L'ingérence du gouvernement Harper dans les primaires américaines: De quoi je me mêle ?!
Le gouvernement conservateur de Stephen Harper est réputé pour sa manie de tenir à distance les journalistes, son allergie à la transparence et son penchant naturel pour la cachotterie. Paradoxalement, ce même gouvernement semble aussi avoir développé la fâcheuse habitude de fourrer son nez là où il ne devrait pas puisqu'il possède une feuille de route peu reluisante en matière d'ingérence politique en période électorale.
Par exemple, en octobre 2006, le président du conseil du Trésor du gouvernement Harper, John Baird, intervient dans les élections municipales d'Ottawa en retardant le financement du projet d'expansion du train léger si cher au maire sortant, Bob Chiarelli, un ancien député du Parti libéral ontarien. Soulignons qu'à l'époque où il siégeait à l'assemblée législative de l'Ontario, le libéral Chiarelli avait affronté Baird, qui était alors député au sein du parti conservateur de Mike Harris.
Devenu l'un des membres les plus puissants du gouvernement Harper, Baird est alors en position de rendre à Chiarelli la monnaie de sa pièce. Ainsi, la décision inusité de Baird dans le dossier du train léger fait carrément dérailler la campagne de Chiarelli et contribue à l'élection de Larry O'Brien, un homme d'affaires dont les idées en matière de loi & d'ordre sont proches de celles des conservateurs. (1) Notons d'ailleurs que le maire O'Brien doit aujourd'hui répondre d'accusations criminelles de corruption.
Ensuite, lors des élections générales québécoises de mars 2007, l'ingérence du gouvernement Harper atteint de telles proportions qu'elle est dénoncée par les plus importants partis politiques de la province, incluant son allié naturel l'Action démocratique du Québec (ADQ), obligeant même le premier ministre Jean Charest à rappeler à l'ordre ses amis du Parti conservateur.
Dans un premier temps, alors que le gouvernement fédéral dépose habituellement son budget vers la fin de février, il choisi exceptionnellement de le faire le 20 mars, soit une semaine avant que les électeurs québécois ne soient appelés aux urnes. L'attente d'un budget sensé solutionner le problème du déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces influence alors toute la dynamique de la campagne électorale. Mario Dumont de l'ADQ va même jusqu'à refuser d'annoncer son cadre financier avant le dépôt du budget fédéral. Lorsque le budget est déposé, les libéraux de Charest se servent alors de la hausse du montant des transferts fédéraux pour en tirer le maximum de capital politique en annonçant des baisses d'impôts de 950 millions$.
Puis, le lendemain du dépôt du budget, le premier ministre Harper dresse pratiquement toute la classe politique québécoise contre lui en évoquant la nécessité «d'avoir un gouvernement fédéraliste à Québec» comme condition afin d'engager d'éventuelles discussions sur un transfert de points d'impôt au Québec et sur la limitation du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciale.
André Boisclair du Parti québécois réagi en criant au chantage, affirmant que «même M. Chrétien, dans ses pires moments, ne se serait pas rendu là.» Dumont estime lui aussi que Harper dépasse les bornes. «Je trouve que le mot chantage est trop fort, j'appelle ça une ingérence», dit-il, ajoutant: «Je dis qu'elle est inappropriée à ce point-ci et je demande à M. Harper de laisser les Québécois décider entre Québécois.» (2) Pour sa part, Charest juge bon de rappeler que «ce n'est pas à quelqu'un de l'extérieur du Québec, même si c'est le premier ministre du Canada, à décider ou à chercher à déterminer avec qui il négocie.» (3)
Non seulement les basses manoeuvres des conservateurs ne connaissent aucune limite sur le plan éthique, mais en plus, elles semblent aujourd'hui faire abstraction des frontières géographiques. Ainsi, après la campagne électorale d'Ottawa et celle du Québec, le gouvernement Harper est maintenant soupçonné d'être intervenu lors des primaires américaines en faisant couler dans les médias des renseignements confidentiels portant sérieusement atteinte à la campagne du candidat favori pour l'investiture démocrate, soit le sénateur Barack Obama.
Cette fois-ci, les accusations d'ingérence viennent de nul autre que l'ambassadeur américain au Canada. L'affaire est si grave que même le leader du gouvernement conservateur à la Chambre des communes, Peter Van Loan, doit reconnaître «qu'un événement de ce genre ne favorise pas les relations entre le Canada et les États-Unis». (4) Ce qui est tout de même ironique quand on se rappelle que ce sont les conservateurs qui s'étaient eux-mêmes engagés à améliorer les relations canado-américaines lors des dernières élections générales fédérales.
Il est aussi pour le moins insolite qu'un pays comme le Canada soit accusé de s'ingérer dans les élections de la plus grande puissance de la planète, qui elle ne s'est jamais gênée d'intervenir ouvertement ou clandestinement dans les affaires internes d'un nombre incalculable d'États souverains. À ce sujet, la même semaine où Ottawa se retrouve sur la sellette pour son intrusion allégué dans les primaires américaines, le magazine américain Vanity Fair révèle en grande primeur que l'administration Bush avait cherchée à renverser le gouvernement palestinien élu dirigé par le mouvement de résistance islamique Hamas en armant et en finançant une faction du Fatah. (5)
Voici donc le dossier du Bureau des affaires louches sur l'«ALENAgate» ou comment le Canada approvisionna en munitions les adversaires du sénateur Obama. Mais avant de nous plonger au coeur de cette controverse, nous vous proposons d'abord de revenir sur l'émergence d'Obama dans la course à l'investiture démocrate, un phénomène dont la popularité fait des adeptes un peu partout incluant ici même.
Sources:
(1) Le Droit, «L'ingérence de John Baird», Pierre Bergeron, 9 janvier 2007, p. 12.
(2) Le Soleil, «Harper rappelé à l'ordre», Martin Pelchat, 23 mars 2007, p. 8.
(3) La Presse Canadienne, «Dumont et Charest se distancent des propos d'Harper, Boisclair en remet», Isabelle Rodrigue, 22 mars 2007.
(5) http://www.vanityfair.com/politics/features/2008/04/gaza200804