Qui a financé le membership fantôme ?

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Dossier drogue et politique en Colombie-Britannique –partie 5

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Résumons ce que nous avons vu jusqu’à présent : une enquête de la division des stupéfiants de la GRC mène la police au parlement de Colombie-Britannique ; des organisateurs libéraux membres de l’état-major provincial du clan Martin font eux aussi l’objet de perquisitions policières ; ces mêmes organisateurs libéraux furent les chefs d’orchestre d’une campagne de recrutement controversée lors de laquelle de nombreuses personnes fictives, ou non-consentantes, furent inscrites sur la liste de membre.

Ce qui, finalement, nous amène à poser cette question incontournable qui étaient sur toutes les lèvres en Colombie-Britannique dans les jours qui suivirent les perquisitions au parlement : d’où viennent donc les fonds qui servirent à financer la campagne de membership qui permit au clan Martin de faire main basse sur la quasi-totalité des Associations libérales de comté de la C.-B. ?

Évidemment, le fait qu’une enquête des stups soit à l’origine de toute cette affaire constitue vraisemblablement un indice de premier ordre dans cette recherche de réponse. Et, bien entendu, qui dit « drogue », dit aussi « argent de la drogue ». Et quand on pense à l’« argent de la drogue », on pense souvent à beaucoup d’argent. Surtout en Colombie-Britannique, où la GRC estime que le chiffre d’affaires du commerce de marijuana s’élève à 6 milliards$.

Ainsi, c’était donc trop beau pour être vrai. De toute évidence, la croissance phénoménale du membership libéral fédéral de C.-B. cachait de sinistres combines. Peut-être même qu’elle camouflait une opération sophistiquée de blanchiment d’argent via l’achat massif de cartes de membre du PLC.

En janvier 2004, ces graves allégations tombaient à un bien mauvais moment pour le gouvernement flambant neuf de M. Paul Martin Jr. En effet, ce dernier devait alors affronter l’électorat à plus ou moins brève échéance, ce qui ne laissait pas beaucoup de temps devant lui pour se façonner l’image d’un leader qui incarne le changement à une population canadienne fatiguée par dix années de pouvoir libéral ininterrompu.

Dans ces circonstances, on se serait attendu à ce que l’ensemble de la grande famille libérale resserrent ses rangs et se porte à la défense de l’intégrité du Parti et de son chef, en réfutant avec la plus grande des énergies cette hallucinante flopée d’allégations. Mais, au lieu de prétendre tomber des nues, au lieu de crier à la diffamation ou au complot, certains initiés (« insiders ») des cercles libéraux choisirent plutôt d’agir tout autrement.

Dans une entrevue accordée à CBC deux jours après les fameuses perquisitions, Greg Wilson, un ancien membre de l’exécutif du PLC (section de C.-B.) déplore que de plus en plus de cartes de membres et de frais de délégués soient payés en argent comptant, ce qui ne laisse aucune piste de papier pour retracer l’origine des fonds.

« Ce qui nous amène à la conclusion que ce sont d’autres qui paient pour les frais de délégué ou de membership—qui sont payé par des groupes qui ont un intérêt à promouvoir leur propre agenda », déclare sans détour M. Wilson. « Par exemple, des candidats pour une nomination et des candidats au leadership plutôt que des individus payant pour leur propre membership, qui est ce que requiert les règles du Parti », ajoute-t-il.

M. Wilson va jusqu’à dire que cette nouvelle tendance s’est accentuée dans le Parti depuis que M. Martin a entrepris ses efforts en vue de succéder à M. Chrétien. « Quand les gens de Paul Martin ont repris la convention en 1999, il y avait un plus grand nombre de gens qui payaient en liquide à cette convention. Et la difficulté c’est qu’on a toujours des questions quand on fait affaire avec de grosses quantités d’argent: d’où vient cet argent ? »

On aura deviné que M. Wilson ne semble pas porté particulièrement M. Martin dans son cœur. En fait, M. Wilson fut un supporter de Mme Sheila Copps, qui fut la seule candidate à tenir tête à M. Martin en refusant obstinément de se désister dans cette course qui n’en était pas une finalement, tellement la longueur d’avance qu’avait prise M. Martin était irrattrapable.
 
Mais au-delà du lavage de linge sale entre libéraux, il n’en reste pas moins que M. Wilson est un vieux routier du Parti qui défend les couleurs libérales depuis 30 ans. Il s’exprime comme s’il se doutait depuis quelque temps déjà qu’il y avait des choses pas nettes qui se passe dans le Parti. Comme si les perquisitions n’avaient fait que confirmer ses propres soupçons.

