Petite histoire des fiducies de revenu au Canada
Derrière la "fiduciemanie", l'évasion fiscale généralisée
Il est pour le moins difficile, pour ne pas dire impossible, de raconter la petite histoire des fiducies de revenu au Canada sans raconter celle de Marcel Tremblay. Aujourd'hui décédé, Marcel Tremblay fut en effet le pionner canadien des fiducies de revenu et créateur des fameux «Trusts Units». Homme d’affaires d’origine modeste qui a grandi dans l'est de Montréal, M. Tremblay a fondé une compagnie dont la valeur boursière s’élevait à 6 milliards$ en 2006. Voici donc son histoire.
Après avoir décroché un diplôme en comptabilité à l’école des Hautes études commerciales, M. Tremblay se joint à la firme de courtage Maison Bienvenu (rebaptisée Maison Placement Canada), en 1960. Le jeune comptable agréé ne tardera pas à être promu par ses patrons qui sont impressionnés par son esprit de débrouillardise. Avant même d’atteindre l’âge de vingt et un an, M. Tremblay est nommé directeur financier de la firme, un poste qu’il occupera pendant douze ans. (1)
En 1973, M. Tremblay est embauché à titre d’analyste senior par la compagnie de fiducie Royal Trust, dont le bureau-chef est alors basé à Montréal. À ce moment-là, M. Tremblay avait développé une expertise reconnue en matière d’analyse du marché gazier et pétrolier. Royal Trust s’attend donc à ce qu’il créé éventuellement un fond de placement dans le secteur énergétique. M. Tremblay doit attendre jusqu’en 1978 pour que ses patrons lui donne le feu vert pour lancer une nouvelle filiale, appelée la Royal Trust Energy Corporation (RTEC).
La RTEC a pour particularité d’offrir aux fonds de pension d’acquérir et de posséder directement des intérêts dans des propriétés génératrices de pétrole et de gaz naturel. En 1980, les dirigeants de Royal Trust décident de transférer M. Tremblay à leur bureau de Calgary, en Alberta. Deux ans plus tard, M. Tremblay est nommé président de RTEC. Sous sa gouverne, l’entreprise connaît une croissance impressionnante. Au début de 1985, RTEC s’était porté acquéreur de réserves gazières et pétrolières dont la valeur combinée s’élève alors à plus de 350 millions$, en plus de détenir divers placements d'une valeur totalisant 200 millions$.
C’est à cette époque que le concept de fiducie de revenu commence à germer dans la tête de Marcel Tremblay. «Mon ambition personnelle était de créer une nouvelle génération de produits de placement. Je voulais mettre en marché des unités de fiducie», relate-t-il, plusieurs années plus tard. Avec ces unités de fiducie cotées en bourse, M. Tremblay veut offrir à des fonds de pension, et même à de simples détenteurs de Régime enregistré d’épargne retraite (REER) ou à des investisseurs particuliers, de devenir co-propriétaires de puits de pétrole et de gaz. (2)
«J’ai toujours eu comme objectif de fournir aux investisseurs le meilleur rendement possible, de minimiser les problèmes fiscaux, de protéger leur capital autant que possible pour qu’ils puissent participer aux profits», déclarait M. Tremblay à l’agence Presse canadienne en 2004. (3)
En affirmant vouloir «minimiser les problèmes fiscaux», M. Tremblay entend vraisemblablement s’attaquer au phénomène de la double imposition du fisc fédéral sur les gains en capital des sociétés à capital-actions. Ce n’est certainement pas l’effet du hasard si son concept de fiducie de revenu est structuré de façon à contourner cette double imposition tant décriée par le milieu des affaires.
Mais les grands patrons de Royal Trust ne partagent guère l’enthousiasme de M. Tremblay. «Royal Trust refusait de faire quoi que ce soit avec cette idée», raconte-t-il. M. Tremblay se retrouve donc à la croisée des chemins. Il préfère alors démissionner de sa confortable position de pdg à la RTEC et de renoncer à son salaire annuel de 185 000$ plutôt que d’abandonner son concept avant-gardiste.
Que ce soit par pur entêtement ou par désir de laisser sa marque ou tout simplement par goût du risque, M. Tremblay est résolu coûte que coûte à aller de l’avant. Il n’a aucune hésitation à y investir ses propres économies – environ 40 000$ -- mais aussi celles de son épouse. Bon vendeur, il convainc également six de ses copains de lui avancer la somme de 350 000$ pour l’aider à démarrer son affaire.
