En 1977, le Projet Z revient hanter Raymond Garneau

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Dossier Raymond Garneau –partie 4

(précédent)

Lorsque le Parti Québécois dirigé par M. René Lévesque s’empara du pouvoir à la faveur des élections du 15 novembre 1976, les suites du Projet Z connaîtront d’autres rebondissements des plus spectaculaires. À ce moment-là, le puissant Parti libéral était désormais réduit à une vingtaine de députés contre 71 pour le Parti Québécois.

Ce n’est pas que l’électorat québécois était devenu soudainement souverainiste. D’ailleurs, le PQ n’avait pas élaboré sa campagne électorale autour de son projet de souveraineté-association, mais plutôt sur le thème du « bon gouvernement ». Cette stratégie s’est avérée électoralement payante pour le PQ, qui disposait d’un avantage unique sur ses rivaux du PLQ et de l’UN : il n’avait pas été corrompu par le pouvoir puisqu’il ne l’avait jamais exercé jusqu’à présent.

De toute évidence, les multiples allégations de corruption qui pesaient à l’encontre du régime Bourassa jouèrent un rôle crucial dans la défaite des libéraux. Dans un livre paru en 1978, le couple de journalistes Vera et Don Murray évoque « la légende du gouvernement Bourassa [qui] commença à s’enraciner profondément dans l’esprit des Québécois et des Canadiens . C’était un régime corrompu—ainsi le voulait la légende—, plus corrompu que tout autre depuis le régime Duplessis, conduit par des hommes vénaux et d’intelligence bornée », écrivent les Murray, qui semblent sceptiques face aux allégations de corruption. [1]

Que l’on parle d’une légende de la corruption ou de corruption légendaire, il n’en demeure pas moins que les libéraux de Bourassa étaient largement discrédités aux yeux de l’électorat québécois. Le verdict de l’électorat avait été si implacable que M. Bourassa démissionna de la chefferie du Parti libéral après avoir été battu dans son propre comté. C’est l’ancien ministre de la justice, M. Gérard D. Lévesque, qui assume dès lors le leadership du PLQ de façon intérimaire d’ici à ce qu’un nouveau chef soit trouvé.

Voilà justement le projet que caresse M. Garneau : devenir le prochain grand patron des libéraux du Québec. Comme tout être animé par l’instinct du pouvoir, M. Garneau cherche à grimper plus haut, toujours plus haut. Il se voit sans doute déjà comme un futur premier ministre du Québec. Mais l’enquête policière découlant du Projet Z va brutalement lui ramener les pieds sur terre, le 30 novembre 1977.

Ce jour-là, la SQ effectue une perquisition policière au quartier général du Parti libéral du Québec, à Montréal, qui, par un curieux hasard, loge dans l’édifice de la Caisse d’économie des policiers de Montréal, sur la rue Gilford. Les bureaux de l’Union Nationale font eux aussi l’objet d’une descente policière à la même date. Ces perquisitions font suite à d’autres descentes policières survenues la semaine précédente.

Voici le compte rendu de l’opération policière qui a été diffusé le lendemain sur le réseau radiophonique de Télémédia :

« La Sûreté du Québec a saisi, la semaine dernière et hier, tous les documents financiers du Parti libéral du Québec et de l’Union Nationale du Québec dans le cadre de l’enquête menée sur certaines transactions impliquant la Société des alcools du Québec. Les policiers ont visité les trusts et bureaux de ces deux formations politiques amenant avec eux, notamment, la liste des membres et des fournisseurs de fonds. »

« Selon le mandat de perquisition de la Sûreté du Québec, les policiers rechercheraient ou recherchaient des documents permettant d’établir que des contributions ont été versées à ces partis dans le but d’influencer l’obtention de contrats de la Société des alcools du Québec. Un porte-parole de la Sûreté du Québec a confirmé à Télémédia ces perquisitions, sans toutefois donner plus de détails sur la nature de l’enquête qui a commencé il y a environ deux ans alors que la CECO avait entendu des personnages qui gravitaient dans l’entourage du ministre libéral des Finances de l’époque, Raymond Garneau. »

