Quand le monde de la politique rencontre le monde interlope

Publié le par Bureau des Affaires Louches



Intro


En novembre 2005, lorsque le chef du Parti conservateur du Canada, Stephen Harper, déposa une motion de censure destinée à défaire le gouvernement minoritaire libéral de Paul Martin, il n'hésita pas à lier le programme des commandites au crime organisé. (1) Durant son discours de présentation de la motion, Harper, alors le chef de l'opposition officielle, fit allusion au crime organisé à pas moins de trois reprises, en prétendant notamment que le programme des commandites avait servi à renflouer la caisse électorale des libéraux à l'aide d'un «imposant système de pots-de-vin impliquant le crime organisé». Cette motion de censure était appelée à jouer un rôle important dans l'histoire politique canadienne contemporaine puisque que l'opposition s'en servit pour renverser le gouvernement Martin, déclenchant ainsi des élections générales qui menèrent les conservateurs de Harper au pouvoir.


À l'époque, l'allusion de Stephen Harper au crime organisé avait provoquée la controverse. Les libéraux au pouvoir avait réagit en envoyant une mise en demeure sommant le chef de l'opposition de présenter des excuses et de se rétracter. (2) Mais c'était là peine perdue puisque les propos de Harper avaient été prononcés en Chambre, de sorte que ce dernier était protégé par l'immunité parlementaire. Il reste qu'il était tout à fait légitime de demander au leader conservateur de préciser sa pensée. Après tout, jamais il n'avait été question du crime organisé dans le rapport de 737 pages du juge John Gomery, qui avait présidé la commission d'enquête visant à identifier les responsables du scandale des commandites.


Mais les explications des conservateurs ne vinrent jamais. Au lieu de cela, le vétéran député et co-président de la campagne conservatrice John Reynolds répliqua à la mise en demeure des libéraux en déclarant : «Il n'y aura pas d'excuses. C'était un crime très bien organisé». Bien entendu, parler d'un «crime très bien organisé», – et nul doute que le détournement de fonds du programme des commandites en était un – ce n'était déjà plus la même chose que de parler de «crime organisé». Les conservateurs étaient donc en train de rajuster leur tir en douce. Il devint alors vite évident que l'allusion du chef conservateur s'apparentait davantage à une attaque sournoise visant à discréditer l'adversaire plutôt qu'à une volonté sincère de dénoncer le phénomène, pourtant bien réel au Canada, de collusion entre le monde interlope et le monde politique.


Plus de deux ans après leur arrivée au pouvoir, les conservateurs de Harper se virent à leur tour aspiré dans le tourbillon des allusions de collusion avec le crime organisé. Cette fois-ci, l'élément déclencheur de la controverse fut les relations pégreuses de Julie Couillard, l'ex-petite amie du député de Beauce Maxime Bernier, lequel siégeait au gouvernement Harper en tant que ministre des Affaires étrangères jusqu'à tout récemment. Avant de devenir la flamme d'un membre important du gouvernement conservateur, Julie Couillard avait connue des liaisons amoureuses avec au moins quatre hommes qui étaient tous liés, à des degrés divers, au crime organisé.


D'abord, entre 1991 et 1993, Julie Couillard fut l'amie de coeur de Tony Volpato, un homme de confiance du légendaire mafieux Frank Cotroni, aujourd'hui décédé. (3) Puis, de 1993 à 1996, Julie Couillard devint la conjointe de Gilles Giguère, dit «L'indien», un individu proche de Maurice «Mom» Boucher, l'un des membres les plus connus des Hells Angels québécois. À l'époque où elle faisait vie commune avec Giguère, Couillard fut d'ailleurs arrêtée et interrogée pendant dix-huit heures par l'escouade antimotards Carcajou, mais sera relâchée sans accusations. Après l'assassinat de Giguère, Julie Couillard fréquenta Stéphane Sirois, un membre des Rockers, un club affilié aux Hells, qu'elle épousa, en 1997. Notons que tout ceci se passait à l'époque où les Hells Angels et une coalition de rivaux appelée l'Alliance (4) se livrait une guerre sans merci qui fit 165 morts et donna lieu à 181 tentatives de meurtre en l'espace de sept ans.


On aurait pu pensé que les relations de Julie Couillard avec des types reliés au monde interlope appartenait au passé si La Presse n'avait pas révélé, à la mi-mai 2008, que l'ex-petite amie de Maxime Bernier avait eue une liaison avec Robert Pépin, un individu condamné pour recel qui s'était endetté auprès d'un usurier sympathisant des Hells, au cours d'une période aussi récente que 2005. (5) En fait, Couillard fut bien plus que sa petite amie puisqu'elle devint vice-présidente et actionnaire de l'Agence d'investigation et de sécurité D.R.P., une entreprise que Pépin avait fondé en 2003. En mars 2005, l'émission J.E. de TVA avait dénoncé l'Agence D.R.P. pour son rôle dans le recouvrement de prêts à des taux d'intérêts dépassant les 300 % qui étaient consentis par Location d'auto inter-finance, une autre entreprise de Robert Pépin. (6) L'Autorité des marchés financiers avait commencé à s'intéresser à Pépin lorsque celui-ci mit fin à ses jours, en mai 2007.