Vers la fin de l'année 1985, M. Tremblay fonde Enerplus Energy Services Ltd, une firme offrant des services de placement, de marketing et de consultant. Outre M. Tremblay lui-même, trois fonds de pension détiennent également des parts importantes dans la nouvelle firme. On note plus particulièrement la présence de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec. Quant aux autres fonds, il s'agit de Crown Life Insurance Co., de Toronto, et de North West Trust Co., d’Edmonton.
À la même époque, M. Tremblay retient les services d’un jeune avocat fiscaliste, John Brussa, du cabinet Burnet Duckworth & Palmer, de Calgary. Me Brussa se voit alors confié la mission de concevoir une structure juridique correspondant au concept d’unité de fiducie si cher à Marcel Tremblay, mais conforme aux exigences des lois sur l’impôt, et de soumettre ensuite le projet pour approbation aux fonctionnaires de Revenu Canada. Dans un premier temps, le fisc canadien se montre hésitant. Pour emprunter les mots de Me Brussa, il y a eu «un peu de va-et-vient». Mais le jeune avocat parvint à venir à bout des réticences de Revenu Canada.
Naissance de la première fiducie de revenu
C’est ainsi qu’est née la première fiducie de revenu de l’histoire canadienne: Enerplus Resources Fund. Naturellement, le fond de revenu Enerplus Resources dispose d’un statut légal flou lui permettant d’éviter de payer la taxe fédérale sur les gains en capital. Parallèlement à cela, une société à capital-fixe appelée Enerplus Resources Corporation est mise sur pied afin de jouer le rôle de l’entité sous-jacente dans la structure de fiducie de revenu imaginée par Me Brussa.
Le champ d’activité de la compagnie Enerplus Resources se résume à l’acquisition et à l’exploitation de puits de pétrole et de gisements de gaz naturel dans les Prairies. Au lieu de se lancer dans les activités de prospection, souvent coûteuses et risquées, Enerplus choisit plutôt de se concentrer dans l’achat de réserves pétrolières et gazières dont la rentabilité est avérée.
Il ne reste alors plus qu’à dénicher le capital nécessaire pour procéder aux acquisitions. C’est ici que les unités de fiducie entrent en scène. En collaboration avec la firme de courtage montréalaise Lévesque Beaubien, Enerplus Resources lance un premier appel public à l'épargne (PAPE), en août 1986.
Au coût de 10$ chacune, les unités de série A d’Enerplus Resources offrent un taux de rendement qui est directement lié aux cours du pétrole. Si la stagnation des cours du pétrole se prolonge, Enerplus prévoit un rendement annuel avant impôt de 13,2 pour cent. Mais, en cas de hausse graduelle du prix du pétrole, Enerplus annonce un rendement anticipé pouvant atteindre jusqu’à 27 pour cent.
Le concept d'Enerplus consiste à redistribuer aux titulaires de parts tous les revenus tirés de l'exploitation des puits, une fois que sont soustraits les frais d'exploitation et de gestion. Les versements se font sur une base trimestrielle. Notons qu'Enerplus offre un produit financier taillé sur mesure pour les détenteurs de REER ou de fonds de pension jouissant d’exemption d’impôts.
Enfin, les investisseurs sont également éligibles au crédit d'impôt sur les redevances de l'Alberta et peuvent bénéficier des provisions d'épuisement de 10 pour cent, avec pour résultat que le rendement après-impôt est beaucoup plus élevé qu'avec les autres placements à revenus fixes.
Malgré d'aussi alléchantes promesses de rendement, l’accueil institutionnel est plutôt tiède. «Convaincre les firmes de courtage que notre idée était valable a été très difficile», se souvient M. Tremblay. Il faut aussi dire qu’à l’époque, la conjecture du cours du pétrole est loin d’être idéale. Ainsi, à la fin de l’année 1985, l’Arabie Saoudite avait fait casser le prix du baril de brut en inondant le marché mondial avec ses réserves de pétrole.
En dépit des obstacles, l’idée de Marcel Tremblay se met à faire son chemin, lentement mais sûrement. En effet, moins d’un an plus tard, ses anciens patrons du Royal Trust lancent à leur tour leur propre fiducie de revenu, qu’ils baptisent Royal Trust Energy Income Fund! Et avant la fin de 1988, deux autres fiducies de revenu calquées sur le modèle d’Enerplus font leur apparition sur le marché, soit Pengrowth Energy Trust et NCE Petrofund.