« La période visée par le mandat de la police s’échelonne sur treize ans, soit du 1er janvier 1964, ou encore de la fin du régime Jean Lesage où Raymond Garneau était secrétaire exécutif du premier ministre, jusqu’à ce jour, c’est-à-dire jusqu’à la fin de novembre 1977. »

Les allégations contenues dans ce bulletin de nouvelles étaient évidemment extrêmement dommageables pour la réputation de M. Garneau puisque ce dernier se trouvait à être placé au centre, sinon au sommet, du vaste réseau d’extorsion lié au financement de la caisse électorale libérale.

À l’Assemblée nationale, les partis d’opposition sont évidemment scandalisés par la tournure des événements. Les perquisitions aux locaux du PLQ et de l’UN deviennent le premier sujet abordé lors de la période de questions. Le leader libéral, M. Gérard D. Lévesque, veut savoir si les policiers songent aussi à faire le même genre de perquisitions aux locaux du Parti Québécois. Il demande aussi au ministre de la Justice du gouvernement de René Lévesque s’il a autorisé des procureurs ou des substituts du procureur général sous sa juridiction à demander d’émettre un mandat de perquisition pour les quartiers généraux du PLQ.

Mais le ministre de la justice, M. Marc-André Bédard, se dit incapable, dans un premier temps, de répondre aux questions pour le moins pressantes de l’opposition. Il dit qu’il a demandé des informations aux responsables policiers et qu’il sera en mesure de répondre à toutes les questions d’ici quelques minutes. M. Bédard ajoute que le ministre de la Justice n’est pas un policier et qu’il ne commencera pas le « petit jeu de [se] mêler de toutes les enquêtes policières ». Bref, le ministre n’est pas préparé à répondre aux questions, et l’opposition en fait également tout un plat.

Les travaux de l’Assemblée sont alors suspendus, et à la reprise de la séance, le ministre Bédard fait une déclaration qui se veut une réponse globale aux différentes questions soulevées par l’opposition jusqu’alors. D’entrée de jeu, M. Bédard annonce que d’autres perquisitions sont à venir. Puis, il déclare ceci :

« Ces perquisitions légalement autorisées ont été effectuées dans le cadre d’une enquête qui se poursuit depuis plus de deux ans relativement à des activités de la Société des alcools du Québec et relativement également à un système de corruption qui a prévalu pendant plusieurs années au Québec. »

Le mot était lancé : « un système de corruption ». On ne parle plus de quelques cas isolés de pots-de-vin, mais d’une corruption érigée en forme de système. On ne parle plus des pommes pourries, mais bien du pommier lui-même ! L’opposition n’en sera qu’encore plus outragée.

Après plusieurs minutes de discussions agitées, le député Raymond Garneau prend la parole sur une question de privilège. Il commence par lire le compte rendu diffusé sur les ondes de Télémédia reproduit ci-haut. Puis, il se lance dans un vibrant plaidoyer en faveur de sa défense, dont voici un large extrait :

« Je voudrais répéter—et je le déclare de mon siège—que jamais je n’ai été mêlé, ni de près, ni de loin, à quelque trafic d’influence que ce soit pour l’obtention de fonds pour le Parti libéral du Québec ou pour moi-même, et cela ni comme ministre des Finances, ni comme ancien secrétaire exécutif de l’honorable Jean Lesage. »

« M. le Président, j’ai dit que, depuis, bientôt trois ans, il y avait une orchestration de rumeurs et de fuites calculées qui ont été pratiquées dans le but évident de saper ma crédibilité en mettant en doute mon intégrité. Je soumets à l’attention de cette Chambre et à l’attention du ministre de la Justice, qui a été parmi ceux qui ont posé des questions en cette Chambre… Je lui demande, sinon je le supplie, parce que cela jusque-là, pour moi et pour ma famille—et je mets à part ma carrière politique—de vider une fois pour toutes cette maudite question que je ne peux plus endurer comme homme et comme père de famille ! »

