Élections fédérales 2006: Petit malaise au comité électoral de Gilles Duceppe
ÉLECTIONS FÉDÉRALES DU 23 JANVIER 2006
Pour la quatrième fois en moins de dix ans, l’électorat canadien est appelé aux urnes. À la différence des scrutins fédéraux précédents, les élections du 23 janvier 2006 portent cette fois-ci principalement sur le thème de l’intégrité en politique.
Voila qui va de soi. Après tout, les trois partis d’opposition ont décidé de faire chuter le gouvernement libéral minoritaire de M. Paul Martin Jr, le 28 novembre dernier, sur une question d’intégrité, justement.
L’opposition entend ainsi capitaliser sur la malhonnêteté légendaire des libéraux fédéraux dans la foulée du premier rapport du juge John Gomery relativement au scandale des commandites.
Mais discourir sur la nécessité de restaurer l’intégrité en politique est une chose. Livrer la marchandise en est une autre.
Dans ce premier article d’une série de trois, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES se penche sur un petit malaise qui a marqué le début de la campagne du Bloc québécois.
Mauvais départ pour le Bloc québécois
On peut dire que la campagne électorale du Bloc québécois a commencé sur un bien mauvais pied.
En effet, le BQ s’est retrouvé dans l’embarras dès le Jour 1 du déclenchement de la campagne électorale lorsque le journaliste Denis Lessard, de La Presse, révéla que M. Jean-Yves Pantaloni, un vétéran de l’organisation politique qui a déjà été trouvé coupable de fraude, avait assisté à une réunion du comité électoral du chef du Bloc, M. Gilles Duceppe, le 27 novembre dernier. (1)
Voilà qui tombe plutôt mal pour une formation politique qui a décidé de faire campagne en exploitant au maximum la grogne populaire découlant du gigantesque scandale des commandites.
Or, s’il y a bien un parti fédéral qui a été épargné par les scandales, c’est bien le Bloc québécois. Contrairement aux autres partis politiques fédéraux, le Bloc n’est nullement intéressé à former un gouvernement à Ottawa. Le seul et unique objectif de la campagne du BQ, c’est d’être majoritaire au Québec.
Mais s’il n’est pas intéressé à exercer le pouvoir à Ottawa, il n’en demeure pas moins que le Bloc devient comme tous les autres partis en période électorale : il met les bouchées doubles pour « faire sortir le vote ». Et, à l’instar des autres partis, le succès ou l’échec de sa performance repose en bonne partie sur le travail de terrain que mènent ses organisateurs politiques.
Généralement peu connus du grand public, les organisateurs politiques sont souvent ceux qui font la différence entre la victoire et la défaite d’un candidat dans un comté. De toute évidence, M. Jean-Yves Pantaloni appartient à cette catégorie. Ainsi, à l’occasion de la présente campagne, M. Pantaloni s’apprêtait à participer à l’effort de guerre électoral pour le compte du Bloc… jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par son passé de fraudeur.
Qui est donc ce M. Pantaloni ? Pourquoi sa simple présence à une réunion du comité électoral de M. Duceppe a-t-elle causée tant d’émoi au Bloc ? Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES répond à ces questions.
Le parcours déroutant d’un junkie de la politique
Déjà, en 1993, on disait de lui qu’il avait participé à une trentaine d’élections municipales, provinciales, fédérales, scolaires et autres. Alors âgé de seulement de 16 ans, Jean-Yves Pantaloni a débuté sa carrière d’organisateur politique lors des élections provinciales de 1970. Il avait alors « collé des timbres » et « fait sortir le vote » pour le compte du député de Lafontaine, M. Marcel Léger, qui deviendra plus tard ministre de l’Environnement et du Tourisme dans le gouvernement de René Lévesque. (2)
En 1978, M. Pantaloni et son équipe travaille à faire élire avec succès M. Maurice Vanier à la mairie de Pointe-aux-Trembles. M. Pantaloni deviendra par la suite secrétaire, puis chef de cabinet du maire Vanier. Son rôle principal est d’agir à titre de conseiller juridique pour l’administration municipale.
