Course à la chefferie libérale et volte-face conservateur

Publié le par Bureau des Affaires Louches



Et le grand gagnant est... Stephen Harper



Alors que le PLC tentait tant bien que mal de digérer sa défaite du 23 janvier et de tourner la page, l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu revint hanter les libéraux durant la course à la succession de Paul Martin, et ce, d'au moins deux façons. D'abord, elle aurait figuré parmi les motifs qui incitèrent Goodale à ne pas postuler pour ce poste convoité. C'était du moins l'avis de Wayne Easter. "J'ai été l'une des personnes qui poussait pour que Ralph Goodale pose sa candidature. Il ne pouvait pas parce qu'il y avait ce nuage qui flottait au-dessus de lui", affirma-t-il, en faisant allusion à l'enquête de la GRC.

 

Goodale, qui occupait désormais le poste de leader de l'Opposition officielle à la Chambre des communes, avait effectivement jonglé avec la possibilité de se porter candidat après avoir initialement fermé la porte à cette éventualité. Toutefois, lorsqu'il mit fin au suspense après quelque semaines de réflexion, Goodale ne mentionna pas l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu parmi les facteurs qui l'amenèrent à décliner l'opportunité de tenter sa chance dans la course à la chefferie.

 

Goodale expliqua plutôt qu'il n'était pas prêt à consacrer les cinq ou dix prochaines années de sa vie à composer avec les pressions liées à la fonction de chef de parti. (118) L'ex-ministre des Finances parlait d'ailleurs en connaissance de cause, lui qui avait été chef du Parti libéral de Saskatchewan de 1981 à 1988. Il mentionna aussi que son français laissait encore trop à désirer. 

 

Par contre, il ne pouvait faire aucun doute que l'enquête de la GRC porta ombrage à la candidature de Scott Brison. Étoile montante du PLC, Brison était un transfuge progressiste-conservateur qui était passa du côté des libéraux, qui le récompensèrent en lui donnant le poste de ministre des Travaux publics au sein du gouvernement Martin.

 

Brison n'avait pas encore officialisé sa candidature lorsque le Globe and Mail révéla, le 7 mars, que la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) avait fait suivre aux enquêteurs de la GRC un courriel plutôt suspect que le politicien vedette avait envoyé la veille de l'annonce du ministre sur les fiducies de revenu. (119) Dans son message, Brison prédisait qu'il y aurait de bonnes nouvelles pour les marchés financiers cette semaine-là. "Je pense que tu seras satisfait bientôt, probablement cette semaine", avait-il écrit à Dan Nowlan, un ami de longue après que celui-ci se soit plaint par courriel "que le gouvernement fait stagner le marché des actions."

 

Déjà là, la conduite de Brison apparaissait pour le moins problématique. Surtout que Brison ne pouvait plaider un quelconque manque de familiarité avec le fonctionnement des marchés financiers pour atténuer sa faute, lui qui fut pendant plusieurs années le critique en matière de finances pour les caucus progressiste-conservateur à la Chambre des communes et qui occupa le poste de vice-président aux placements chez la firme de courtage Yorkton Securities.

 

Mais la bourde du prétendant au trône libéral gagna en ampleur encore lorsque le gagne-pain de Nowlan fut révélé au grand jour. Non seulement Nowlan était-il le directeur général de Marchés Mondiaux CIBC, la firme de courtage de la banque, mais il était aussi réputé être un véritable spécialiste des fiducies de revenu à Bay Street par-dessus le marché ! (120)

 

Mais ce n'était pas tout. Marchés Mondiaux CIBC fut la principale acheteuse des titres Fonds de revenu Pages Jaunes durant les heures précédant l'annonce du ministre Goodale. Les titres de Pages Jaunes, l'une des plus importantes fiducies de revenu du Canada, avaient connut une augmentation de 230 pour cent de leur volume de transaction ce jour-là. Le courriel de Brison y était-il pour quelque chose ?

 

Lorsque l'existence de son courriel fut coulée dans les journaux, Brison comprit rapidement qu'il était dans de beaux draps. Brison révéla dès le début que la GRC l'avait questionné le 18 janvier, soit à cinq jours du scrutin. (121) Quant au courriel qu'il avait envoyé à Nowlan, Brison commença par tout nier en bloc, puis tenta ensuite de plaider l'amnésie. Le lendemain, Brison décida toutefois de faire volte-face et de se mettre à table en rendant public sa fameuse correspondance par courriel avec son ami Nowlan. 

 

"Je n'étais pas au courant de cette décision quand j'ai envoyé mon courriel", affirma Brison en faisant référence à l'annonce de goodale. "Ma correspondance avec l'employé de CIBC ne communique rien de plus que ce qui faisait parti de spéculations publiques à ce moment-là", ajouta-t-il en guise de défense. Brison semblait toutefois oublié qu'il était membre du cabinet fédéral lorsqu'il rédigea son courriel. Ce n'était pas la "spéculation" sans grande valeur de l'homme de la rue dont bénéficia Nowlan, mais bien de celle d'un ministre du gouvernement qui avait accès à de l'information privilégiée. Enfin, Brison concéda que si c'était à refaire, il éviterait d'envoyer un tel courriel.