Les affaires d’Enerplus connaissent toutefois des hauts et des bas. Les prix et les taux de production anticipés doivent parfois être revus à la baisse, avec pour conséquence que les distributions de revenus aux détenteurs d’unités de fiducie en souffrent durement. Au tournant des années ’90, les affaires vont si mal qu’Enerplus décide de donner une chance aux activités de prospection que la société avait pourtant dédaigné jusqu’alors. En août 1991, la direction d’Enerplus licencie quinze employés et consultants afin d’augmenter les revenus distribués aux détenteurs d’unités de fiducie. (4)
En 1995, Enerplus Energy semble avoir réussit à remonter la pente et à se tailler une place respectable sur le marché. Au cours de sa première décennie d’existence, Enerplus a procédé à 200 acquisitions, incluant l’achat de deux fiducies de revenu qu’avait lancé Royal Trust.
La firme de M. Tremblay peut alors se targuer de contrôler des actifs d’une valeur totalisant 500 millions$ et produisant quotidiennement 17 000 barils de pétrole. À cela s’ajoute trois fiducies de revenu cotées en bourse (Enerplus Resources Fund, Westrock Energy Income Fund I et II), dont la valeur combinée totalise 350 millions$. Et ce n’est là qu’un début, car M. Tremblay est sur le point de réaliser ce qui sera la plus importante transaction de sa carrière.
Tout commence lorsqu’en décembre 1995, Mark Resources Inc., une société d’exploitation pétrolière et gazière basée en Alberta, devient la cible d’une offre publique d’achat hostile de la part de la société Pembina Acquisition Corp., laquelle est contrôlée à 51.5% par la puissante famille Mannix de Calgary. L’offre d’achat de Pembina, qui se résume à verser 7$ par action de Mark, ne plaît guère à la direction de la société pétrolière, qui estime que ses réserves d’or noir en valent bien davantage. Les patrons de Mark Resources font alors savoir qu’ils sollicitent une deuxième offre.
Enerplus Energy entre ensuite en scène et propose une offre d’achat selon une formule innovatrice. Ainsi, Enerplus se dit prêt à offrir 2$ et une unité de fiducie (dont la valeur précise reste encore à déterminer) pour chaque action de Mark Resources. Autrement dit, il est ici question de reconvertir l’action de Mark en unité de fiducie. L’offre d’achat de Pembina est évaluée à 367.5 millions$, mais la valeur de celle d’Enerplus pourrait atteindre jusqu’à 500 millions$ à en croire certains observateurs qui estiment la valeur de l’unité de fiducie à 7$ ou 8$ chacune.
Le 18 janvier 1996, le conseil de direction de Mark Resources accepte l’offre d’Enerplus. Pour M. Tremblay et ses associés, il s’agit d’un moment de triomphe. Juste le fait de l’avoir emporté sur une famille aussi riche et influente que celle des Mannix relève déjà en soi de l’exploit. En fait, cette transaction complexe constituera un tournant majeur, non seulement au niveau de l’histoire d’Enerplus, mais aussi relativement à l’émergence du phénomène des fiducies de revenu dans le paysage économique canadien.
Enfin, la transaction permet tant à Enerplus qu'à Marcel Tremblay de rehausser leurs profils respectifs aux yeux du milieu des affaires. «La transaction Mark nous a mis sur la carte», contaste M. Tremblay. D’une part, en se portant acquéreur de Mark Resources, Enerplus se retrouve à doubler du jour au lendemain la valeur de ses actifs, qui dépasse désormais la barre du 1 milliard$.
D’autre part, M. Tremblay devient une étoile montante dans le monde des affaires. Le quotidien The Globe and Mail le décrit d’ailleurs comme un «nouveau genre de prédateur» ! (notons que dans le contexte d’un milieu financier où la concurrence est particulièrement féroce, il s’agit ici d’un compliment). D'ailleurs, l'année suivante, Marcel Tremblay recevra le prix de l’entrepreneur canadien de l’année pour la région des Prairies de la part de la Gouverneure générale du Canada. (5)
Mais la transaction Mark/Enerplus est elle-même sans précédent. En effet, M. Tremblay ne se contente pas de prendre le contrôle de Mark, il transforme aussi la structure de la compagnie pour la convertir en fiducie de revenu. En outre, il s’agit de l’avènement de la première fiducie de revenu d’entreprise au Canada. EnerMark Income Fund devient ainsi la quatrième fiducie de revenu à joindre le Groupe Enerplus.
