Les amis de David Basi se portent à sa défense

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Dossier drogue et politique en Colombie-Britannique –partie 6

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À Ottawa, face à ce scandale qui gagnait en ampleur de jour en jour, le bureau du premier ministre opta dès le début pour la stratégie de l’autruche. Ainsi, trois jours après les perquisitions du 28 décembre 2003, M. Scott Reid, l’un des principaux conseiller de M. Martin, déclara à un journaliste de CanWest qu’il ne croyait pas que l’enquête policière visait la campagne du clan Martin en Colombie-Britannique pour la chefferie du PLC. Pour M. Reid, toute cette histoire ne serait qu’une affaire « provinciale ». (51)

On serait presque capable de croire que cette affaire « provinciale » n’est en rien reliée avec la politique fédérale… si la GRC n’avait pas eu l’idée d’aller visiter les résidences de trois membres de l’exécutif du PLC (section de C.-B.)—M. Mark Marissen, directeur de campagne, M. Bruce Clark, directeur aux finances, et M. Erik Bornman, directeur aux communications—durant le temps des fêtes !

Le 6 janvier 2004, le premier ministre Martin a commenté l’affaire publiquement pour la première (et dernière) fois au cours d’une conférence de presse en Nouvelle-Écosse. « La police n’a pas communiqué avec nous, alors nous ne savons pas vraiment ce qu’ils cherchent », affirma innocemment M. Martin. (52)

Celui-ci resta également sourd aux appels des partis de l’opposition et de certains commentateurs politiques qui lui demandaient de reporter la tenue du prochain scrutin fédéral d’ici à ce que la situation légale de ses organisateurs de C.-B. soit tirée au clair. « Lorsque l’enquête sera terminée, si cela entraîne des conséquences, quelles qu’elles soient, nous agirons très rapidement », de conclure le premier ministre.

Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aux yeux de M. Martin, il ne semblait pas y avoir péril en la demeure. En Colombie-Britannique, toutefois, les libéraux fédéraux semblaient voir les choses différemment. Et pour cause. Durant les semaines qui suivirent les perquisitions au parlement de C.-B., pas une seule journée ne passait sans que les médias écrits ou électroniques n’évoquent les liens des principaux protagonistes de l’affaire avec le Parti libéral du Canada.

Le 22 janvier 2004, l’avocat du PLC (section de C.-B.), Me Irwin Nathanson, se joignit même aux médias pour demander à la Cour suprême de Colombie-Britannique de mettre fin au suspense en rendant public les motifs sous-jacents de la perquisition policière du 28 décembre 2003. Me Nathanson plaida à la cour que le manque d’information créa une « masse critique de spéculation sauvage » qui cause préjudice au PLC, porte atteinte au système politique et compromet la transparence du système judiciaire. (53)

Toutefois, ni les arguments de Me Nathanson, ni ceux des avocats des médias, ne parvinrent à persuader le juge Patrick Dohm de lever une partie du voile sur le mystère des perquisitions au parlement. 

Jusqu’à présent, les amis de M. Basi—et celui-ci en comptait apparemment beaucoup—s’étaient montrés plutôt discrets. Tant au Parti libéral du Canada qu’au niveau du gouvernement Campbell, rares furent ceux qui montèrent au front pour défendre la réputation de M. Basi sur la place publique. L’un d’eux fut M. Amar Bajwa, qui décrocha le poste d’aide ministériel dans le cabinet du ministre fédéral Joe Volpe après l’accession de M. Paul Martin Jr au pouvoir.

À l’instar de M. Basi et compagnie, M. Bajwa fit ses premiers pas en politique partisane avec les libéraux de Gordon Campbell, à l’époque où ceux-ci siégeaient dans l’opposition. En 1999, M. Bajwa devenait président des Jeunes libéraux de C.-B. Notons aussi que M. Bajwa siégeait sur l’exécutif de l’Association de comté de South Burnaby à titre de directeur du membership lorsque les partisans de l’ex-ministre Dhaliwal furent écartés de leur Association par les organisateurs du clan Martin.

Quelques jours après les perquisitions policières du 28 décembre 2003, M. Bajwa déclara à la presse qu’il connaissait M. Basi depuis l’école secondaire, alors que les deux jouaient ensemble dans la même ligue de hockey junior. M. Bajwa prétend qu’à l’époque, M. Basi était un véritable « mentor » pour beaucoup de jeunes Indo-canadiens de Victoria parce qu’il encourageait ceux-ci à s’impliquer dans leur communauté et dans la politique. (54)

M. Bajwa ajouta qu’il était incapable de s’imaginer que MM. Basi et Virk puissent tremper dans le narco-trafic ou le crime organisé. « C’est tellement tiré par les cheveux que je ne sais pas si je dois rire ou pleurer », se contenta-t-il de dire aux médias. M. Bajwa ne semble pourtant pas au bout de ses peines puisqu’un autre de ses proches figure aussi parmi les suspects dans l’affaire.

En effet, M. Amar Bajwa est marié à la sœur de M. Mandeep Sandhu, celui-là même que M. Basi avait fait entrer sur l’exécutif de l’Association libérale de comté de Esquimalt-Juan de Fuca avant que sa résidence ne soit perquisitionnée par les enquêteurs du Projet « Everywhichway ».