 

Bien que Brison n'avait que lui-même à blâmer pour s'être mit dans un tel pétrin, il restait que quelqu'un quelque part avait coulé l'existence de ce courriel embarrassant dans les médias. Dale Palmeter, un vétéran stratège de Brison, suggéra qu'un rival libéral pourrait être derrière cette fuite aux médias. (122)

 

Étonnement, bien que cet épisode eut pour conséquence de faire de Brison la risée des médias de l'est à l'ouest du pays, l'ambitieux politicien décida malgré tout de se risquer à faire le saut dans la course à la succession de Paul Martin. Lors de la convention libérale, Brison arriva en sixième position sur huit candidats avec seulement 4 pour cent des voix. La victoire revint à l'ex-ministre Stéphane Dion, qui fut élu chef du PLC au quatrième tour avec 54 pour cent des votes des délégués.

 

Fait intéressant, une fois devenu chef de l'Opposition officielle, Dion décida de faire de la question des fiducies de revenu un de ses cheval de bataille politique contre les conservateurs. Ce choix stratégique s'expliquait par le fait que gouvernement Harper avait décidé de faire ce que les libéraux avaient seulement envisagé sans jamais passer à l'acte, c'est-à-dire imposer les fiducies de revenu.

 

En effet, le 31 octobre, le ministre des Finances Jim Flaherty prit les marchés par surprise en annonçant qu'Ottawa allait mettre un terme aux avantages fiscaux dont jouissaient les fiducies de revenu d'entreprises en imposant à hauteur de 31.5 pour cent les distributions versées aux fiduciaires. Ces mesures fiscales s'appliquaient à toutes les futures fiducies qui verraient le jour après cette annonce tandis que celles déjà existantes verront leur exemption d'impôt prendre fin en 2011. Cette décision suscita une nouvelle turbulence sur les marchés financiers canadiens, lesquels réagirent si mal que la valeur boursière des fiducies de revenu chuta de 25 milliards de dollars en seulement 24 heures.

 

Dans le sud des États-Unis, un courtier en valeurs mobilières de la Louisianne fut si contrarié qu'il envoya deux courriels qui lui valurent de se retrouver avec deux accusations d'avoir proféré des menaces contre le ministre Flaherty. (123) "Vous avez ruiné ma vie et celle de plusieurs de mes clients et j'ai entendu dire que vous trouviez ça drôle", aurait notamment écrit Lloyd Tiller, qui perdit 250 000 dollars suite à la décision de Flaherty. "Quand je vous mettrai la main dessus, je le jure devant Dieu sur la Bible que ça ne sera pas drôle. Vous devriez être pendu ... vos trois fils devraient eux aussi être pendus." La GRC réagissa aux courriels en haussant d'un cran les mesures de sécurité autour du ministre Flaherty.

 

L'annonce du ministre Flaherty sur les fiducies de revenu fut sans contredit l'une des décisions les plus controversées de la première année au pouvoir des conservateurs. Rappelons d'abord que les conservateurs avaient violemment critiqué la décision du ministre Goodale d'imposer un moratoire sur les futures de revenu, à l'automne 2005. Cette mesure avait été dépeinte comme une attaque en règle contre les personnes âgées, qui comptaient parmi les plus importants détenteurs de titres de fiducies de revenu.

 

De plus, en imposant les distributions versés aux détenteurs de parts de fiducie, les conservateurs furent prit en flagrant délit de bris de promesse électorale. Le parti de Harper s'était en effet engagé, avant et pendant la campagne électorale, à ne pas toucher au régime d'imposition avantageux des fiducies de revenu. "Un gouvernement conservateur stoppera l'attaque des libéraux envers les économies de retraite et préservera les fiducies de revenu en ne prélevant aucun nouvel impôt", pouvait-on lire à ce sujet dans la plate-forme électorale conservatrice. (124)

 

Naturellement, les libéraux de Dion cherchèrent à exploiter politiquement la grogne des détenteurs de parts. Ils dénoncèrent le volte-face des conservateurs dans ce dossier en proposèrent d'abolir la taxe de 31.5 pour cent sur les fiducies de revenu pour la remplacer par un impôt de 10 pour cent qui sera remboursable pour tous à l'exception des investisseurs étrangers.

 

Sources :

 

(118) The Canadian Press, "Ex-finance minister Ralph Goodale says he won't seek Liberal leadership", April 21 2006.

(119) The Globe and Mail, "Probe turns to Brison", Sinclair Stewart, Steven Chase and Brian Laghi, March 7 2006.

(120) The Globe and Mail, "Brison sent e-mail to Bay Street's star 'income-trust guy'", Sinclair Stewart and Jane Taber, March 9 2006.

(121) The Canadian Press, "Brison denies passing friend inside information on income trusts", Sandra Cordon, March 7 2006.

(122) Halifax Herald, "Brison interviewed as part of insider information probe", Stephen Maher, March 8 2006.

(123) The Globe and Mail, "Threatening the finance minister - Stockborker's rage at Flaherty fuelled by losses and a margarita",  Ingrid Peritz, August 30 3007.

(124) Le Devoir, "Ottawa sème la tempête sur les marchés", Hélène Buzzetti et François Desjardins, 2 novembre 2006.

 


Un commissaire de la GRC bien protégé

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