Ce nouveau développement suscite un enthousiasme frénétique sur le marché boursier. Ainsi, le titre de Mark, qui se vendait à 6$ l'unité en décembre 1995, voit sa valeur atteindre le sommet de 9,13$ à peine quelques semaines après la fameuse transaction. Même chose du côté d'Enerplus. Son unité de fiducie, qui valait 15 $ au début de 1993, se vend désormais à 34$ chacune.
Accès de fièvre fiduciaire à la bourse
Fort de ce succès, le concept de fiducie de revenu est rapidement perçu comme une solution de rechange attrayante pour les sociétés pétrolières en difficulté. «Maintenant, tout le monde nous approche avec leur projet», confie M. Tremblay dans une entrevue avec le quotidien The Calgary Herald. «Ils veulent qu’on jette un coup d’oeil sur d’autres compagnies.» (6)
Il n'en fallait pas plus pour que les analystes financiers se mettent à promettre un avenir radieux aux fiducies de revenu. C'est donc en 1996 que Bay Street connaît sa première «fiducie-manie». Notons que la baisse sans précédent des taux d’intérêts (un record jamais vu en 40 ans) n’y est d'ailleurs pas étrangère. En effet, le rendement des bons du Trésor chute de moitié, ce qui alimente l'intérêt du public-investisseur pour les unités de fiducie. (7)
La capitalisation boursière (8) des fiducies de revenu connaît alors une ascension vertigineuse. Au début de l'année 1995, la capitalisation boursière des fiducies de revenu s'approche d'un milliard de dollars. Un an plus tard, soit au début de l'année 1996, cette capitalisation s'établit à 1.9 milliard$. En juillet 1996, leur valeur grimpe à 3.6 milliards$. Au mois de septembre suivant, la capitalisation atteint 4 milliards$. En octobre, cette capitalisation s'approche des 5 milliards$. À la fin de mois de novembre, la capitalisation est rendue à 6.5 milliards$.
Devant un tel engouement, la firme Marchés des capitaux Scotia décide de créer un indice des fiducies de revenu, qui mesure l’ensemble des gains en capitaux et en dividendes d’unités échangés à la bourse de Toronto. Au moment de sa création, en juillet 1996, l’indice des fiducies de revenu compte vingt-cinq titres, soit douze provenant du secteur des ressources énergétiques, sept du domaine de l’immobilier, quatre du secteur des services financiers et deux du domaine minier. (9)
Selon l’indice de Marchés des capitaux Scotia, le rendement des fiducies de revenu a été de 34.9 pour cent pour l'année 1996, surpassant la performance pourtant spectaculaire de 28.4 pour cent de l’indice TSE 300 (10). De plus, les fiducies de revenu occupent 14 positions sur le top 30 des PAPE les plus performants de l’année à la Bourse de Toronto. (11)
À en croire certains analystes financiers, l'industrie des fiducies de revenu semble destinée à un avenir des plus prometteurs. En réalité, cette première «fiducie-manie» sera des plus éphémères. En effet, dès les premiers mois de l'année 1997, les signes d'un ralentissement de la croissance du secteur des fiducies de revenu se multiplient.
Ainsi, au mois de février, l’indice de Marchés des capitaux Scotia enregistre un recul de 1.5 pour cent. Puis, en avril, deux projets de conversion en fiducie de revenu sont annulés en l’espace d’une semaine (12), soit celui du fabriquant d’hélicoptères CHC Maintenance Trust Income Fund et celui de la société de placement DDJ High Yield Trust. (13)
La lune de miel entre les fiducies de revenu et les investisseurs canadiens semble donc terminée. Plusieurs facteurs d'ordre conjoncturels expliquent cette situation. Tout d'abord, il y a la remontée des taux d'intérêt. Ensuite, il y a la faiblesse du cours du pétrole, laquelle occasionne une dépréciation de 20 pour cent de la valeur de certaines fiducies de redevances pétrolières et gazières.
De leur côté, les analystes financiers se font de moins en moins élogieux et invitent davantage à la prudence lorsqu'ils évoquent le potentiel des fiducies de revenu. Nick Seed, un analyste de la firme Deloitte & Touche, va même jusqu'à agiter le spectre d'une éventuelle intervention du fédéral en vue de freiner l'hémorragie fiscale liée à la prolifération des fiducies de revenu. (14)
Les détenteurs de parts peuvent toutefois dormir tranquilles puisque le ministre fédéral des Finances de l'époque, Paul Martin Jr., est lui-même un adepte de l'évasion fiscale. En effet, en tant que grand patron de la société de transport maritime Canada Steamship Line, M. Martin n'a eu aucun scrupule à autoriser plusieurs de ses navires à battre pavillon de complaisance et à s'enregistrer auprès de paradis fiscaux réputés, tels que les Bahamas.