« Tout le monde sait qu’actuellement il y a une période particulière qui sévit dans le Parti libéral du Québec. Je lui demande et le supplie, encore une fois—parce que j’ai des décisions à prendre ; je ne veux en aucune façon nuire ni au Québec, ni à mon parti—de faire la lumière et de porter s’il y en a, des accusations pour qu’une fois pour toutes je sache d’où cela vient, parce que je suis tanné de voir ce genre de rumeurs qui circulent. »

Le petit discours de M. Garneau ne peut se passer de commentaires. Laissant de côté son amour-propre, il joue la carte de la pitié, n’hésitant pas à s’abaisser à supplier son adversaire péquiste qui incarne désormais le pouvoir à Québec. Il parle de sa famille à l’Assemblée nationale… mais qu’est-ce que les problèmes de famille, réels ou appréhendés, de M. Garneau ont à voir avec toute cette affaire ? Est-il en train de suggérer que toute histoire est en train de détruire sa famille ? Ou est-ce une forme de chantage émotif ?

On notera aussi que lorsque M. Garneau prétend n’avoir jamais été « mêlé, ni de près, ni de loin, à quelque trafic d’influence », il s’agit-là d’une première. En effet, jamais M. Garneau n’avait nié aussi catégoriquement les allégations qui pesaient contre lui. On est d’ailleurs en droit de se demander pourquoi a-t-il attendu si longtemps avant de clamer haut et fort son innocence.

Et pourquoi faudrait-il prendre sa parole ? Les actes parlent plus fort que les mots, surtout lorsque ces mots sortent de la bouche d’un politicien. Et la décision du gouvernement d’écarter M. Garneau de la SAQ, en septembre 1975, de même que le timing de cette décision parlent d’eux-mêmes et parlent plus fort que toutes les dénégations de M. Garneau et de ses collègues libéraux. Les faits sont clairs : de la RAQ à la SAQ en passant par Loto-Québec, le nom de M. Garneau fut invariablement associé à des affaires de patronage politique.

Dans les médias, l’affaire des perquisitions soulèvera des réactions partagées. « This is no police state » [« Ceci n’est pas un État policier »], clame haut et fort le journal The Gazette dans un éditorial publié trois jours après les descentes policières. « Le spectacle d’une force policière faisant une descente dans les bureaux des partis de l’opposition est le genre de chose auxquelles on pourrait s’attendre de voir dans un État policier. M. Bédard doit expliquer pourquoi est-ce qu’on voit ça au Québec » [traduction par l’auteur]. [2]

La performance de M. Garneau en tant que « victime » suscitera d’ailleurs un certain vent de sympathie à son endroit, même au quotidien Le Devoir, qui s’était pourtant acharné à faire couler les résultats de l’enquête secrète de la CECO sur le patronage politique à la SAQ. Même s’il écrit que « M. Garneau se trouve injustement jeté dans une position cruelle », M. Leclerc n’en constate pas moins que l’ancien ministre libéral n’aurait pas tant à se scandaliser aujourd’hui s’il avait « nettoyé vigoureusement » l’épineux dossier de la SAQ à l’époque. Ce qu’il n’a jamais daigné faire, évidemment. [3]

M. Leclerc écrit ensuite : « Il n’en demeure pas moins, toutefois, qu’à titre d’ancien ministre des finances responsable de la gestion non seulement “rationnelle” mais intègre de la Société des alcools, il ne peut éluder toute responsabilité politique à l’égard des listes de fournisseurs de la SAQ » . Autrement dit, M. Leclerc invite Raymond Garneau à assumer sa part du blâme. De l’avis de l’éditorialiste, voilà exactement ce que M. Garneau devrait faire « au lieu de se lancer, en de si mauvaises circonstances, dans la course à la direction de son parti »

Mais pourquoi Raymond Garneau s’entête-t-il à vouloir se présenter à la chefferie malgré une conjoncture si peu favorable pour lui ? « Je n’ai pas le choix », confiera M. Garneau à son ami Jean Chrétien, alors ministre dans le gouvernement Trudeau, en décembre 1977. « Je dois me présenter parce que sinon ils diront que j’ai quelque chose à cacher. » [4]