Harper, qui ne semblait plus d'humeur à donner des leçons à ses adversaires au sujet de la lutte au crime organisé, réagissa à la controverse grandissante en refusant de répondre aux questions, et ce, au nom du droit à la vie privée. Il s'agit pourtant du même gouvernement qui adopta une réglementation draconienne obligeant les employés des ports fédéraux travaillant dans des zones sensibles à fournir des renseignements personnels non seulement sur leur conjointe actuelle, mais aussi sur toutes leurs blondes antérieures des cinq dernières années. (7) Comment les ex-copines d'employés des ports fédéraux peuvent-elles soulevé un plus grand intérêt du point de vue de la sécurité nationale que l'ex-petite amie d'un membre en règle du gouvernement canadien ? La fonction de ministre des Affaires étrangères qu'occupait Maxime Bernier au moment de sa relation avec Julie Couillard compte pourtant parmi les postes les plus délicats qui soit. En tant que chef de la diplomatie canadienne, le ministre des Affaires étrangères se retrouve en effet à fréquenter les grands de ce monde et à manipuler toutes sortes de documents top secret.


En fait, plus les journalistes fouillèrent, plus on réalisait qu'on avait affaire à bien plus que du potinage d'une opposition en mal de scandale, comme voulait le laisser croire le premier ministre Harper. Ainsi, Le Devoir révéla qu'en octobre 2007, Harper avait convoqué Maxime Bernier à son bureau pour un entretien privée lors duquel il voulut ramené son ministre à l'ordre. Harper fit notamment part de ses préoccupations relativement au fait que sa copine, Julie Couillard, semblait vouloir occuper un peu trop d'espace dans la vie professionnelle du ministre Bernier, en l'incitant entre autres à faire des entrevues médiatiques non-prévues. (8)


Puis, Le Devoir rapporta qu'en 2004, Couillard et Pépin avait fait une présentation au nom de l'Agence d'investigation et de sécurité D.R.P. dans le but d'obtenir un contrat auprès de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), l'organisme fédéral responsable de la sécurité dans les aéroports. (9) L'agence D.R.P. avait alors répondu à un appel d'offres lancée par l'ACSTA pour un contrat d'implantation d'un système biométrique d'accès aux zones réglementées destiné aux employés d'aéroports. Couillard et Pépin n'avaient pas réussit à décrocher le contrat, mais leur participation au processus leur avait tout de même permis de mettre la main sur un cahier de charges complet contenant plusieurs informations relativement aux mesures de sécurité dans les aéroports.


Cette révélation provoqua un certain émoi, compte-tenu des efforts soutenus du crime organisé pour infiltrer les aéroports canadiens. On se rappellera en effet que deux agentes des douanes canadiennes ainsi qu'une dizaine d'employés d'Air Canada et des services alimentaires Cara qui travaillaient à l'aéroport international Montréal-Trudeau furent arrêtés par l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé dans le cadre du Projet Colisée, une gigantesque enquête visant la mafia italo-canadienne, le 22 novembre 2006. (10) Ils furent accusés d'avoir facilité l'importation de centaines de kilos de cocaïne à travers l'aéroport. Encore tout récemment, une autre enquête antidrogue de la Gendarmerie royale du Canada à ce même aéroport plongea à nouveau la compagnie Cara dans l'embarras. Le 4 juin dernier, trois employés du service de traiteur furent en effet arrêtés en rapport avec trois saisies de cocaïne en provenance de République dominicaine. (11)


Les motivations de Julie Couillard apparurent donc de plus en plus questionnables. Le 25 mai, après plus de deux semaines de couverture médiatique, Julie Couillard brisa le silence en accordant une entrevue exclusive au réseau TVA qui fut diffusée le lendemain. Revêtant parfois des accents de règlement de compte, l'entrevue fut un moment de télévision pour le moins coloré. Couillard parla du document gouvernemental confidentiel que Bernier avait laissé à son domicile. Elle exhiba aussi une photo de elle prise en compagnie du président George Bush. Elle évoqua même la possibilité que son sommier fut placé sous écoute. Bien qu'elle chercha à se faire passer pour une femme sans défense victime d'un univers politique aux moeurs impitoyables, Couillard se révéla plutôt être une personne articulée fort douée pour la bagarre politique, puisque son entrevue approvisionna l'opposition en munitions de choix et aboutissa ultimement à la démission du ministre Bernier, ruinant ainsi la carrière politique de celui qui était perçu jusqu'à tout récemment comme une étoile montante de la constellation conservatrice.


