Le rôle de la GRC enfin reconnut !

Publié le par Bureau des Affaires Louches



Une arrestation opportune sur fond de publicité négative

Le 6 février 2008, le nouveau commissaire de la GRC, William Elliott, se présenta devant un comité parlementaire de la Chambre des communes. Parmi les sujets à l'ordre du jour : le rôle de la GRC lors des dernières élections générales, qui fut à nouveau dénoncé, cette fois-ci par le critique libéral en matière de sécurité publique, Ujjal Dosanjh. Fait intéressant, avant de se joindre aux libéraux fédéraux, Dosanjh avait  brièvement occupé le poste de premier ministre de la Colombie-Britannique en succédant à Glen Clark, le leader néo-démocrate dont la carrière politique avait été mise en déroute suite à une enquête controversée de la GRC.

 

Dosanjh fit valoir au commissaire Elliott que la confirmation officielle d'une enquête par la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu était "apparue comme une grossière ingérence dans une élection." Elliott répondit en disant qu'il ignorait si des politiques ou des lignes de conduite avaient été enfreintes ou n'avaient pas été suivies" dans cette affaire. "La GRC n'a pas de politiques ou de lignes directrices adéquates en matière de communications relativement aux enquêtes criminelles", reconnut le commissaire de la GRC. (168)

 

Dosanjh demanda ensuite ce que la GRC comptait faire pour empêcher la répétition d'une telle situation à l'avenir. "Nous nous apprêtons à prendre de mesures pour clarifier nos lignes de conduites, et ainsi améliorer nos pratiques", répondit alors Elliott. Questionné par La Presse Canadienne au sujet du rôle de la GRC lors des élections, Elliott affirma qu'il ne souhaitait pas exprimer d'opinion à ce sujet. "La GRC est plutôt incohérente en ce qui a trait à la divulgation d'informations se rapportant aux enquêtes", concéda-t-il cependant.

 

Quelques semaines plus tard, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA) intervint publiquement pour demander à la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) de recommander à la GRC et au ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, l'adoption d'une ligne de conduite destinée à empêcher la Gendarmerie d'influencer les élections. (169) Le président de l'Association, Jason Gratl, déclara qu'une telle politique était devenu nécessaire en raison de fait que la GRC "semble à l'occasion prête à s'aventurer dans des eaux partisanes."

 

La BCCLA recommanda donc que la GRC s'abstienne de révéler l'existence d'une enquête criminelle sauf dans des cas exceptionnels, par exemple, lorsque la sécurité publique serait menacée de façon imminente ou pour faire avancer une enquête au point mort. L'Association indiqua qu'elle ne voyait pas d'objection à ce qu'une enquête soit connue du public lorsque des accusations ont été approuvées par des procureurs de la couronne. La BCCLA demanda également à ce que le rapport d'examen de la plainte du président intérimaire de la CPP, Paul Kennedy, concernant la conduite de la GRC lors des dernières élections soit rendu public.

 

Rappelons que cette plainte portait sur deux gestes qu'avait posé certains membres de la GRC relativement à l'affaire des fiducies de revenu : le premier était la lettre de l'ex-commissaire Zaccardelli qui avait été envoyée par télécopieur, le 23 décembre 2005, et qui informait la députée Wasylycia-Leis qu'une enquête criminelle serait ouverte sur l'affaire des fiducies de revenu ; le deuxième était un communiqué de presse que la GRC diffusa durant la soirée du 28 décembre suivant, dans lequel la Gendarmerie confirmait essentiellement les informations contenues dans la lettre adressée à Wasylycia-Leis tout en ajoutant "qu'elle ne possède en ce moment aucune preuve d'actes illégaux ou répréhensibles de la part de quiconque incluant le ministre des Finances Ralph Goodale."