Lors du référendum sur la souveraineté du Québec de 1980, on retrouve M. Pantaloni dans le rôle d’organisateur politique pour le Comité du OUI dans le comté de Lafontaine.
Puis, de 1982 à 1986, M. Pantaloni se retrouve au cabinet du président du conseil exécutif de la ville de Montréal, M. Yvon Lamarre, à l’époque de l’administration du maire Jean Drapeau. Il joue aussi le rôle d’organisateur politique pour le compte du Parti civique.
Entre-temps, en 1983, M. Pantaloni plaide coupable à une accusation de pratique illégale de la profession d’avocat. Il est alors condamné à payer une amende de 200$. En 1979 et 1980, M. Pantaloni, qui avait obtenu une licence en droit mais n’avait pas fait son Barreau, s’était malgré tout fait passé illégalement pour un avocat. Il se faisait alors appeler « maître », après s’être fait faire une carte d’affaires laissant croire qu’il était avocat. M. Pantaloni était même allé jusqu’à représenter des clients en cour.
Toujours dans la première moitié des années ’80, M. Pantaloni a aussi négocié des ententes entre les élus de Pointe-aux-Trembles et ceux de Saint-Léonard qui permettront à ces derniers de prendre le contrôle de la commission scolaire Jérôme-Le-Royer (rebaptisée commission scolaire de la Pointe-de-l’Île depuis 2000). C’est d’ailleurs à cette même époque qu’un obscur comptable de Saint-Léonard accédera à la présidence de ladite commission scolaire. Son nom est… Alfonso Gagliano !
Ensuite, lors des élections provinciales de 1985, de 1989 et de 1994, M. Pantaloni fut l’un des principaux responsables de la campagne de l’ex-député péquiste André Boulerice (qui a récemment quitté la vie politique, en septembre 2005, quelques jours après avoir rencontré des journalistes de Zone Libre qui enquêtaient sur ses liens avec une entreprise contrôlée par un éminent membre des Hell’s Angels du Québec). (3)
À l’instar de plusieurs péquistes désillusionnés, M. Pantaloni s’impliquera également auprès du défunt Parti progressiste-conservateur alors dirigé par l’infâme Brian Mulroney. Ce qui n’empêcha nullement M. Pantaloni de continuer à se dépeindre comme un authentique militant souverainiste.
« Moi, je suis indépendantiste et je n’ai jamais changé d’idée! », soutient-il le plus sérieusement du monde plusieurs années plus tard. Le fervent organisateur politique justifiera sa collusion avec les conservateurs de Mulroney en disant qu’il n’avait fait que suivre « le mot d’ordre de René Lévesque » à l’époque du « beau risque ».
Lors des élections fédérales de septembre 1984, M. Pantaloni a plus particulièrement soutenu la candidature d’une nouvelle venue en politique, la jeune avocate Carole Jacques, qui, à la surprise générale, réussira à défaire la ministre libérale Céline Hervieux-Payette dans la circonscription de Mercier, basé dans l’est de Montréal.
Fait particulier, Mme Jacques a un lien de parenté, via sa mère, avec la célèbre famille criminelle québécoise surnommée le « clan Provençal ».
Aux élections fédérales suivantes de 1988, M. Pantaloni monte en grade en devenant l’organisateur principal de la députée Jacques, et le responsable de la levée de fonds pour le Parti progressiste-conservateur dans le comté de Mercier. À cette occasion, Mme Jacques fut alors réélue haut la main, avec 18 000 votes de plus que son adversaire libéral.
L’année suivante, M. Pantaloni devient coordonnateur de la campagne du Parti pour le Renouveau de Laval (PRL) qui sera battu par le Parti du Ralliement Officiel du maire Gilles Vaillancourt lors des élections municipales de 1989. À la même époque, il devient l’un des cofondateurs du Parti municipal de Montréal de l’ancien ministre libéral Jérôme Choquette.
De 1990 à 1992, M. Pantaloni exerce la fonction de commissaire à la Commission de l'immigration et du statut des réfugiés, une institution qui est réputé être un nid de patronage et de corruption de la pire espèce.
