Conclusion

Publié le par Bureau des Affaires Louches



Le rôle de la GRC enfin reconnut !



Le rapport de la CPP suscita diverses réactions. La BCCLA exprima sa déception, reprochant à Kennedy d'avoir omis de tisser les liens qui s'imposaient entre ses conclusions de faits et l'attribution des responsabilités dans cette affaire. "Les faits dépeignent un commissaire manipulant cyniquement les résultats de la dernière élection fédérale. M. Kennedy ferma les yeux devant ses propres conclusions de faits et négligea de tisser des liens", affirma Jason Gratl, président de la BCCLA, qui estimait que le président de la CPP n'avait pas fait une analyse sérieuse des normes générales de la GRC et de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire Zaccardelli dans ce cas particulier. (172)

 

À Ottawa, les réactions furent diverses. "Il semblerait que les plans de communication de la GRC à ce sujet n'étaient pas accidentels ou faits par mégarde ou sous l'impulsion du moment", commenta Goodale. "En fait, ils ont été soigneusement élaborés et exécutés." (173) Le libéral Dosanjh fut celui qui se montra le plus intransigeant dans sa critique de la GRC. "Que cela ait été de l'ingérence politique intentionnelle ou non, le fait est que c'était de l'ingérence politique", déclara le député. (174) "En fait, la GRC est descendu dans l'arène politique. C'est une grave erreur qui n'aurait jamais dû arriver", ajouta-t-il. De son côté, la néo-démocrate Wasylycia-Leis reconnut le besoin de mettre en place de nouvelles lignes directrices mais désapprouva la présomption de non-divulgation. "S'il faut errer vers quoi que ce soit, cela devrait être dans le sens de l'ouverture, de la transparence et de la reddition de comptes", affirma-t-elle.

 

Dans son éditorial, le Globe and Mail s'attarda au fait que "le nom de M. Goodale, un politicien avec une réputation sans tache, ressortait bizarrement" dans le communiqué de presse qu'avait émis la GRC, qui affirmait qu'elle ne détenait pas de preuve de geste illégal de sa part. (175) "En d'autres mots, M. Zaccardelli souleva des soupçons alors même qu'il déclarait qu'il n'y avait aucune raison pour le faire. Alors pourquoi l'avoir fait ?", demanda le Globe. Zaccardelli "devait sûrement savoir qu'il lançait une bombe dans la campagne électorale", pouvait-on lire ensuite. "Soit M. Zaccardelli a totalement mal interprété ce qui était dans l'intérêt public ou soit il avait certaines motivations politiques. Comme il refusa de répondre aux questions d'une enquête menée par un chien de garde indépendant sur cette affaire, le public est en droit d'être hautement sceptique des motivations de M. Zaccardelli."

 

Durant la période des questions de la Chambre des communes, le député Dosanjh demanda au ministre Stockwell Day d'expliquer quelles mesures comptait-il prendre pour que la GRC établisse des lignes directrices en matière de communications publiques sur les enquêtes criminelles. Day répondit que les "recommandations mise de l'avant dans le rapport de la CPP sont actuellement mises en oeuvre." (176) Pourtant, le commissaire Elliott n'était pas allé aussi loin dans le communiqué officiel qu'il avait émis en réaction au rapport de la CPP. Le commissaire de la GRC s'était tout simplement contenté de remercier la CPP pour ses "précieux conseils" et affirma que son rapport "aidera à développer des politiques et des normes améliorées", sans préciser lesquelles des recommandations formulées par Kennedy seront retenues. (177) Nelson Kalil, un assistant de Kennedy, affirma qu'on ne l'avait pas informé d'un engagement de la part de la GRC d'appliquer les recommandations du rapport.

 

Le stratège David Herle, qui avait co-présidé la campagne libérale, déclara sur le réseau CBC qu'une enquête publique sur cette affaire était devenue nécessaire. (178) Selon lui, le rapport de la CPP "n'est qu'une plate-forme de lancement pour la tenue de d'autres enquêtes." Herle affirma également que le commissaire Elliott avait "une obligation" de mener une enquête dans ses rangs. "Il est important de noter que toute influence sur une élection, soit-elle réelle ou le résultat d'une perception négative, peut briser la confiance entre les citoyens et la police qui est essentielle pour maintenir l'autorité de la loi dans une société civilisée", ajouta-t-il.