Compte-tenu de ces divers facteurs, les investisseurs ne peuvent faire autrement que de refroidir leurs ardeurs. D'autant plus que l'année précédente, certains d'entre eux s'étaient fait avoir par des courtiers zélés qui leur avaient présenté les unités de fiducie comme des placements garantissant un revenu fixe, taisant du même coup l'existence de risques inhérents aux fiducies de revenu.
Les investisseurs et autres consommateurs de valeurs mobilières sont désormais capables de faire preuve de davantage de discernement à l'égard fiducies de revenu et savent mieux comment calculer la valeur réelle des «trust units». Le public-investisseur prend donc conscience que si les fiducies de revenu se suivent, elles ne se valent pas toutes pour autant.
Enfin, certains titres de fiducie de revenu sont également victimes de spéculation. Ainsi, au lieu de percevoir les unités de fiducie comme des placements à long terme, certains investisseurs tentent plutôt de faire un gain rapide en achetant et en vendant presque aussitôt, ce qui met une pression à la baisse sur la valeur des unités de fiducie concernées.
Il convient toutefois de noter que certaines fiducies de revenu parviennent à mieux tirer leur épingle du jeu. En juillet 1997, la capitalisation des fiducies de revenu franchit le cap des 10 milliards$. Cela signifie que la valeur boursière des fiducies de revenu a été multipliée par dix en l'espace de seulement deux années. Par ailleurs, plus de cinquante fiducies de revenu sont désormais inscrites à la Bourse de Toronto.
En septembre, la fameuse famille Mannix succombe à son tour à la fièvre des fiducie. En l’espace d’un seul mois, les Mannix convertissent deux de leurs plus importantes sociétés d’exploitation en fiducies de revenu: d’abord, Manalta Coal Ltd., et Pembina Pipelines. Dans le premier cas, le PAPE s'élève à 870 millions$, et dans le deuxième, à 650 millions$.
La Crise asiatique achève la «fiducie-manie»
Puis, en octobre 1997, c'est l'éclatement de la fameuse Crise asiatique. L'impact de cet événement majeur va être ressenti sur les marchés financiers d'un bout à l'autre du globe, mais aussi au niveau des fiducies de redevances, dont la prospérité est évidemment liée au cours des matières premières.
Pour saisir le lien de cause à effet, il faut savoir qu'une économie asiatique florissante consomme une part non-négligeable de ressources naturelles canadiennes. Par exemple le Japon constitue alors le plus important acheteur de charbon canadien. Plongées dans une profonde récession, les économies asiatiques ne sont plus d'aussi bonnes clientes auprès des producteurs canadiens de matières premières. La Crise asiatique va donc représenter le dernier clou à être enfoncé dans le cercueil de la «fiducie-manie».
La débâcle des fiducies de revenu se confirme lorsque l'indice de Marchés des capitaux Scotia annonce avoir enregistré un rendement pour le moins anémique de 2.2 pour cent pour l'année 1997, bien en-dessous du 34.9 pour cent de l'année précédente. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir offert aux investisseurs de nouvelles gammes d'unités de fiducie. En effet, sur les 102 PAPE qui font leur apparition sur le marché des valeur mobilières en 1997, on compte pas moins de 42 fiducies de revenu. (15)
Or, selon Ron Schwarz, recherchiste à la maison de courtage ScotiaMcLeod Inc., pas moins de 48 pour cent des nouveaux produits de placement ont perdu de la valeur depuis leur inscription à la bourse de Toronto, comparativement à 40 pour cent pour l'année précédente. Notons que les fiducies de revenu sont nettement sur-représentées parmi les nouveaux produits sous-performants. (16) Seul le secteur des Fiducies de placement immobilier (FPI) semble avoir été épargné par cette débandade. En effet, la capitalisation des FPI, qui était de 300 millions$ en 1996, passe à 2.3 milliards$, en 1997. (17)
La déconfiture des fiducies de revenu va d'ailleurs se poursuivre tout au long de l'année 1998. Pour la première fois, une fiducie de redevance pétrolière, en l'occurence Athabasca Oil Sands Investments Inc., doit renoncer à une distribution de revenus à ses détenteurs de parts, en juillet. D'ailleurs, plusieurs fiducies de redevances pétrolières perdent de 40 à 65 pour cent de leur valeur durant cette période. (18)
Pour passer au travers de la crise, certaines fiducies de revenu doivent alors reviser à la baisse leurs distributions ou les éliminer carrément, provoquant ainsi la fuite d'un nombre grandissant d'investisseurs. Enfin, à la fin du mois d'août, la Banque du Canada décide de hausser ses taux d'intérêts, provoquant ainsi une baisse de 19 pour cent de la valeur des parts des fiducies de revenu. Il est d'ores et déjà acquis que la période de vaches maigres pour les fiducies de revenu est là pour durer. (19)
En fait, il faudra attendre jusqu'à l'éclatement de la bulle spéculative des titres de haute technologie sur les marchés boursiers nord-américains, au printemps de l'an 2000, pour que les fiducies de revenu retrouvent leur attrait auprès des investisseurs canadiens. Mais avant d'aborder ce nouveau chapitre de la petite histoire des fiducies de revenu au Canada, qu'advient-il au juste de Marcel Tremblay et de son empire Enerplus Resources ?