À l’automne 1992, alors qu’il était toujours organisateur pour les conservateurs, M. Pantaloni devient le directeur de la campagne du NON dans le comté de Sainte-Marie/Saint-Jacques à l’occasion du référendum sur l’Accord de Charlottetown, qui avait pourtant négocié le premier ministre Mulroney.
Fraude, corruption et extorsion
C’est en février 1993 que le monde de Jean-Yves Pantaloni commence à basculer. Les journaux révèlent alors que lui, et la députée Carole Jacques, font l’objet d’une enquête de la GRC depuis mai 1991 relativement à une affaire de trafic d’influence. Le duo était soupçonné d’avoir sollicité des sommes d’argent auprès de six compagnies différentes dont les bureaux se retrouvent dans le comté de Mercier.
En juillet 1993, M. Pantaloni est inculpé de huit chefs d’accusations criminels, dont quatre accusations de complot qui le visent conjointement, lui et la députée Jacques. M. Pantaloni est aussi accusé d’avoir « accompli quelque chose en vue d’aider » Mme Jacques à commettre quatre actes criminels différents, à savoir deux fraudes contre le gouvernement fédéral ainsi que deux trafics d’influence.
Lorsque Mme Kim Campbell succéda à M. Mulroney à la tête des conservateurs, Mme Jacques fut exclue du caucus du parti. Celle-ci décida malgré tout de tenter sa chance aux élections fédérales d’octobre 1993 comme candidate indépendante, sans toutefois réussir à se faire réélire.
Par ailleurs, notons que ce n’est pas là la seule affaire louche à laquelle Mme Jacques fut associée du temps où elle était députée à Ottawa. Ainsi, en mai 1994, le quotidien the Gazette révélait que le nom de l’ex-députée conservatrice était apparue sur des mandats de perquisition qu’avait exécutée la GRC dans le cadre d’une enquête sur une affaire de corruption, qui touchait cette fois-ci la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). (4)
Soupçonné d’être la tête dirigeante du réseau de corruption, l’agent de probation Pari Montanaro, qui était aussi conseiller municipal à Saint-Léonard, demandait de l’argent à des prisonniers ou à leur famille en échange d’une amélioration des conditions de détention ou d’une accélération du traitement de leur dossier par la CNLC.
En ce qui concerne Mme Jacques, la GRC avait découvert qu’elle avait référé à M. Montanaro le dossier d’un narcotrafiquant de haut calibre proche de la Mafia sicilienne, M. Raynald Desjardins, qui était alors en attente de procès pour l’importation de 740 kilos de cocaïne au Canada. Mme Jacques, qui, ironiquement, se recyclera plus tard dans le droit carcéral, ne sera jamais formellement accusée dans cette ténébreuse affaire. (5)
Il faudra attendre jusqu’en mai 1997 avant que ne débute le procès conjoint de M. Pantaloni et de Mme Jacques. Durant l’audition de la preuve, l’entrepreneur Alexander Rack, de Windsor (Ontario), racontera qu’en février 1991, M. Pantaloni avait exigé de lui 50 000$ pour l’aider à décrocher un prêt de 400 000$ auprès de la Banque fédérale de développement. (6)
Au cours de son témoignage au procès, M. Rack déclara que M. Pantaloni lui avait raconté qu’il était coûteux de maintenir une organisation politique, que les élections coûtaient chères aussi et que le « travail » de la députée Jacques n’était « pas gratuit ».
Ensuite, ce sera au tour de M. Marc Paquin, président de l’entreprise Les Industries de lavage Dentex Inc, d’offrir son témoignage. M. Paquin déclara que Mme Jacques et M. Pantaloni avaient tous deux exigé de lui, en avril 1991, la somme de 40 000$ en échange de leur assistance pour l’aider à obtenir un prêt de 798 000$ du gouvernement fédéral dans le cadre du Projet de relance industrielle de l’Est de Montréal (PRIEM). (7)
Dans les deux cas, les sommes exigées par M. Pantaloni correspondaient précisément à 5% de la valeur du prêt demandé. Notons qu’aucun des deux hommes d’affaires n’a versé l’argent demandé.