 

La plainte de Kennedy se divisait en deux volets. Dans un premier temps, il s'agissait de "déterminer si les agents de la GRC qui ont transmis les renseignements ont respecté les politiques, les méthodes, les lignes directrices et les exigences réglementaires en ce qui a trait à la divulgation de tels renseignements." Quant au deuxième volet, il touchait aux allégations d'ingérence politique de la part de la GRC. Plus spécifiquement, le président de la CPP cherchait savoir "si les politiques, les méthodes et les lignes directrices en la matière permettent en effet de faire face à une situation où la divulgation d'information relative à une enquête policière peut avoir une incidence hors de proportion sur le processus démocratique si bien que la confiance des membres du public à l'égard de l'indépendance de la police est ébranlée."

 

Le 31 mars, la Commission exauça le voeu de la BCCLA en rendant public son rapport (170), lequel fut d'ailleurs d'un grand intérêt puisqu'il apporta des révélations inédites sur les dessous de la stratégie de gestion des communications de la GRC relativement à son enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. Comme on le sait, les enquêtes sur les plaintes adressées à la CPP sont toutes confiées à la GRC. La plainte du président intérimaire de la Commission n'y échappa pas. Dans un premier temps, le rapport de la CPP s'attarda donc au rapport final de la GRC sur la plainte de Kennedy, lequel fut signé par le sous-commissaire de la GRC William Sweeney.

 

L'enquête fut menée par la sergente Lise Noiseux, qui communiqua avec au moins dix-huit personnes, soit des membres réguliers et des membres civils de la GRC, qui avaient tous participé à un niveau ou à un autre au processus menant à l'envoi de la lettre de Zaccardelli à Wasylycia-Leis et à la diffusion du communiqué de presse de la GRC. L'enquête révéla que "la décision finale a été prise par le commissaire Zaccardelli", et ce, dans les deux cas.

 

Dans son rapport, la CPP s'attarda aux normes de service et aux politiques administratives de la GRC en matière de diffusion de renseignements. "Les normes de service prévoyaient aussi un suivi auprès des plaignants, au besoin", notait la Commission. "Dans le cas qui nous importe, Mme Wasylycia-Leis, qui ne faisait que donner suite aux hypothèses des médias, a été élevée au statut de plaignante et s'est vu confirmer par écrit la tenue d'une enquête criminelle." La CPP nota qu'"aucune politique de la GRC ne traitait de façon explicite des personnes pouvant être considérées comme des plaignants à juste titre."

 

Dans un premier temps, Zaccardelli confia à son adjoint exécutif, le surintendant Mike McDonald, le soin de mettre au point la lettre destinée à Wasylycia-Leis. Une fois qu'il approuva et signa ladite lettre, Zaccardelli demanda à McDonald de l'envoyer par télécopieur. L'adjoint de Zaccardelli semblait d'ailleurs tenir mordicus à ce que l'information se rende jusqu'à la députée de l'opposition puisqu'il l'avisa par téléphone deux fois plutôt qu'une de l'arrivée de la lettre du commissaire de la GRC.

 

Voici ce qu'on pouvait lire dans le rapport de la CPP à cet effet : "Le surintendant McDonald a appelé aux bureaux de Mme Wasylycia-Leis à Winnipeg et à Ottawa vers 15 h 15 le 23 décembre 2005. Il a appris que les deux bureaux étaient fermés jusqu'au 3 janvier 2006. Il a donc laissé un message aux deux bureaux indiquant qu'il envoyait par télécopieur la lettre du commissaire Zaccardelli, et il a ensuite télécopié la lettre."

 

Fait intéressant, la GRC commença à élaborer son communiqué de presse avant même que la députée du NPD ne médiatise le contenu de la lettre de Zaccardelli. "Les infocapsules avaient été préparées en prévoyant que, une fois que Mme Wasylycia-Leis aurait accusé réception de la lettre du commissaire, la GRC pourrait alors indiquer qu'il existait suffisamment de renseignements pour amorcer une enquête criminelle." La diffusion du communiqué de presse s'appuyait sur une pratique générale consistant à confirmer "les faits connus." "Autrement dit, si les renseignements étaient divulgués par une source fiable, la GRC confirmerait ces renseignements", précisa la CPP dans son rapport.

