était innocent depuis le début, ce qui impliquerait qu’il aurait été faussement accusé. Dans un pareil cas, M. Basi serait pleinement en droit d’exercer une poursuite civile contre le Procureur général du Canada et la GRC, et de réclamer des dédommagements financiers pour les torts subis à sa réputation et ainsi de suite.
Or, bien que cela reste encore à voir, il est peu probable que M. Basi soit tenté de se lancer dans une aventure semblable. Après tout, un procès au civil apporterait aussi son lot de d’inconvénients. Ainsi, le tribunal qui aurait à se pencher sur la poursuite de M. Basi n’aurait d’autre choix que de déterminer si la GRC disposait des motifs raisonnables de croire que l’ex-aide ministériel était impliqué dans des activités de narco-trafic et de blanchiment d’argent.
En tant qu’accusée, la GRC aurait alors tout intérêt à faire la preuve du bien-fondé de son enquête à l’égard de M. Basi. Ce qui impliquerait que le procès civil pourrait lever le voile sur une partie du mystérieux Projet Everywhichway et ainsi exposer des détails possiblement embarrassants, voire compromettants, pour M. Basi.
Un autre élément nous amène à douter que M. Basi puisse être tenté de s’adresser aux tribunaux civils pour être dédommagé. Depuis le début de l’affaire, M. Basi est demeuré aussi silencieux qu’une pierre tombale. De plus, l’influent organisateur politique a refusé toutes les demandes d’entrevue que lui ont faites les médias. Pour cette raison, M. Basi serait plutôt mal-venu de se soucier soudainement de l’intégrité de sa réputation.
Par contre, le silence de M. Basi ne doit pas faire automatiquement de lui un suspect. Peut-être n’a-t-il fait que suivre les conseils de son avocat de ne faire aucune déclaration publique (et c’est souvent le genre de conseils que les avocats sont portés à donner).
Enfin, notons aussi que dans le débat judiciaire sur les requêtes des avocats des médias demandant de rendre public les motifs policiers qui furent à l’origine de la perquisition au parlement de C.-B., la position de M. Basi a toujours été de s’opposer à la divulgation d’informations. Même que, en janvier 2004, M. Basi s’était plaint à deux reprises, via son avocat, que certains éléments d’information reliés à l’enquête policière avaient trouvé leur chemin dans les pages journaux.
D’un autre côté, il existe toujours cette possibilité bien réelle que, loin d’être une innocente victime, M. Basi a bel et bien pris part à la culture et au commerce de pot et à des activités de blanchiment d’argent. Le train de vie de flambeur de M. Basi, que son salaire d’aide ministériel ne pouvait normalement lui permettre, est un élément qui appuie cette conclusion.
Mais, si M. Basi était coupable depuis le début, cela impliquerait donc que la couronne était entièrement justifiée de porter de telles accusations. Dans une telle éventualité, comment alors explique-t-on sa décision de faire subitement marche arrière ? Était-ce une décision juridique fondée sur le droit ? Ou était-ce plutôt une décision « politique » ? Y a-t-il eu du marchandage en coulisse? Y a-t-il eu chantage ? Ce dénouement est-il le résultat d’une conspiration du silence orchestré au plus haut niveau du gouvernement fédéral ?
Il sera cependant difficile d’aller plus loin dans cette veine car il manque encore trop d’éléments d’informations pour élaborer une théorie de la conspiration digne de ce nom.
De toute évidence, un minimum d’explications aurait été plus que requis de la part des porte-parole du ministère de la Justice. Malheureusement, contrairement à l’émoi qu’avaient suscité en Colombie-Britannique les perquisitions au parlement provincial, cette fois-ci, les médias et commentateurs politiques furent trop peu nombreux, voire même rares, à réclamer de telles explications.