Dans son jugement de 35 pages, le juge Henri-Rosaire Desbiens de la cour du Québec s’est notamment attardé aux circonstances plutôt particulières qui entourèrent la rencontre des deux accusés avec M. Paquin. « Pourquoi cette rencontre clandestine en dehors de son bureau de comté ? », écrit le juge Desbiens. « Et pourquoi l’urgence ? Paquin descend de l’avion à Dorval et se rend directement, un dimanche, à la Cage aux sports qui se trouve tout près de chez lui et sur son chemin pour s’y rendre, sans même passer chez lui. » (8)
Le juge Desbiens nota également certaines contradictions dans les témoignages rendus par les accusés lors du procès. Ainsi, durant son témoignage, M. Pantaloni avait déclaré que Mme Jacques n’avait rien demandé à M. Paquin lors de leur première rencontre, alors qu’il avait plutôt affirmé dans sa déclaration à la police : « Nous avons demandé s’il pouvait nous aider pour le congrès » (du Parti progressiste-conservateur, à Toronto).
La version de la défense fut donc rejetée du revers de la main par le juge Desbiens, qui écrivit à ce sujet : « Je ne peux absolument pas croire leurs témoignages qui, analysés en regard de toute la preuve, ne sont pas crédibles. Je ne vois pas qui pourrait croire leur histoire. Leurs témoignages ne sont pas raisonnablement crédibles. J’affirme donc que je ne les crois pas. »
Le 23 janvier 1998, le juge Desbiens déclarera donc les deux accusés coupables. « La preuve établie qu’ils ont agi ensemble, qu’ils étaient connivence et qu’ils ont agi dans la clandestinité », lit-on dans le jugement.
En ce qui concerne M. Pantaloni, le juge conclua que ce dernier avait pris part à deux complots criminels avec la députée Jacques, et qu’il avait de plus porté son assistance à celle-ci en vue de l’aider à exercer du trafic d’influence. Quant aux quatre autres chefs d’accusation, le tribunal prononça un arrêt des procédures conditionnel.
Compte tenu du fait qu’« il y a eu complot, préméditation et préparation », le juge Desbiens les condamna à purger chacun une peine totalisant 60 jours de prison et à payer une amende totalisant 11 000$.
Le verdict de culpabilité sera ensuite confirmé par la Cour d’appel du Québec, qui allégera toutefois la sentence des deux magouilleurs à une peine de deux ans moins un jour « à purger dans la collectivité » assortie de 100 heures de travaux communautaires.
La condamnation du duo fut même porté en appel devant la Cour suprême du Canada, qui elle refusa de l’entendre, mettant ainsi définitivement fin à cette longue saga judiciaire, en janvier 2002.
En bout de ligne, ni l’ex-députée Jacques, ni son organisateur Pantaloni n’auront passé une seule journée dans une cellule de prison. Ainsi va la justice au pays des commandites…
suite
Sources :
(1) La Presse, « J’étais là par erreur—Un ex-fraudeur au comité électoral de Duceppe », par Denis Lessard, 30 novembre 2005.
(2) La Presse, « Soupçonné par la GRC, Jean-Yves Pantaloni est un maniaque de l’organisation politique », par André Pratte, 6 février 1993.
(3) La Presse, « Parti québécois—Un député a appuyé une entreprise liée aux Hells Angels », par Presse Canadienne, 7 octobre 2005.
(4) The Gazette, “Former MP named again in RCMP search warrant”, by Rod Macdonell, May 14 1994.
(5) La Presse, « Neuf ans de succès la mènent... en cour : un voyage de rêve sur une mer houleuse », par Gérald Leblanc, 14 août 1993.
(6) La Presse, « Le procès de l’ex-députée Carole Jacques débute », par Marie-Claude Malboeuf, 6 mai 1997.
(7) La Presse, « Un autre homme d’affaires accuse Carole Jacques », par Yves Boisvert, 15 mai 1997.