 

La lecture du rapport de la CPP ne laissait plus aucun doute sur le fait que la GRC savait très bien ce qu'elle faisait lorsqu'elle s'invita durant la campagne électorale de 2005-2006. La GRC s'était fixée pour objectif de rendre publique l'existence de son enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu. Comme elle ne pouvait prendre elle-même l'initiative de le faire sans courir le risque de contrevenir à ses normes en matière de communication de renseignements, elle se servit tout simplement de la députée Wasylycia-Leis pour parvenir à ses fins. C'est ce que dit en substance le rapport de la CPP dans l'extrait ci-dessous :

 

"En l'espèce, la publication de la lettre du commissaire par la porte-parole néo-démocrate des Finances le 23 décembre a été considérée comme une divulgation de source fiable, et c'est d'ailleurs pourquoi des infocapsules ont été préparées après que la télécopie a été envoyée le 23 décembre. Il appert, d'après les documents figurant au dossier, que la GRC savait que ses gestes du 23 décembre entraîneraient la confirmation publique par la GRC de la tenue d'une enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu. Malgré l'important rôle qu'elle a joué dans cette divulgation et la création d'un scénario qui prévoyait que Mme Wasylycia-Leis publierait le contenu de la lettre du 23 décembre, la GRC a refusé d'accepter la responsabilité de ses gestes dans les mois qui ont suivi. Elle a plutôt laissé entendre que Mme Wasylycia-Leis avait rendu les renseignements publics et que la GRC n'avait que confirmé les faits connus."

 

Le rapport final de la GRC fit aussi état du refus de Zaccardelli de collaborer à l'enquête sur la plainte de la CPP. "Lorsque la sergente Noiseux l'a interrogé sur ces incidents, le commissaire Zaccardelli a répondu qu'il était nommé dans une poursuite au civil en rapport avec cette affaire et que son avocat lui avait recommandé de ne pas formuler de commentaires", pouvait-on lire. Selon toute vraisemblance, la poursuite au civil à laquelle Zaccardelli faisait allusion était la demande de contrôle judiciaire qu'avait déposée la BCCLA devant la cour fédérale dans laquelle il était nommé en tant qu'intimé. 

 

Kennedy jeta un doute sur la valeur réelle de cette explication en notant que Zaccardelli "avait toutefois refusé de faire une déclaration lors d'une enquête sur une plainte du public antérieure liée à cette affaire, laquelle avait été amorcée avant que la poursuite civile soit intentée." D'ailleurs, Zaccardelli ne fut pas le seul à se montrer peu coopératif. Le rapport de la CPP indiqua en effet qu'"aucun cadre supérieur du centre de décision de la GRC chargé de l'enquête sur les fiducies de revenu et ayant participé au processus d'approbation des communications liées à cette enquête n'a fourni de renseignements au sujet des décisions de la GRC d'envoyer la lettre à Mme Wasylycia-Leis et d'émettre le communiqué ultérieur."

 

Le sous-commissaire Sweeney rapporta que les preuves fournies durant l'enquête démontraient que "les membres de la GRC ayant participé à la communication de ces informations ont respecté toutes les politiques et toutes les dispositions législatives applicables." L'enquête de la GRC "n'avait pas permis de conclure à une contravention des textes législatifs et réglementaires." Cette conclusion s'appuyait sur le fait que la GRC "n'avait pas de politique portant sur la notification des plaignants quant à l'intention de la GRC de tenir une enquête criminelle sur les allégations qui ont été portées à son attention." La CPP ne trouva rien à dire face à ce raisonnement. "Compte tenu de l'absence de telles politiques, méthodes ou lignes directrices spécifiques, je ne peux conclure que des membres de la GRC ont dérogé aux normes applicables", écrivit Kennedy.

 

Par contre, la GRC ne s'était pas auto-exonérée sur toute la ligne puisque le sous-commissaire Sweeney reconnu que "le fait de préciser le nom d'une personne en particulier, en l'espèce M. Goodale, n'était pas conforme aux pratiques antérieures." Le sous-commissaire Sweeney précisa que "la décision de le faire a été prise par le commissaire Zaccardelli." Malgré tout, celui-ci s'en tirait complètement indemne puisque le rapport de la CPP en arriva à la conclusion qu'"il n'existe aucune preuve selon laquelle le commissaire Zaccardelli s'est fondé sur des facteurs inadéquats pour prendre ses décisions." 