Durant la période des questions du 6 décembre 1977, le ministre Bédard apporta quelques précisions sur les motifs entourant les perquisitions aux bureaux du PLQ. Il indiqua que les policiers étaient à la recherche « des listes de souscripteurs avec un code indiquant le montant des dons des compagnies ayant traité avec la SAQ. » [5]

Le ministre Bédard révèle également que, deux jours avant ces descentes policières, les enquêteurs de la SQ avaient procédé à des perquisitions chez les compagnies de trust qui étaient fiduciaires des sommes d’argent versées au PLQ et à l’UN. Or, les policiers étaient en quelque sorte revenus bredouilles puisqu’ils n’avaient réussi qu’à trouver des documents « des montants et des dates de dépôts sans identification autre que des numéros »

Toutefois, l’exercice n’avait pas été inutile puisqu’il permis aux enquêteurs de la SQ de découvrir l’existence de « lettres de personnes en autorités du Parti libéral, datées du 15 et 17 novembre 1976, donnant instruction de détruire toute liste de correspondance non comptable ». Les policiers avaient donc des motifs raisonnables de soupçonner que le fiduciaire libéral avait détruit les listes de souscripteurs à la caisse électorale du PLQ dans les jours qui ont suivi l’élection de novembre 1976. Bref, les enquêteurs se trouvaient vraisemblablement confrontés à une conspiration visant à supprimer des éléments de preuve.

À la même occasion, le ministre Bédard a aussi révélé que l’enquête policière sur la SAQ avait donné lieu à pas moins de 185 perquisitions dans des entreprises fournissant des biens et services à la SAQ, ou à l’ancienne RAQ. Ces perquisitions menèrent à la saisie de 1 200 caisses de documents qui « ont permis de démontrer que ces entreprises ont effectivement contribué de façon systématique aux partis politiques sur une période de dix ans ». Quant aux perquisitions aux locaux du PLQ et de l’UN, elles permirent aux policiers de saisir 1 500 documents.

On découvrira ensuite que les supplications de M. Garneau à l’Assemblée nationale n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd. En effet, le 21 décembre suivant, le ministre Marc-André Bédard (le même qui, du temps qu’il siégeait dans les rangs de l’opposition, avait demandé la démission de Garneau) fait une déclaration dont l’objet apparent est de laver la réputation de l’ancien ministre libéral des finances. Ce jour-là, M. Bédard déclare aux députés : « …je puis assurer cette Assemblée qu’il n’existe actuellement aucun motif raisonnable et probable de croire qu’un quelconque de ses membres ait pu être partie à la commission d’une infraction criminelle ».

« C’est un maudit beau cadeau de noël », s’exclamera par la suite M. Garneau. Il le prendra comme ça, ce qui est à son avantage, bien entendu, même si, en réalité, le ministre de la Justice n’a jamais prononcé quelque nom que ce soit. [6]

D’ailleurs, il faut faire bien attention au choix des mots employés par le ministre. « Actuellement », c’est aujourd’hui. Pas demain, ni hier. En employant le mot « actuellement » dans sa déclaration, le ministre laisse donc la porte ouverte à ce que la situation puisse changer dans le futur.

Autrement dit, ce n’est pas comme si la déclaration du ministre reflétait une conclusion de l’enquête policière. Ce n’est pas comme si le ministre de la Justice, avait dit, par exemple : après une longue enquête, les policiers rejettent toute possibilité que M. Garneau ait commis une infraction criminelle. Ce n’est pas comme si le gouvernement avait qualifié de farfelues ou de diffamatoires les allégations pesant à l’endroit de M. Garneau. Bref, ce n’est pas comme si le gouvernement innocentait M. Garneau. En fait, cette déclaration est l’aboutissement de quelle analyse ? On l’ignore.