(8) R. c. Jacques, juge Henri-Rosaire Desbiens, C.Q. Montréal 500-01-012684-939, 1998-01-23.
Pour la quatrième fois en moins de dix ans, l’électorat canadien est appelé aux urnes. À la différence des scrutins fédéraux précédents, les élections du 23 janvier 2006 portent cette fois-ci principalement sur le thème de l’intégrité en politique.
Voila qui va de soi. Après tout, les trois partis d’opposition ont décidé de faire chuter le gouvernement libéral minoritaire de M. Paul Martin Jr, le 28 novembre dernier, sur une question d’intégrité, justement.
L’opposition entend ainsi capitaliser sur la malhonnêteté légendaire des libéraux fédéraux dans la foulée du premier rapport du juge John Gomery relativement au scandale des commandites.
Mais discourir sur la nécessité de restaurer l’intégrité en politique est une chose. Livrer la marchandise en est une autre.
Dans ce premier article d’une série de trois, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES se penche sur un petit malaise qui a marqué le début de la campagne du Bloc québécois.
Mauvais départ pour le Bloc québécois
On peut dire que la campagne électorale du Bloc québécois a commencé sur un bien mauvais pied.
En effet, le BQ s’est retrouvé dans l’embarras dès le Jour 1 du déclenchement de la campagne électorale lorsque le journaliste Denis Lessard, de La Presse, révéla que M. Jean-Yves Pantaloni, un vétéran de l’organisation politique qui a déjà été trouvé coupable de fraude, avait assisté à une réunion du comité électoral du chef du Bloc, M. Gilles Duceppe, le 27 novembre dernier. (1)
Voilà qui tombe plutôt mal pour une formation politique qui a décidé de faire campagne en exploitant au maximum la grogne populaire découlant du gigantesque scandale des commandites.
Or, s’il y a bien un parti fédéral qui a été épargné par les scandales, c’est bien le Bloc québécois. Contrairement aux autres partis politiques fédéraux, le Bloc n’est nullement intéressé à former un gouvernement à Ottawa. Le seul et unique objectif de la campagne du BQ, c’est d’être majoritaire au Québec.
Mais s’il n’est pas intéressé à exercer le pouvoir à Ottawa, il n’en demeure pas moins que le Bloc devient comme tous les autres partis en période électorale : il met les bouchées doubles pour « faire sortir le vote ». Et, à l’instar des autres partis, le succès ou l’échec de sa performance repose en bonne partie sur le travail de terrain que mènent ses organisateurs politiques.
Généralement peu connus du grand public, les organisateurs politiques sont souvent ceux qui font la différence entre la victoire et la défaite d’un candidat dans un comté. De toute évidence, M. Jean-Yves Pantaloni appartient à cette catégorie. Ainsi, à l’occasion de la présente campagne, M. Pantaloni s’apprêtait à participer à l’effort de guerre électoral pour le compte du Bloc… jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par son passé de fraudeur.
Qui est donc ce M. Pantaloni ? Pourquoi sa simple présence à une réunion du comité électoral de M. Duceppe a-t-elle causée tant d’émoi au Bloc ? Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES répond à ces questions.
Le parcours déroutant d’un junkie de la politique
Déjà, en 1993, on disait de lui qu’il avait participé à une trentaine d’élections municipales, provinciales, fédérales, scolaires et autres. Alors âgé de seulement de 16 ans, Jean-Yves Pantaloni a débuté sa carrière d’organisateur politique lors des élections provinciales de 1970. Il avait alors « collé des timbres » et « fait sortir le vote » pour le compte du député de Lafontaine, M. Marcel Léger, qui deviendra plus tard ministre de l’Environnement et du Tourisme dans le gouvernement de René Lévesque. (2)
En 1978, M. Pantaloni et son équipe travaille à faire élire avec succès M. Maurice Vanier à la mairie de Pointe-aux-Trembles. M. Pantaloni deviendra par la suite secrétaire, puis chef de cabinet du maire Vanier. Son rôle principal est d’agir à titre de conseiller juridique pour l’administration municipale.