 

La demande de Herle fut reprise dans les pages du Toronto Star par le chroniqueur James Travers, qui couvre la scène politique fédérale à Ottawa. "Tous les partis politiques de même que tous les citoyens partagent un intérêt commun à faire la lumière sur les actions obscures de Giuliano Zaccardelli", écrivit Travers. (179) "Malheureusement, la peur de l'embarras politique et la recherche de l'avantage partisan étouffent la curiosité politique et le besoin de savoir", s'indigna Travers. Ainsi, le chroniqueur rapporta qu'il y avait un bruit qui courrait dans la capitale nationale voulant que "les libéraux, les conservateurs et le NPD préfèrent ne pas attirer l'attention sur des abus qui sont davantage typiques aux dictatures du Tiers-Monde plutôt qu'aux démocraties du Premier-Monde."

 

Puis, Travers résuma les fondements des réticences des trois grands partis fédéraux à aller au fond des choses dans cette affaire. "Les libéraux, qui sont ceux qui ont perdu le plus, sont si craintifs d'enlever les croûtes de leurs vieilles blessures internes qu'ils préfèrent ne pas jeter un nouveau regard sur des événements envers lesquels ils ne peuvent pas revenir en arrière. Les conservateurs, qui sont ceux qui ont gagné le plus, ne veulent pas soulever le spectre d'une victoire qui pourrait ne pas avoir été équitable ou loyale. Et le NPD qui penche à gauche veut oublié le rôle qu'il joua dans l'avènement au pouvoir du parti le plus à droite de notre histoire."

 

À défaut d'une enquête, il faudra donc se contenter des deux principales théories en circulation pour expliquer les motivations qui animaient la GRC lors des élections. Travers écrivit que la première des théories voulait que "Zaccardelli, qui avait été nommé par Chrétien, a saisi l'opportunité d'embrocher Martin pour avoir ordonné des enquêtes sur les magouilles des commandites et l'affaire Maher Arar auxquelles son prédécesseur libéral s'était opposé et qui ont sérieusement portées atteinte à la GRC." L'autre théorie était que la GRC avait fait ce qui était en son pouvoir pour élire un gouvernement prônant la loi et de l'ordre et désireux de faire gonfler les budgets des forces policières. "Aucune démocratie qui se respecte ne peut laisser ces hypothèses inéprouvées", conclua Travers.

 

En fait, le Parti vert du Canada, qui n'avait pas réussi à faire élire aucun de ses candidats le 23 janvier 2006, fut la seule formation politique fédérale à demander une enquête publique. "Le Parti Vert est d'avis que les fondements même de notre démocratie ont été compromis par cette ingérence de la GRC dans l'élection de 2006", déclara Elizabeth May, cheffe du parti dans un communiqué de presse daté de 4 avril. (180) "Si cette suite d'événements s'était produite dans un pays en développement, nous aurions très rapidement conclu à une république de bananes", fit-elle d'ailleurs remarquer.

 

"Les Canadiennes et les Canadiens sont en droit de s'attendre à ce que le gouvernement ouvre une enquête approfondie pour vider la question de cette ingérence politique extrêmement grave", plaida May. Les Verts estimaient que cette enquête devrait "aller beaucoup plus loin" que l'examen mené par la Commission des plaintes du public contre la GRC. "Le refus du commissaire Zaccardelli de témoigner devant la Commission n'a été possible que parce que la Commission n'avait pas les pouvoirs suffisants pour l'obliger à comparaître. De toute évidence, il est dans l'intérêt du public d'ouvrir une enquête exhaustive dans cette affaire", observa May.

 

Selon les verts, il fallait "contraindre M. Zaccardelli" à répondre à certaines des questions suivantes : "Pourquoi le commissaire Zaccardelli a-t-il choisi d'envoyer la lettre annonçant une enquête criminelle à la députée Judy Wasylycia-Leis? En quoi était-il urgent de contacter ses bureaux de Winnipeg et d'Ottawa pour avertir ses employés que la lettre arriverait par télécopieur ? Le Parti conservateur a-t-il offert une compensation ou des faveurs à M. Zaccardelli en contrepartie de cette information ? Y a-t-il un lien entre l'ingérence de M. Zaccardelli dans l'affaire des fiducies de revenu et le traitement subséquent de M. Zaccardelli dans la foulée du rapport du juge O'Connor sur le traitement de Maher Arar ? Y a-t-il un quelconque lien entre l'ingérence politique du commissaire Zaccardelli et les efforts déployés par les députés conservateurs pour bloquer l'enquête sur le détournement des fonds de pension de la GRC ?"

