Si le pétrole a une odeur, l’argent du pétrole lui n’en a pas

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Pétrole entre pourritures -partie 2

(voir partie 1)

Un autre Canadien de renommée internationale, M. Maurice Strong, s’est retrouvé lui aussi mêlé à l’affaire d’une bien étrange façon. Travaillant pour l’ONU depuis 1985, M. Strong présida le fameux Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, en 1992, qui mènera plus tard à l’adoption du protocole de Kyoto. Il est conseillé du secrétaire général de l’ONU depuis 1997, avant de devenir le représentant spécial de M. Kofi Annan pour la Corée du Nord en 2003.


M. Strong, qui a aussi été le président d’Hydro Ontario et de Pétro-Canada, est aussi connu comme étant le mentor de M. Paul Martin Jr. Les liens entre MM. Strong et Martin remontent aux années soixante. À l’époque M. Strong avait travaillé pour Paul Martin père, lorsque ce dernier était ministre aux affaires étrangères. Enfin, M. Strong était président de la multinationale Power Corporation lorsqu’il embaucha, en 1966, le jeune Paul Martin Jr, tout fraîchement sortie de l’université. Depuis, M. Strong est régulièrement identifié comme un influent conseiller du premier ministre canadien.

M. Strong connaît aussi le fils du secrétaire général de l’ONU, Kojo Annan. Mais cela ne devrait pas poser de surprises, puisqu’il est bien connu que M. Strong connaît tout le monde dans le petit monde des puissants. Notons tout de même que M. Strong et le fils de son patron ont tous deux siégé sur le conseil d’administration d’Air Harbour Technologies, une compagnie possédée par le fils d’un ministre du pétrole d’Arabie Saoudite. Cette entreprise reçut d’ailleurs un contrat controversé concernant la construction d’un aéroport à Harare, capitale du Zimbabwe. (10)

Le lien entre Maurice Strong et le scandale Pétrole contre nourriture est apparu lorsque le controversé homme d’affaires sud-coréen Park Tong-Sun fut inculpé par un procureur new-yorkais d’avoir cherché à influencer deux hauts responsables de l’ONU pour le compte du régime de Saddam Hussein. (11)

Personnage haut en couleur, M. Tong-Sun est réputé proche des services secrets sud-coréens. Il avait fait les manchettes durant les années ’70 lorsqu’il s’était retrouvé au cœur du scandale appelé ‘Koreagate’, aux États-Unis. M. Tong-Sun avait versé des pots-de-vin totalisant 850 000$ en argent comptant à 32 politiciens du Congrès américain dans le cadre d’un effort de lobbying pour le compte du gouvernement sud-coréen destiné à contrer les projets du président Jimmy Carter visant la réduction des troupes américaines stationnées en Corée.

En 1977, M. Tong-Sun avait été inculpé de trente-six chefs d’accusation, mais celles-ci furent abandonnées lorsqu’il accepta de “coopére? (moucharder) avec la justice américaine. Plusieurs membres du Congrès furent accusés d’avoir accepté l’argent de M. Tong-Sun, et l’un d’eux, le démocrate californien Richard Hanna, fut même envoyé en prison. Par la suite, M. Tong-Sun tomba dans l’oubli et ne fit plus parler de lui, jusqu’à ce qu’il soit à nouveau accusé, cette fois-ci dans l’affaire Pétrole contre nourriture.

Cette fois-ci, l’acte d’accusation reproche à M. Tong-Sun d’avoir reçu 2 millions$ du gouvernement irakien, dont une partie devait servir à “prendre soi? du second responsable de l’ONU. L’accusation mentionne aussi que M. Tong-Sun avait investi un million$ dans une entreprise énergétique canadienne créée par le fils de l’un des deux responsables de l’ONU. (12)

Or, il apparut rapidement que ce responsable était nul autre que le légendaire Maurice Strong. Le 18 avril 2005, ce dernier reconnut que lui et son fils, Fred, s’étaient associés avec M. Tong-Sun dans une compagnie éphémère, Cordex Petroleums Inc., basée à Calgary. Il nia toutefois que lui ou cette compagnie soit lié de quelque façon que ce soit au programme Pétrole contre nourriture ou à n’importe quelle autre activité de l’ONU en Irak. Dans une tentative boiteuse de noyer le poisson, M. Strong essaya de justifier sa relation avec M. Tong-Sun en disant de ce dernier qu’il le conseillait sur les questions coréennes.

Fait intéressant, le Canadian Steamship Line Group Inc., le holding de la multinationale contrôlée par la famille Martin, détenait 4.6% des actions de Cordex, qui fit faillite en 1999. Mme Melanie Gruer, porte-parole du premier ministre Martin, déclara que les actions de Cordex furent placés dans une fiducie sans droit de regard, en 1993. Les principaux investissements de Cordex se trouvaient dans des propriétés pétrolières basées au Chili et en Argentine. (13)

En réaction à ces révélations, M. Stéphane Dujarric, un porte-parole de l’ONU, déclara que les Nations Unies “étudiaien? l’opportunité de demander à M. Strong de démissionner de ses fonctions. (14) On aurait voulu faire sentir à Strong qu’il était de trop qu’on ne s’y serait pas pris autrement ! M. Strong a compris le message et démissionna de son poste de conseiller spécial auprès du secrétaire général, le 20 avril.

Mais le lendemain de sa démission, M. Strong fut à nouveau mis dans l’embarras lorsque les enquêteurs de la commission Volcker découvrirent que le conseillé déchu avait contrevenu à la réglementation onusienne relativement à l’embauche de personnel en engageant sa belle-fille, Mme Christina Mayo, pour travailler pour lui, à New York, en février 2003. Celle-ci démissionna aussitôt qu’elle fut informée de la situation. (15)

M. Strong pourrait être encore loin d’être tiré d’affaire car le quotidien sud-coréen Korea Times indiquait que M. Tong-Sun caresserait l’idée de coopérer avec la justice américaine en tant que témoin à charge contre les responsables de l’ONU. (16) On se rappellera que c’est de cette façon que M. Tong-Sun avait réussi à éviter la prison au terme de l’affaire ‘Koreagate’.

On conviendra qu’à l’heure actuelle, cette histoire demeure encore pour le moins obscure. Mais s’il s’avère que M. Strong a bel et bien trempé dans une sinistre opération de trafic d’influence orchestré à partir de Bagdad, cette affaire pourrait alors avoir le potentiel de causer des dommages politiques au plus haut niveau au Canada.

(voir partie 3)

Sources :

(10) The Globe & Mail, “The Many Friends of Maurice Strong", by Margarete Wente, April 20 2005.
(11) The Globe & Mail, “Oil-for-food figure was ‘Oriental Gatsby", by Alan Freeman, April 22 2005.
(12) The Globe & Mail, “UN probe seeking information about Canadian", April 20 2005.
(13) The Globe & Mail, “Strong resigns UN post, vows to clear his name", by Alan Freeman and Paul Waldie, April 21 2005.
(14) La Presse, “Pétrole contre nourriture — Le Canadien Maurice Strong lié à un homme d’affaires incriminé", 20 avril 2005.
(15) BBC, “Ex-N Korea envoy 'broke UN rules", April 29 2005.
(16) Korea Times, “Lobbyist Park Tong-sun at Large in Japan", by Bae Keun-min, April 17 2005.
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