D’ailleurs, M. Wilson récidive le lendemain, avec de nouvelles déclarations-choc diffusées à l’antenne de Global TV : « Il y a des allégations que l’argent bouge de façons étranges. Il n’y a aucune piste claire de papier, parce qu’en C.-B., des milliers littéralement, peut-être quelque part entre 30 000 et 40 000 cartes de membres qui ont été vendues lors des deux dernières années; et nous ne savons pas d’où vient l’argent et je pense qu’il est important que le Parti soit ouvert à propos de l’origine de l’argent. La campagne de Martin doit une explication aux gens de C.-B. et du Canada. » (47)

Le message est clair : le premier ministre Martin et ses supporters doivent rendre des comptes. Et M. Wilson n’est pas le seul militant libéral à penser ainsi. David R. McCann, qui fut directeur du membership dans l’Association libérale de comté de Vancouver-Quadra, déclarait publiquement qu’il y a des gens dans le PLC qui disent que les coûts d’adhésion de 10$ de plusieurs nouveaux membres ont été payés par des personnes inconnues. (48)

« La rumeur dans le parti, c’est qu’il y a beaucoup de dépenses, tels que des voyages, des repas, des frais de délégués, etc. qui furent payés d’une façon similaire. Qui donnait ces grosses sommes d’argent et qu’obtenaient-ils en retour ? », demande M. McCann.

Un autre organisateur libéral s’exprimant avec un accent Indien a donné écho aux propos de MM. Wilson et McCann lors d’un entretien avec un journaliste du Globe and Mail. « C’est évidemment une piste de l’argent », déclare ce libéral qui préféra ne pas être identifié. « Il y a quelques individus impliqués… Ces types venaient tous de l'île [NDLR : de Vancouver]. Ils travaillaient activement sur la campagne de Paul Martin et amenaient probablement un gros paquet d’argent… C’est ça le vrai fond de l’histoire. »(49)

L’ex-député libéral Allan Warnke abonde dans le même sens. « Concentrez-vous sur le membership », lance-t-il au journaliste du Globe. « Vous créez un membership, et alors vous avez l'argent pour couvrir le membership. Maintenant, d’où est venu l’argent ? », demande-t-il.

En lisant entre les lignes, toutes ces confidences commencent drôlement à ressembler à un cri d’impuissance doublé d’un appel à l’aide. On croirait presque entendre ces libéraux désillusionnés supplier les milieux journalistiques d’enquêter en profondeur les pratiques financières douteuses qui entourèrent la campagne au leadership de Martin.

Comme si le problème avait pris une ampleur telle, qu’un véritable ménage à l’intérieur du PLC nécessitera de la pression venant de l’extérieur. D’ailleurs, des commentateurs politiques des plus réputés tels que MM. Norman Spector ou Norman Ruff—qui ne ressemblent en rien à des radicaux de gauche—n’affichent aucune hésitation à soulever publiquement leurs propres questions gênantes.

« Dix dollars par tête, c’est un tiers d’un million de dollars qui arrivent dans le Parti », indique M. Ruff. « Et avec toutes les suggestions voulant qu’il y ait en quelque part un lien entre le blanchiment d’argent et des joueurs dans le Parti libéral, les gens se posent des questions, bien, d’où vient cet argent ? »

Pendant que certains continuent de poser les mêmes questions sans réponses, certains initiés libéraux tentent discrètement de mener leur propre enquête à l’intérieur du Parti. C’est le cas de Bruce Torrie, un militant écologiste antimilitariste et membre vétéran du PLC. M. Torrie a déjà été le conseiller juridique pour le PLC (section de C.-B.) ainsi que pour le Parti libéral provincial de Gordon Campbell. De plus, M. Torrie fut aussi président de l’Association libérale du comté de Vancouver Centre.

Suite à l’avalanche de révélations embarrassantes qui se sont abattues sur les libéraux après les perquisitions, M. Torrie avait commencé à tenir des séances d’information avec des ténors libéraux pour discuter de l’infiltration du PLC par le crime organisé. Puis, peu de temps après, la maison de M. Torrie fut la cible d’un cambriolage, vers la fin du mois de janvier 2004.

Dans un communiqué de presse diffusé le 4 février 2004, Bruce Torrie explique que la police lui a affirmé que le cambriolage était l’œuvre de professionnels qui allèrent jusqu’à couper les fils téléphoniques pour neutraliser le système d’alarme. « Ils ont laissé presque tout ce qui avait une vraie valeur, ne prenant que trois gros pots de monnaie et quelques autres items », déclare M. Torrie dans le communiqué. (50)

 « Ils ont trouvé deux cachettes secrètes dans ma maison dont je ne connaissais même pas l’existence et ils ont tout viré à l’envers, apparemment pour trouver de l’information ». M. Torrie croit qu’il existe deux organisations criminelles qui s’affrontent pour le contrôle du Parti libéral du Canada et que plusieurs éminents politiciens et fonctionnaires du parti sont « des gobeurs ou des mandataires pour le crime organisé ».

Est-il besoin de préciser qu’aucun suspect n’a jamais été interpellé en rapport avec ce cambriolage et que cette mystérieuse histoire tomba rapidement dans l’oubli ?

Les amis de David Basi se portent à sa défense

Sources
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