 

Bien entendu, le Parti vert n'avait rien à perdre et tout à gagner politiquement dans la tenue d'une enquête publique susceptible d'embarrasser à la fois le NPD, son principal rival sur le plan électoral, mais aussi les conservateurs. D'ailleurs, inutile de préciser que cette demande resta sans lendemain. Six mois après le dépôt du rapport de la CPP, l'électorat canadien fut à nouveau convoqué aux urnes, et ce, sans même que la question du rôle controversé de la GRC lors du scrutin précédent n'ait été vidée. Chose certaine, la facilité avec laquelle la GRC influa sur le résultat d'une élection générale qui changea le cours de l'histoire du pays donnait à la démocratie canadienne un arrière-goût de banane moisie.

Au Canada anglais, il ne manqua pas d'observateurs de l'actualité politiques pour décrire l'intervention de la GRC durant la campagne électorale de 2005-2006 comme un geste sans précédent dans l'histoire canadienne. Et avec raison. Par le passé, la GRC nous avait plutôt habitué à une attitude de docilité, voire de collusion, à l'égard du parti au pouvoir, qu'il soit d'allégeance libérale ou conservatrice. Or, en fournissant délibérément des munitions politiques à l'opposition, la GRC frisait l'insubordination envers l'employeur, c'est-à-dire le gouvernement fédéral.

 

Le comportement de la GRC pouvait sembler inexplicable et insensé... si on ne tenait pas compte de l'avertissement lancé par l'ancien membre de la GRC et du SCRS, Peter Marwitz. C'est lui qui avait écrit au premier ministre Paul Martin, en 2004, pour le prévenir qu'il allait au-devant des ennuis pour son parti aux prochaines élections s'il tenait une enquête publique sur l'affaire Maher Arar. Deux ans après sa tentative de chantage politique contre le gouvernement Martin, la "prophétie" de Marwitz semblait s'être réalisée. Ne dit-on pas que la vengeance est un plat qui se mange froid ?

 

Certains diront peut-être qu'il ne faut pas y voir là de cause à effet. Que les propos de Marwitz et les événements de la campagne de 2005-2006 ne sont que de simples coïncidences. D'ailleurs, il y en a qui voient des coïncidences partout. Ce sont des théoriciens de la coïncidence. Certes, on ne peut nier que les coïncidences existent dans ce bas monde. Mais peuvent-elles tout expliquer en tout temps ?

 

Il reste que l'ingérence de la GRC lors de ces élections  soulève aux moins deux questions troublantes que peu de gens semblent avoir envie d'aborder. La première concerne l'élection des conservateurs de Stephen Harper. Une victoire facilitée par l'ingérence politique d'un corps policier dans le processus électoral peut-elle être légitime ? Les historiens auront sans doute le loisir de revenir sur cette question.

 

La deuxième concerne le pouvoir politique de la GRC. En influençant le résultat d'une élection générale qui changea le cours de l'histoire canadienne, la GRC a fait la preuve  quelle ne pouvait pas être sous-estimée. Après une aussi convaincante démonstration de sa capacité de nuisance, quel gouvernement aura encore la témérité de contrarier la GRC ? Or, permettre à la GRC de s'en tirer indemne, c'est nécessairement l'inviter à récidiver à la première occasion.

 


Sources:

(172)
http://www.bccla.org/pressreleases/08IincomeTrust2.pdf

(173) The Globe and Mail, "Top Mountie ordered trusts alert to include Goodale", Omar El Akkad and Brodie Fenlon, April 1 2008, p. A1.

(174) The Canadian Press, "Former RCMP boss took lead in income trust decision: watchdog", Jim Brown, March 31 2008.

(175) The Globe and Mail, "Taking Goodale's name in vain", April 1 2008, p. A12.

(176) http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2&DocId=3375916

(177) The Canadian Press, "RCMP reforms coming after income trust furor, says minister Day", Jim Brown, April 1 2008.

(178) CBC News, Income trust report finds no proof of RCMP wrongdoing, March 31 2008.

(179) Toronto Star, "Deafening silence on RCMP scandal", James Travers, April 3 2008.

(180) Parti vert du Canada, "L'examen des fiducies de revenu par la GRC doit faire l'objet d'une enquête publique", 10 avril 2008.

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