Lors du référendum sur la souveraineté du Québec de 1980, on retrouve M. Pantaloni dans le rôle d’organisateur politique pour le Comité du OUI dans le comté de Lafontaine.
Puis, de 1982 à 1986, M. Pantaloni se retrouve au cabinet du président du conseil exécutif de la ville de Montréal, M. Yvon Lamarre, à l’époque de l’administration du maire Jean Drapeau. Il joue aussi le rôle d’organisateur politique pour le compte du Parti civique.
Entre-temps, en 1983, M. Pantaloni plaide coupable à une accusation de pratique illégale de la profession d’avocat. Il est alors condamné à payer une amende de 200$. En 1979 et 1980, M. Pantaloni, qui avait obtenu une licence en droit mais n’avait pas fait son Barreau, s’était malgré tout fait passé illégalement pour un avocat. Il se faisait alors appeler « maître », après s’être fait faire une carte d’affaires laissant croire qu’il était avocat. M. Pantaloni était même allé jusqu’à représenter des clients en cour.
Toujours dans la première moitié des années ’80, M. Pantaloni a aussi négocié des ententes entre les élus de Pointe-aux-Trembles et ceux de Saint-Léonard qui permettront à ces derniers de prendre le contrôle de la commission scolaire Jérôme-Le-Royer (rebaptisée commission scolaire de la Pointe-de-l’Île depuis 2000). C’est d’ailleurs à cette même époque qu’un obscur comptable de Saint-Léonard accédera à la présidence de ladite commission scolaire. Son nom est… Alfonso Gagliano !
Ensuite, lors des élections provinciales de 1985, de 1989 et de 1994, M. Pantaloni fut l’un des principaux responsables de la campagne de l’ex-député péquiste André Boulerice (qui a récemment quitté la vie politique, en septembre 2005, quelques jours après avoir rencontré des journalistes de Zone Libre qui enquêtaient sur ses liens avec une entreprise contrôlée par un éminent membre des Hell’s Angels du Québec). (3)
À l’instar de plusieurs péquistes désillusionnés, M. Pantaloni s’impliquera également auprès du défunt Parti progressiste-conservateur alors dirigé par l’infâme Brian Mulroney. Ce qui n’empêcha nullement M. Pantaloni de continuer à se dépeindre comme un authentique militant souverainiste.
« Moi, je suis indépendantiste et je n’ai jamais changé d’idée! », soutient-il le plus sérieusement du monde plusieurs années plus tard. Le fervent organisateur politique justifiera sa collusion avec les conservateurs de Mulroney en disant qu’il n’avait fait que suivre « le mot d’ordre de René Lévesque » à l’époque du « beau risque ».
Lors des élections fédérales de septembre 1984, M. Pantaloni a plus particulièrement soutenu la candidature d’une nouvelle venue en politique, la jeune avocate Carole Jacques, qui, à la surprise générale, réussira à défaire la ministre libérale Céline Hervieux-Payette dans la circonscription de Mercier, basé dans l’est de Montréal.
Fait particulier, Mme Jacques a un lien de parenté, via sa mère, avec la célèbre famille criminelle québécoise surnommée le « clan Provençal ».
Aux élections fédérales suivantes de 1988, M. Pantaloni monte en grade en devenant l’organisateur principal de la députée Jacques, et le responsable de la levée de fonds pour le Parti progressiste-conservateur dans le comté de Mercier. À cette occasion, Mme Jacques fut alors réélue haut la main, avec 18 000 votes de plus que son adversaire libéral.
L’année suivante, M. Pantaloni devient coordonnateur de la campagne du Parti pour le Renouveau de Laval (PRL) qui sera battu par le Parti du Ralliement Officiel du maire Gilles Vaillancourt lors des élections municipales de 1989. À la même époque, il devient l’un des cofondateurs du Parti municipal de Montréal de l’ancien ministre libéral Jérôme Choquette.
De 1990 à 1992, M. Pantaloni exerce la fonction de commissaire à la Commission de l'immigration et du statut des réfugiés, une institution qui est réputé être un nid de patronage et de corruption de la pire espèce.