Ainsi, aussi choquante puisse-t-elle paraître, la décision de la couronne d’ordonner l’arrêt des procédures suscita néanmoins peu de réactions et de commentaires de part et d’autres. Elle ne fera l’objet d’aucun éditorial et ne sera pas non plus exploitée de quelque façon que ce soit par les partis d’opposition, ni à Ottawa, ni à Victoria.
D’ailleurs, et c’est peut-être un « hasard », mais notons tout de même que la décision de la couronne est intervenue au tout début de la saison estivale, à un moment où l’assemblée législative de Colombie-Britannique et la Chambre des communes étaient toutes deux en période de relâche. (Ce qui s’ajouterait à autre « hasard », celui qui veut que la police eut choisi la période entre Noël et le jour l’an pour perquisitionner le parlement.)
« Hasard » ou non, limitons-nous à constater que le timing de ladite décision était plutôt commode pour beaucoup de gens qui avait tout intérêt à ce que toute cette bruyante controverse adopte un profil bas et disparaisse une fois pour toutes des manchettes.
Mais, à défaut d’avoir des explications du ministère de la Justice, nous nous contenterons des paroles de l’avocat de M. Basi, dont certaines pourraient s’avérer être lourdes de sens. Ainsi, il fut intéressant d’entendre Me Bolton affirmer avoir « travaillé fort » auprès de la couronne, même si on est laissé à nous-mêmes quant à l’interprétation qu’il faut donner à de tels propos.
Notons aussi que Me Bolton semblait accorder une certaine importance à ce que la couronne puisse bénéficier d’une « vue d’ensemble » sur cette affaire. Encore là, la notion de « vue d’ensemble » est assez énigmatique en soi et porte nécessairement à toutes sortes d’interprétations.
Comme dans un casse-tête où de nombreuses pièces manquent à l’appel, la notion de « vue d’ensemble » est justement ce qui fait défaut depuis le début dans cette affaire. C’est en effet l’absence de « vue d’ensemble » qui fait obstacle à ce que l’opinion publique puisse jouir d’une compréhension complète de la dimension exacte de l’affaire.
Cette « vue d’ensemble » suppose un ensemble de ramifications qui pourrait dépasser le client de Me Bolton. Peut-être que la défense voulait amener la couronne à considérer que M. Basi n’était qu’un maillon très secondaire, ou carrément insignifiant, dans le réseau de narco-trafic qui s’étendait de Victoria jusqu’à Toronto qui était la cible du Projet Everywhichway.
Jusqu’à où s’étendent les tentacules du crime organisé ? Vont-elles jusqu’aux plus hauts échelons du gouvernement de Colombie-Britannique ? Vont-elles jusqu’à l’intérieur du Parti libéral du Canada, comme le pense l’avocat libéral Bruce Torrie ? Ce sont là certaines des questions qui demeurent toujours sans réponse.
Par ses commentaires, Me Bolton semble ainsi laisser entendre que la défense aurait fourni à la couronne certaines pièces manquantes du puzzle. Et si on se fie aux propos de Me Bolton, cette « vue d’ensemble » semble avoir été un élément-clé dans la décision de la couronne. Et c’est seulement après ça que les procureurs de la couronne en sont venus à la conclusion qu’il valait mieux mettre un terme aux procédures criminelles engagées contre M. Basi. Parce qu’ils en savaient assez ? Ou parce qu’ils en savaient trop?
En fait, plus on y réfléchit, et plus cet arrêt des procédures semble louche, pour ne pas dire suspect.
Puis, le 7 novembre 2005, la couronne répète le même geste en ordonnant cette fois-ci l’arrêt des procédures à l’égard de M. Mandeep Sandhu, qui avait été inculpé de conspiration en vue de faire le trafic de marijuana. Selon la porte-parole du ministère de la Justice, l’accusation aurait été abandonné après que M. Sandhu eut « sacrifié certains fonds qui avaient été saisi à sa résidence ». Me Richard Peck, l’avocat de M. Sandhu affirma quant à lui que la preuve de la couronne était insuffisante à l’égard de son client. (69)
Rappelons que David Basi avait mêlé M. Sandhu au magouillage à l’Association libérale du comté d’Esquimalt-Juan de Fuca. Rappelons aussi que le cousin de M. Sandhu, le policier Dosanjh, fait toujours face à une accusation d’entrave à l’administration de la justice découlant de cette affaire.