Il faudra toutefois attendre jusqu’au 19 janvier 2004 pour que les amis de M. Basi lancent leur contre-offensive médiatique en bonne et due forme. Ce jour là, MM. Sarabjit Singh (Sam) Nagra, président du temple sikh de Victoria, et Jag Dhanowa, directeur de la commission multiculturelle du PLC (section de C.-B.), dénoncèrent tous deux la couverture médiatique dans l’affaire des perquisitions au parlement lors d’un conférence de presse organisée par M. Michael Geoghegan, qui dirige une firme de consultants très proche des libéraux. (55)

Cherchant à mettre les médias sur la défensive, ceux-ci jouèrent à fond la carte raciale. Ainsi, M. Nagra n’a pas hésité à s’en prendre directement à la vingtaine de journalistes qui couvrait la conférence de presse, en leur disant : « Si (M. Basi) était un homme blanc, vous ne parleriez pas de cette histoire chaque jour dans les journaux ». D’après lui, la presse aurait associé M. Basi à toutes les conspirations politiques imaginables, à l’exception de l’assassinat du président John F. Kennedy.

De son côté, M. Geoghegan fit carrément appel aux sentiments de pitié de l’opinion publique. « Il n’est pas dans son assiette », confia-t-il, en parlant de M. Basi. Laissant entendre que l’aide ministériel déchu pourrait flirter avec des idées suicidaires, M. Geoghegan rapporta que M. Basi lui aurait dit qu’il priait pour mourir d’une attaque cardiaque. (56)

Il n’en fallut pas plus pour que M. Dhanowa sous-entende que la couverture médiatique pourrait entraîner la mort des deux aides ministériels qui firent l’objet de perquisitions. « Il est inconcevable que le stress extrême auquel ils sont soumis puisse les tuer ou, au minimum, raccourcir leur vie », surrenchérissa-t-il.

(Fait pour le moins inusité, M. Geoghegan n’est lui-même pas étranger aux controverses à caractère racial puisqu’il avait été congédié de son poste de président de l’Association des constructeurs de C.-B. en novembre 2003, après avoir déclaré lors d’une émission de radio que le succès en politique de la députée néo-démocrate Jenny Kwan s’expliquait par son origine ethnique—qui est chinoise—et son sexe.)  (57)

Par ailleurs, M. Nagra nia l’existence des « Basi’s Boys », qui relèverait de la fiction. Selon lui, M. Basi n’aurait aucun pouvoir particulier dans la communauté Indo-canadienne. De plus, celui-ci ne serait pas en mesure de faire sortir le vote en faveur de quelque candidat que ce soit et n’aurait aucunement été impliqué dans les campagnes de recrutement massives qui eurent lieu dans les comtés de Saanich-Gulf Islands et d’Esquimalt-Juan de Fuca.

Toutefois, la journaliste Barbara McLintock du magazine politique The Tye, notait que MM. Nagra et Dhanowa ont tous deux affirmé que des candidats libéraux qui avaient rencontré M. Basi pour solliciter son appui à leur campagne à l’investiture sont aujourd’hui en train de prendre leurs distances avec l’ex-aide ministériel. Comme le fait remarquer Mme McLintock, « On en vient à se demander pourquoi ils se seraient donnés cette peine si Basi n’avait aucune influence dans le parti. » (58)

Durant la conférence de presse, M. Dhanowa est aussi passé des accusations de racisme aux règlements de compte politiques purs et simples. Il s’en est pris au candidat à l’investiture du comté de Saanich-Gulf Islands, M. Bob Russell, de même qu’à M. Kit Spence, un ancien président de l’Association libérale du même comté, qui s’étaient tous deux montrés critiques face aux efforts de recrutement des « Basi’s Boys ». (59)

Puis, alors que M. Dhanowa affirma être en train d’envisager de se porter candidat à l’investiture du comté de Saanich-Gulf Islands, M. Nagra en rajouta en menaçant de présenter des candidats Indo-canadiens dans tous les comtés de Vancouver si la « campagne de salissage » contre la communauté Indo-canadienne ne cessait pas. (M. Dhanowa fut défait à l’assemblée d’investiture de Saanich-Gulf Islands.)

Les propos tenus par MM. Nagra et Dhanowa furent rapidement désapprouvés publiquement par deux personnalités de la communauté Indo-canadienne. « Il y a eu beaucoup d’autres personnes qui furent mentionnés en relation avec les perquisitions—je ne crois pas que les médias ont fait quoi que ce soit de raciste », lança M. Terry Gidda, président du temple sikh de Mission. Un avis qui est partagé par M. Moe Gill, un autre candidat libéral fédéral. « Parfois, les gens veulent juste passer à la télévision », laissa tomber M. Gill. (60)

Alors qu’il s’exprimait au nom de sa communauté, le leadership de Sam Nagra était en fait chaudement contesté à l’intérieur des murs du temple sikh de Victoria. D’ailleurs, un mois après la conférence de presse du 19 janvier 2004, le groupe de M. Nagra perdit le pouvoir lors d’élections au temple sikh.
TheTyee.ca, “The Curious Case of Sam Nagra”, by Barbara McLintock, May 10, 2004.

Mais le comble de l’ironie, c’est que celui qui s’était improvisé le défenseur de M. Basi se retrouvait lui-même sur le banc des accusés à peine trois mois plus tard. En effet, le 5 mai 2004, M. Nagra fut inculpé de vingt-quatre accusations, notamment de fraude, d’usurpation d’identité et d’usage de faux-semblants, au terme d’une longue enquête de la division des crimes financiers de la police de Saanich. Les infractions reprochées se seraient déroulées dans les villes de Saanich, Duncan, Surrey et Abbotsford entre 1998 et 2003. (61)

Bref, avec des « défenseurs » comme ça, M. Basi n’a pas besoin d’ennemis!

Accusations de narco-trafic suivies de démissions politiques

Sources
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