Hé bien, en août 2000, EnCap Investments LLC, une filiale du géant américain de l’énergie, El Paso Energy Corp., qui est notamment propriétaire du plus gros gazoduc de toute l’Amérique du Nord, fait l’acquisition de Enerplus Energy Services. Le montant exact de la transaction n'est pas divulgué, mais, aux dires de M. Tremblay, il s'agit d'une somme à huit chiffres.
Après avoir subit un triple pontage cardiaque, Marcel Tremblay démissionne de son poste de PDG d'Enerplus Resources Corp., le 10 mai 2001. Mais l'heure de la retraite n'a pas sonné pour autant. Malgré une santé déclinante, Tremblay refuse obstinément de ralentir sa cadence de travail. En 2003, il lance même une nouvelle entreprise, Overlord Financial Inc. Enfin, le 29 décembre 2005, Marcel Tremblay, alors âgé de 64 ans, rends l'âme dans un hôpital de la région de Calgary suite à des complications liées à son diabète et sa situation cardiaque.
Sources:
(1) The Globe and Mail, “Marcel Tremblay, accountant and tax expert 1941-2005”, by Sandra Martin, January 14, 2006.
(2) The Calgary Herald, “Oilpatch hunter on safari”, by Barry Nelson, March 14, 1996.
(3) La Presse Canadienne, «Les créateurs du premier fonds de revenu craignent des tiraillements», par James Stevenson, 22 août 2004.
(4) The Globe and Mail, “Enerplus Energy plans cutbacks”, August 13, 1991.
(5) The Globe and Mail, “Streetwise—New-style predator hits oil patch”, by Andrew Willis, January 24, 1996.
(6) The Calgary Herald, “Oilpatch hunter on safari”, by Barry Nelson, March 14, 1996.
(7) The Calgary Herald, «Income trusts: Be informed», by Sally Meecham, January 26, 1997.
(8) La capitalisation boursière consiste en l'évaluation d'une société sur la base de la valeur de ses actions, ou unités de fiducie, en bourse.
(9) The Globe and Mail, “Income units index launched”, by Stephen Northfield, July 23, 1996.
(10) Le TSE 300 est une sorte de «palmarès» des 300 plus importantes sociétés côtées à la Bourse de Toronto.
(11) The Globe and Mail, “This year has been a very mixed bag for initial offerings—Income units hot but flameouts abound”, by Stephen Northfield, December 6, 1996.
(12) The Globe and Mail, «The party's over for income trusts», by Andrew Willis, April 23, 1997.
(13) Notons toutefois que le projet de fiducie de revenu de la société DDJ réapparaîtra sous le nom de DDJ Canadian High Yield Fund au mois d'août suivant.
(14) The Globe and Mail, «Income trusts are not always money in the bank», by Andrew Bell, September 20, 1997.
(15) The Globe and Mail, «Income trust units fizzled in 1997», by Stephen Northfield, February 5, 1998.
(16) The Globe and Mail, «'97 a bad year for new stock issues», by Angela Barnes and Adrew Bell, January 24, 1998.
(17) The Gazette, «Investment trusts are latest market rage», by Theresa Tedesco, February 9, 1998.
(18) The Globe and Mail, «Hot investment trusts turn cold», by Janet McFarland, September 8, 1998.
(19) Affaires Plus, «Fiducies de revenus--Pourquoi elles ont la cote, pourquoi il faut s'en méfier», par Julie Tanguay, Juin 2003.