Après le retrait des charges contre Basi, M. Sandhu était devenu le seul membre du groupe d’accusés qui disposaient de connexions connues auprès de la grande famille libérale. Maintenant que M. Sandhu est libéré de la seule accusation qui pesait contre lui, il semble que la couronne soit bien déterminée à aller de l’avant avec les procédures criminelles engagées contre les six derniers membres du groupe d’accusés puisqu’une série de dates de procès sont prévue au palais de justice de Victoria au cours de l’année 2006.
Ainsi, les accusés Jasmohan Bains, John Scallon, Brahm Mikol et Blythe Vernon subiront leur procès pour conspiration en vue de faire le trafic de marijuana du 3 au 27 avril, puis du 11 septembre au 23 novembre 2006. Également inculpé de conspiration destinée à faire le trafic de cocaïne, M. Scallon doit aussi subir un autre procès, aux côtés de l’accusé Michael Doyle, du 28 février au 30 mars 2006.
Quant à M. Jaspal Singh, qui était initialement co-accusé de conspiration pour le faire le trafic de marijuana avec M. Sandhu, son procès a déjà débuté avec un voir-dire en décembre 2005, à Surrey, et doit se poursuivre pour une journée le 23 janvier 2006 et s’étirer encore sur trois autres semaines, au mois de mars prochain.
Si, comme certains commentateurs politiques l’avaient prédit, en janvier 2004, cette affaire représente une bombe à retardement pour les libéraux de Martin, alors on peut dire que l’explosion sait se faire attendre…
En fait, l’abandon des accusations de narco-trafic contre MM. Basi et Sandhu représentent plutôt un tournant probablement définitif dans cette troublante affaire, qui risque d’être enterrée pour de bon. On peut d’ores et déjà prédire que tout ce qui subsistera du scandale, ce seront les soupçons de l’opinion publique à l’égard de l’intégrité du système politique et judiciaire canadien.
Mais ça, le Parti libéral du Canada peut très bien vivre avec ça, comme il nous l’a démontré avec l’affaire des commandites, celle du registre des armes à feu, celle de l’Auberge Grand-Mère, et la liste pourrait s’allonger indéfiniment.
Quant à M. Basi, il n’a pas tardé à se remettre le nez dans la politique de coulisse au sein des Associations de comté libérales. D’ailleurs, avec le déclenchement de nouvelles élections fédérales, force est de constater que l’ouvrage ne manquera pas pour lui et ses semblables. Ainsi, le site internet TDH Strategies révélait récemment que M. Basi avait fait une apparition lors de l’assemblée d’investiture de l’Association libérale du comté de Saanich-Gulf Islands, le 20 novembre 2005. (70)
La course pour la nomination libérale était alors disputée entre deux candidats, soit l’ex-députée provinciale Sheila Orr et M. Jag Dhanowa, qui avait participé à la conférence de presse du 19 janvier 2004 où les médias avaient été accusés de faire preuve de racisme dans leur couverture sur l’affaire des perquisitions au parlement. (Mme Orr l’emporta avec une majorité de 71 voix).
Commentant le come-back de David Basi sur la scène politique, M. Jonathan Ross, le responsable du site TDH Strategies, posa une question d’une redoutable pertinence : « Si Paul Martin peut bannir ces dix individus du Parti libéral (dont plusieurs se trouvaient à être des partisans de Chrétien), pourquoi n’a-t-il pas fait la même chose avec ses organisateurs politiques tels que de Basi et Bornman ? »
Qu’en dites-vous, Monsieur le premier ministre ?
Sources