À l’automne 1992, alors qu’il était toujours organisateur pour les conservateurs, M. Pantaloni devient le directeur de la campagne du NON dans le comté de Sainte-Marie/Saint-Jacques à l’occasion du référendum sur l’Accord de Charlottetown, qui avait pourtant négocié le premier ministre Mulroney.
Fraude, corruption et extorsion
C’est en février 1993 que le monde de Jean-Yves Pantaloni commence à basculer. Les journaux révèlent alors que lui, et la députée Carole Jacques, font l’objet d’une enquête de la GRC depuis mai 1991 relativement à une affaire de trafic d’influence. Le duo était soupçonné d’avoir sollicité des sommes d’argent auprès de six compagnies différentes dont les bureaux se retrouvent dans le comté de Mercier.
En juillet 1993, M. Pantaloni est inculpé de huit chefs d’accusations criminels, dont quatre accusations de complot qui le visent conjointement, lui et la députée Jacques. M. Pantaloni est aussi accusé d’avoir « accompli quelque chose en vue d’aider » Mme Jacques à commettre quatre actes criminels différents, à savoir deux fraudes contre le gouvernement fédéral ainsi que deux trafics d’influence.
Lorsque Mme Kim Campbell succéda à M. Mulroney à la tête des conservateurs, Mme Jacques fut exclue du caucus du parti. Celle-ci décida malgré tout de tenter sa chance aux élections fédérales d’octobre 1993 comme candidate indépendante, sans toutefois réussir à se faire réélire.
Par ailleurs, notons que ce n’est pas là la seule affaire louche à laquelle Mme Jacques fut associée du temps où elle était députée à Ottawa. Ainsi, en mai 1994, le quotidien the Gazette révélait que le nom de l’ex-députée conservatrice était apparue sur des mandats de perquisition qu’avait exécutée la GRC dans le cadre d’une enquête sur une affaire de corruption, qui touchait cette fois-ci la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). (4)
Soupçonné d’être la tête dirigeante du réseau de corruption, l’agent de probation Pari Montanaro, qui était aussi conseiller municipal à Saint-Léonard, demandait de l’argent à des prisonniers ou à leur famille en échange d’une amélioration des conditions de détention ou d’une accélération du traitement de leur dossier par la CNLC.
En ce qui concerne Mme Jacques, la GRC avait découvert qu’elle avait référé à M. Montanaro le dossier d’un narcotrafiquant de haut calibre proche de la Mafia sicilienne, M. Raynald Desjardins, qui était alors en attente de procès pour l’importation de 740 kilos de cocaïne au Canada. Mme Jacques, qui, ironiquement, se recyclera plus tard dans le droit carcéral, ne sera jamais formellement accusée dans cette ténébreuse affaire. (5)
Il faudra attendre jusqu’en mai 1997 avant que ne débute le procès conjoint de M. Pantaloni et de Mme Jacques. Durant l’audition de la preuve, l’entrepreneur Alexander Rack, de Windsor (Ontario), racontera qu’en février 1991, M. Pantaloni avait exigé de lui 50 000$ pour l’aider à décrocher un prêt de 400 000$ auprès de la Banque fédérale de développement. (6)
Au cours de son témoignage au procès, M. Rack déclara que M. Pantaloni lui avait raconté qu’il était coûteux de maintenir une organisation politique, que les élections coûtaient chères aussi et que le « travail » de la députée Jacques n’était « pas gratuit ».
Ensuite, ce sera au tour de M. Marc Paquin, président de l’entreprise Les Industries de lavage Dentex Inc, d’offrir son témoignage. M. Paquin déclara que Mme Jacques et M. Pantaloni avaient tous deux exigé de lui, en avril 1991, la somme de 40 000$ en échange de leur assistance pour l’aider à obtenir un prêt de 798 000$ du gouvernement fédéral dans le cadre du Projet de relance industrielle de l’Est de Montréal (PRIEM). (7)
Dans les deux cas, les sommes exigées par M. Pantaloni correspondaient précisément à 5% de la valeur du prêt demandé. Notons qu’aucun des deux hommes d’affaires n’a versé l’argent demandé.