De plus, il faut aussi bien comprendre la portée du concept de « motifs raisonnables et probables », employé par le ministre Bédard qui est, comme bien des députés, avocat de profession. La présence de « motifs raisonnables et probables » est nécessaire pour porter des accusations et enlever la liberté à quelqu’un alors que de simples soupçons sont insuffisants. Donc, constater l’inexistence de « motifs raisonnables et probables » n’équivaut pas à conclure qu’il n’existe pas matière à soupçons.

Et force est de constater pareille matière était abondante en ce qui concerne M. Garneau. Rappelons que lors des audiences à huis clos de la CECO, M. Garneau avait directement été mis en cause dans les témoignages de MM. Marc Boissoneault et Roger Laverdure, deux hauts responsables de la SAQ. D’autres témoignages avaient également écorché certains de ses proches collaborateurs, tels que MM. Jean-Noël Richard et Paul-Émile Giguère.

Donc, ce n’est pas parce que M. Garneau s’en est sorti indemne, à tout le moins au niveau de son casier judiciaire, qu’il est blanc comme neige pour autant. D’ailleurs, depuis quand les enquêtes policières sur des affaires de patronage mènent-elles à des accusations criminelles contre des ministres ou anciens ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions ? Voilà qui serait du jamais vu au Québec. Même sous les gouvernements péquistes c’est jamais arrivé. Et c’est pas demain matin que ça va changer.

D’ailleurs, s’il fallait qu’on limite notre droit de crier à la magouille politique aux seuls politiciens ayant fait l’objet d’accusations criminelles, cela aurait pour effet de placer la classe politique au grand complet à l’abri de tous soupçons !

Le pire qui peut leur arriver, à ces politiciens « usés » par le pouvoir, c’est de voir leur réputation entachée. Et c’est ce qui est arrivé à M. Garneau jusqu’à un certain point. Pas auprès des organisateurs libéraux qui militèrent en sa faveur lors de la course à la chefferie du PLQ de 1978. Mais sans doute auprès d’une partie de la population, comme celle qui lit Le Devoir par exemple.

Ainsi, M. Garneau aura beau dire tout ce qu’il voudra, il n’en demeure pas moins que quand il prétend n’être au courant de rien, il est aussi peu crédible que lorsque les anciens ministres du gouvernement Chrétien prétendirent au juge Gomery ne pas avoir été courant des malversations systématiques qui entouraient le programme des commandites.

« Il ne suffit pas, si l’on veut occuper un poste responsable, de n’avoir jamais été pris la main dans le sac », écrivait M. Claude Ryan dans un éditorial publié dans Le Devoir. « Il faut être au-dessus de tout soupçon. Voilà la nuance qui semble échapper souvent au gouvernement et à ses amis », conclut le directeur du Devoir. [7]

Il n’est pas impossible que M. Garneau ait véritablement été innocent. Mais, à ce titre, on peut aussi dire que rien n’est impossible. Si on veut aller dans le domaine de l’hypothétique, on peut également prétendre qu’il n’est pas impossible que la déclaration du ministre Bédard ait été peut-être le fruit d’un obscur marchandage. Comme nous le verrons plus loin, ce n’est pas comme si le gouvernement péquiste fera de grands efforts pour vraiment aller au fond de l’affaire.

En l’absence de certitudes, il reste toujours le domaine des probabilités. Et dans le cas de M. Garneau, les probabilités sont très fortes à l’effet qu’il n’a jamais été aussi innocent qu’il a prétendu l’être. Le fait est qu’on ne peut ressortir vraiment propre après avoir trempé si longtemps dans des eaux si sales. M. Garneau était un membre important d’un parti qui laissait ses organisateurs politiques exercer un racket de protection des contrats qui n’avait rien à envier aux pratiques du crime organisé. On parle ici d’une conspiration criminelle de grande envergure dans laquelle l’État sert les fins du Parti, et non l’inverse. (Cela ne vous rappelle pas l’affaire des commandites ?)