 

Le rapport de la CPP s'attaqua ensuite au deuxième volet de la plainte, soit celui touchant aux allégations d'ingérence politique de la part de la GRC. "Les sondages réalisés par EKOS entre le 26 novembre 2005 et le 18 janvier 2006 révèlent que l'appui de la population est brusquement passé du Parti libéral au Parti conservateur", nota le rapport de la CPP. "Ce revirement dans l'opinion publique s'est produit au moment des divulgations de la GRC, soit entre le 23 et le 28 décembre 2005", pouvait-on lire ensuite.

 

La CPP se montra prudente et refusa de voir un lien de cause à effet. "Il est impossible d'affirmer avec certitude que la divulgation de renseignements par la GRC est le seul facteur qui a causé ce brusque revirement dans les intentions des électeurs", écrivit Kennedy. Le rapport de la CPP se contenta d'énoncer une simple généralité à l'effet que l'ingérence politique de la police en période électorale faisait parti du domaine des possibilités. "Il est clair que, par ses gestes ou ses omissions, la police peut influencer, intentionnellement ou non, le résultat des élections, ce qui peut compromettre le processus démocratique", indiqua le président de la CPP. 

 

Puis, le rapport de la CPP conclua que rien n'empêchait la GRC de se livrer à de l'ingérence politique. "Je suis d'accord avec la GRC pour dire que ses politiques, méthodes et lignes directrices en la matière ne permettent pas de faire face à une situation où la divulgation d'information relative à une enquête policière peut avoir une incidence hors de proportion sur le processus démocratique si bien que la confiance des membres du public à l'égard de l'indépendance de la police est ébranlée", observa Kennedy.

 

"En raison du rôle central du processus électoral dans une démocratie et de la brièveté de la période électorale, il doit y avoir au départ une présomption en faveur de la non-divulgation de l'existence d'une enquête criminelle", fit valoir la CPP. Le président Kennedy recommanda donc que la GRC élabore une politique spéciale concernant la divulgation de renseignements portant sur des "enquêtes très délicates", c'est-à-dire toute enquête pouvant avoir une incidence sur le processus électoral, ou qui concerne des personnages politiques, des hauts fonctionnaires ou même des cadres supérieurs d'une importante société cotée en bourse. Notons que la GRC n'est liée d'aucune façon par les recommandations de la CPP.

 

Kennedy présenta son rapport lors d'un point du presse, à Ottawa. Les journalistes présents cherchèrent à tirer les vers du nez du président de la CPP quant aux conclusions qu'il tirait du rôle que joua la GRC lors de la campagne électorale. "Je n'ai pas la moindre idée de ce qui a pu se passer dans la tête du commissaire (Zaccardelli)", affirma Kennedy qui cherchait à se défiler. Il concéda du bout des lèvres qu'il était "crédible d'assumer" que la mention du nom de Goodale dans le communiqué de presse de la GRC pouvait avoir eue une influence négative sur les élections. Devant l'insistance des journalistes, Kennedy se rendit à l'évidence et admit que "la GRC savait" que ces actions auraient un impact sur la campagne. "Dans ce cas particulier, fournir de l'information au milieu d'une élection à une personne qui est critique en matière de Finances, vous savez que ça sera utilisé dans un but particulier", déclara le président de la CPP. (171)

 

 

Sources :

 

(168) The Canadian Press, "RCMP revamps disclosure policy in wake of controversy over income-trust probe", Jim Bronskill, February 6 2008.

(169) La Presse Canadienne, "La GRC ne devrait pas rendre publique l'existence d'une enquête criminelle", 11 mars 2008.

(170) http://www.cpc-cpp.gc.ca/DefaultSite/Reppub/index_f.aspx?ArticleID=1736

(171) http://www.thestar.com/News/Canada/article/407573



Conclusion

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