Similarités entre l’affaire Boisclair et l’affaire Fentie

Publié le par Bureau des Affaires Louches

Drogue et politique au Yukon -partie 3

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Lorsque la condamnation pour narcotrafic du chef conservateur yukonais fut divulguée au public, l’équipe de M. Fentie cherchera à désamorcer l’affaire en adoptant une méthode de gestion qui n’est pas sans rappeler celle qui sera mise de l’avant, deux ans plus tard, par l’organisation de M. André Boisclair lorsque la controverse entourant la consommation de cocaïne de ce dernier éclata durant la récente course au leadership du Parti québécois.

Dans un cas comme dans l’autre, lorsque des éléments d’un passé compromettant refont surface, la priorité est mise sur le « damage control ». On cherche alors à tout prix à « contrôler les dommages » sur l’image du candidat vedette en limitant au minimum les informations qui sont divulguées sur la place publique.

Ainsi, au lieu de crever l’abcès d’un coup sec, pour en finir une fois pour toutes, M. Fentie opta effectivement plutôt pour faire ses révélations au compte-goûte, en espérant que peu de goûtes suffiront à satisfaire la soif de vérité de la presse. Tout comme M. Boisclair.

M. Fentie, qui sollicitait les faveurs de l’électorat yukonais lorsque cette vieille affaire de narcotrafic revint le hanter, a réagit en se contentant de confirmer les brides d’informations qui avaient déjà été portées à la connaissance du public, soit qu’il avait déjà été condamné à la prison dans un dossier de drogue.

Toutefois, en taisant le nom de la substance illicite pour laquelle il fut condamné d’avoir fait le trafic, M. Fentie a délibérément caché une information qui n’avait rien d’un détail.

Lorsqu’elles ont entendu parler de cette affaire pour la première fois, en octobre 2002, plusieurs personnes ont sans doute été portées à supposé qu’il devait probablement s’agir de marijuana, une drogue douce fort répandue dont la popularité ne s’est jamais démentie en dépit de plusieurs décennies de répression prohibitionniste.

Or, inutile d’avoir complété un baccalauréat en toxicologie pour savoir que le pot et l’héro appartiennent à deux ligues différentes dans la gamme des produits du marché de la drogue.
 
Mais si M. Fentie croyait qu’une fois élu il serait définitivement tiré d’affaire, une désagréable surprise l’attend…

Ainsi, en novembre 2003, soit un an après son triomphe électoral, l’affaire prit une nouvelle dimension lorsque le journal Yukon News révéla que c’était l’héroïne qui était la drogue qui était en cause dans son arrestation à Edmonton, en 1975. Devant les journalistes, le premier ministre Fentie avoua être « très embarrassé ».

Mais il s’abstint encore une fois de prononcer le mot tabou : « héroïne ».

Tout comme M. Boisclair n’a jamais daigné prononcer le mot « cocaïne » durant la controverse sur son ancienne consommation de poudre qui le talonna tout au long de la récente course au leadership du Parti québécois.

Le pire cauchemar d’un politicien, c’est évidemment d’être pogné avec une citation embarrassante (du style, « Oui, j’ai déjà vendu de l’héroïne ») qui va lui coller à la peau et le suivre pour le restant de sa carrière, qui risque par la même occasion de s’en retrouver soudainement sérieusement abrégée.


Jouer franc-jeu
ou en dire le moins possible ?

Bien entendu, ce n’est pas parce que M. Fentie a trempé dans le milieu de la drogue durant les années ’70 qu’il continue à vendre de l’héroïne encore aujourd’hui, à partir de son bureau de premier ministre.

Tout comme ce n’est pas parce que M. Boisclair s’est poudré les narines à l’époque où il était ministre dans le gouvernement de Lucien Bouchard qu’on peut automatiquement déduire que la coke exerce encore une influence sur lui aujourd’hui.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’était pas tant les gestes passés du politicien qui alimenta le plus la controverse, mais plutôt le manque de transparence envers le public. Mme Pat Duncan, leader des libéraux, résumait bien l’enjeu lorsqu’elle déclara : « Ce n’est pas ce qu’il a fait il y a vingt-cinq ans qui ennui le plus les gens. C’est sa malhonnêteté aujourd’hui. »(9)

Dans un article publié dans le quotidien Whitehorse Star, deux stratèges politiques vétérans critiquèrent M. Fentie pour ne pas avoir entièrement vidé son sac dès que la première occasion se présenta, lorsque l’affaire éclata pour la première fois, en octobre 2002.

Le stratège conservateur Tim Powers invita M. Fentie à crever l’abcès dans sa totalité. « Les demi-vérités sont des bombes à retardement qui attendent d’exploser », expliqua M. Powers.

Une position que partage également M. Warren Kinsella, un stratège libéral notoire. Celui-ci affirmait que s’il travaillait pour M. Fentie, il lui aurait demandé de s’expliquer à la population yukonaise, faute de quoi il lui aurait remis sa démission en tant que conseiller.

M. Kinsella n’accepte pas que le leader du Yukon Party décida de cacher le fait que l’héroïne était en cause. « Un fait important a été mit de côté et c’est choquant et consternant », dit-il, ajoutant qu’il serait étonné « que les gens n’appellent pas à sa démission d’ici la fin de la semaine. » M. Kinsella ajouta également que ceux qui, dans le camp de M. Fentie, savaient et n’ont rien dit, doivent eux aussi rendre des comptes.

Même le leader néo-démocrate Hardy, qui avait choisit de ménagé M. Fentie lors des élections de 2002, critiqua la tendance au secret du Yukon Party et de son chef. Toutefois, aucun des deux principaux partis d’opposition yukonais n’appelèrent M. Fentie à démissionner de son poste.

De son côté, le député Brad Cathers, du Yukon Party, n’hésita pas à qualifier de « vaseuse » la couverture médiatique entourant l’affaire Fentie. « Je pense que toute cette affaire est en train de descendre au plus bas niveau », déclara M. Cathers, qui affirma que le caucus du Yukon Party renouvela unanimement son appui à M. Fentie.

Une trentaine de sympathisants du premier ministre sont aussi accourus au parlement du Yukon pour manifester leur support envers M. Fentie.

Tout comme M. Boisclair, le leader du Yukon Party bénéficia également de l’appui de l’opinion publique qui se montra critique envers le travail des médias. Lors d’une émission de ligne ouverte diffusée sur les ondes de CBC, la majorité des participants jugèrent que les médias étaient allés trop loin en déterrant cette vieille histoire de narcotrafic. (10)

On ne saurait jamais si les membres du Yukon Party auraient choisi M. Fentie comme chef si son passé de narcotrafiquant avait été porté à leur connaissance lors de la course au leadership du parti, en juin 2002. Tout comme on ne saura jamais si l’électorat aurait accordé sa confiance à M. Fentie en novembre 2002 si on ne l’avait pas tenu dans l’ignorance.

Sources :

(9) Whitehorse Star, “Premier Should Have Come Clean, Observers Say”, by Jason Small, 24 November 24, 2003.
(10) CBC News, “Phone-in show callers suggest media went too far”, November 27, 2003
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