Ce n’est pas le temps qui fait vraiment disparaître ces mauvaises odeurs qui ont collé à la peau de M. Garneau pendant si longtemps. C’est plutôt l’amnésie collective qui semble frapper la profession journalistique en certaines occasions…

Ironiquement, même si M. Garneau était définitivement débarrassé des allégations qu’il traînait péniblement comme un boulet attaché à ses pieds, cela n’améliora nullement ses chances lors de la course à la chefferie du PLQ. En effet, l’establishment libéral avait déjà décidé de ne pas lui apporter son appui. Pourtant, à première vue, M. Garneau avait tous les atouts pour réussir. C’était un partisan convaincu du fédéralisme canadien et un défenseur infatigable de l’entreprise privée. Même dans les moments les plus difficiles du régime Bourassa, il était resté loyal à son chef.

Mais l’establishment ne voulait pas de lui pour la simple et bonne raison que M. Garneau avait été associé de près, de trop près sans doute, à un gouvernement discrédité aux yeux de l’électorat québécois. Le tribunal de l’opinion publique n’a que faire de la notion abstraite de « motifs probables et raisonnables ». Ici, ce sont les apparences qui comptent : apparences de conflits d’intérêts, apparences de corruption et de malhonnêteté. Les ténors du Parti libéral auront compris que les apparences ne jouaient pas en faveur de M. Garneau.

Pour trouver quelqu’un de « propre », à tous le moins au niveau des apparences, il fallait donc miser sur un outsider qui aura l’étoffe nécessaire pour à la fois sauver le Parti libéral de sa déroute et mener les forces fédéralistes à la victoire lors du référendum sur le projet de souveraineté-association. Et l’establishment trouva le candidat idéal en la personne de Claude Ryan, directeur du quotidien Le Devoir depuis 1964, le même journal qui avait abondamment couvert les scandales de corruption et de patronage politique qui avait fait tant de tort à l’image de M. Garneau !

L’establishment voulait M. Ryan en dépit du fait que celui-ci avait contribué à la défaite libérale en appelant son lectorat à voter pour le Parti Québécois à l’occasion des élections de novembre 1976. Non pas que M. Ryan entretenait d’obscures sympathies souverainistes : il n’en n’était rien. Le directeur du Devoir était plutôt reconnu comme étant un intellectuel nationaliste.

À son grand désarroi, M. Garneau découvrira que la base du parti était sur la même longueur d’ondes que l’establishment libéral. À la convention libérale d’avril 1978, M. Ryan l’emportera haut la main, avec 1 784 voix en sa faveur, contre seulement 804 pour M. Garneau, son seul et unique adversaire.

(suivant)

Sources :

[1] « De Bourassa à Lévesque », par Don Murray et Vera Murray, Les Éditions Quinze, 1978, p.19.
[2] Montreal Gazette, « This is no police state », 3 December 1977.
[3] Le Devoir, « L’étrange perquisition de la SAQ », par Jean-Claude Leclerc, 3 décembre 1977.
[4] « From Bourassa to Bourassa », by L. Ian MacDonald, 2002, McGill-Queen’s University, p.46.
[5] Le Devoir, « La perquisition au PLQ faisait suite à la destruction présumée de documents », par Jean-Claude Picard, 7 décembre 1977.
[6] Le Devoir, « Garneau libéré des soupçons que la CECO avait fait planer sur lui », par Jean-Claude Picard, 22 décembre 1977.
[7] Le Devoir, « Les dossiers de la CECO et l’élection », par Claude Ryan, 9 novembre 1976.

Publié dans Raymond Garneau

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.23. - THÉORÈME GOMERY. - La loi de la Corruption.
Répondre
B
le site de la commission Gomery indique que Raymond Garneau a été maintenu à son poste jusqu'à la fin. Peut-être en aurait-il été autrement si les médias s'étaient intéressés au passé douteux de cet ancien ministre des Finances...
Répondre
M
Ou en sont les choses concernant Raymond Garneau, dans le dossier des recommandations du Rapport Gomery?<br /> A-t-il été maintenu en poste, malgré les révélations troublantes à son sujet??
Répondre