Dans son jugement de 35 pages, le juge Henri-Rosaire Desbiens de la cour du Québec s’est notamment attardé aux circonstances plutôt particulières qui entourèrent la rencontre des deux accusés avec M. Paquin. « Pourquoi cette rencontre clandestine en dehors de son bureau de comté ? », écrit le juge Desbiens. « Et pourquoi l’urgence ? Paquin descend de l’avion à Dorval et se rend directement, un dimanche, à la Cage aux sports qui se trouve tout près de chez lui et sur son chemin pour s’y rendre, sans même passer chez lui. » (8)
Le juge Desbiens nota également certaines contradictions dans les témoignages rendus par les accusés lors du procès. Ainsi, durant son témoignage, M. Pantaloni avait déclaré que Mme Jacques n’avait rien demandé à M. Paquin lors de leur première rencontre, alors qu’il avait plutôt affirmé dans sa déclaration à la police : « Nous avons demandé s’il pouvait nous aider pour le congrès » (du Parti progressiste-conservateur, à Toronto).
La version de la défense fut donc rejetée du revers de la main par le juge Desbiens, qui écrivit à ce sujet : « Je ne peux absolument pas croire leurs témoignages qui, analysés en regard de toute la preuve, ne sont pas crédibles. Je ne vois pas qui pourrait croire leur histoire. Leurs témoignages ne sont pas raisonnablement crédibles. J’affirme donc que je ne les crois pas. »
Le 23 janvier 1998, le juge Desbiens déclarera donc les deux accusés coupables. « La preuve établie qu’ils ont agi ensemble, qu’ils étaient connivence et qu’ils ont agi dans la clandestinité », lit-on dans le jugement.
En ce qui concerne M. Pantaloni, le juge conclua que ce dernier avait pris part à deux complots criminels avec la députée Jacques, et qu’il avait de plus porté son assistance à celle-ci en vue de l’aider à exercer du trafic d’influence. Quant aux quatre autres chefs d’accusation, le tribunal prononça un arrêt des procédures conditionnel.
Compte tenu du fait qu’« il y a eu complot, préméditation et préparation », le juge Desbiens les condamna à purger chacun une peine totalisant 60 jours de prison et à payer une amende totalisant 11 000$.
Le verdict de culpabilité sera ensuite confirmé par la Cour d’appel du Québec, qui allégera toutefois la sentence des deux magouilleurs à une peine de deux ans moins un jour « à purger dans la collectivité » assortie de 100 heures de travaux communautaires.
La condamnation du duo fut même porté en appel devant la Cour suprême du Canada, qui elle refusa de l’entendre, mettant ainsi définitivement fin à cette longue saga judiciaire, en janvier 2002.
En bout de ligne, ni l’ex-députée Jacques, ni son organisateur Pantaloni n’auront passé une seule journée dans une cellule de prison. Ainsi va la justice au pays des commandites…
suite
Sources :
(1) La Presse, « J’étais là par erreur—Un ex-fraudeur au comité électoral de Duceppe », par Denis Lessard, 30 novembre 2005.
(2) La Presse, « Soupçonné par la GRC, Jean-Yves Pantaloni est un maniaque de l’organisation politique », par André Pratte, 6 février 1993.
(3) La Presse, « Parti québécois—Un député a appuyé une entreprise liée aux Hells Angels », par Presse Canadienne, 7 octobre 2005.
(4) The Gazette, “Former MP named again in RCMP search warrant”, by Rod Macdonell, May 14 1994.
(5) La Presse, « Neuf ans de succès la mènent... en cour : un voyage de rêve sur une mer houleuse », par Gérald Leblanc, 14 août 1993.
(6) La Presse, « Le procès de l’ex-députée Carole Jacques débute », par Marie-Claude Malboeuf, 6 mai 1997.
(7) La Presse, « Un autre homme d’affaires accuse Carole Jacques », par Yves Boisvert, 15 mai 1997.
(8) R. c. Jacques, juge Henri-Rosaire Desbiens, C.Q. Montréal 500-01-012684-939, 1998-01-23.