L'affaire Bernier-Couillard était donc en train de prendre des proportions tout à fait inattendues, prenant même par surprise certains observateurs aguerris de la scène politique fédérale. Qui, en effet, aurait pu imaginé qu'un membre important d'un gouvernement vouant un véritable culte au secret perdrait son siège au conseil des ministres pour avoir stupidement égaré un document confidentiel ? Qui aurait pu pensé qu'un premier ministre aussi contrôlant que Stephen Harper n'aurait rien vu venir ? Et enfin, qui aurait cru qu'une femme, que certains n'hésitèrent pas à réduire à une «fille de gars de bicycle», aurait pu causer de tels dommages à un gouvernement conservateur pro-flic dont le programme est axé sur la loi et l'ordre ?


Bien entendu, après un tel rebondissement, il va sans dire que la tempête médiatique allait décupler en puissance. D'autant plus que d'autres révélations étaient au menu. Durant les jours suivant, on apprit que c'était elle qui s'était mit les pieds dans ce véritable panier de crabes que constitue la politique fédérale. Ainsi, Couillard révéla lors d'une entrevue en anglais au réseau Internet canoe.ca qu'elle avait été sollicitée, au printemps 2007, par le Parti conservateur du Canada pour se porter candidate lors des prochain scrutin fédéral. (12) Si on ignore comment elle réagissa à cette offre, la suite de l'histoire porte toutefois à croire qu'elle ne ferma pas la porte aux avances politiques des conservateurs, bien au contraire. Car lorsqu'elle informa un de ses partenaires d'affaires, soit Philippe Morin du groupe immobilier Kevlar, qu'elle avait été approchée par le parti au pouvoir, ce dernier décida de l'inviter dans un souper afin de rencontrer un membre du cabinet Harper, c'est-à-dire Maxime Bernier, alors ministre de l'Industrie.


Fait particulier, ce souper, qui se tint le 26 avril 2007, eut lieu au restaurant-bar Cavalli, rue Peel, un endroit attirant une clientèle de gens riches et célèbres, mais aussi certains individus liés au crime organisé. En effet, huit mois plus tôt, soit le 23 août 2006, le restaurant huppé avait fait parler de lui en raison d'une dispute qui avait opposé des sympathisants des Hells Angels à des proches de la mafia sicilienne. Lorsque la querelle se transporta à l'extérieur, un présumé membre en vue de la mafia ouvrit le feu sur la Porsche d'un influent associé des Hells. L'incident ne fit aucun blessé. (13)


C'est d'ailleurs l'affiliation de Couillard avec Investissements immobiliers Kevlar inc. qui est à l'origine d'une deuxième démission chez les conservateurs de Harper. Le 10 juin dernier, Bernard Côté, un ancien vice-président de l'aile québécoise du Parti conservateur, dû effectivement présenter sa démission à titre de conseiller politique du ministre aux Travaux publics, Michael Fortier, à cause qu'il avait omis de divulgué la liaison qu'il avait eut avec Julie Couillard en mars-avril 2007, soit juste avant qu'elle ne fasse la connaissance du ministre Bernier. (14)


Le hic, c'est que Couillard avait cherché à influencer le ministère des Travaux publics en faveur du groupe Kevlar relativement à un appel d'offres concernant un projet immobilier de 30 millions de dollars visant à reloger quelque 750 fonctionnaires fédéraux travaillant à Québec. À l'époque, le groupe Kevlar avait proposé au fédéral de construire son édifice sur les terrains d'un grand stationnement, qu'il loue à une entreprise de Laval qui lui est liée. Notons par ailleurs que le ministre Fortier affirma ne jamais avoir rencontré Couillard même s'il s'est retrouvé dans deux événements de financement du Parti conservateur où elle avait été présente, l'année dernière. (15)


Entre-temps, la même semaine où Maxime Bernier démissionna du gouvernement conservateur, l'affaire Julie Couillard se mit à éclabousser un second gouvernement, soit celui de Jean Charest. Cette fois-ci, la controverse fut provoquée par une révélation de l'opposition péquiste à l'effet que le ministère de la Sécurité publique avait octroyé un contrat de 158 000 $ à l'Agence D.R.P. pour le gardiennage de détenus de la prison de Saint-Jérôme séjournant à l'hôpital, entre avril 2006 et mars 2007. (16)


Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a d'abord réagit en qualifiant l'affaire de «pétard mouillé» tout en se portant à la défense des règles actuelles régissant l'industrie de la sécurité privée. Ainsi, le ministre Dupuis affirma que la Sûreté du Québec s'était livrée à une vérification d'antécédents judiciaires à l'égard du détenteur de permis de l'Agence D.R.P. En fait, on apprit assez vite que la vérification n'avait portée que sur le père de Robert, soit Denis Pépin, un policier retraité de l'escouade antigang de la police montréalaise. (L'acronyme «D.R.P.» se réfère d'ailleurs à «Denis et Robert Pépin»). Or, selon d'anciens employés de l'agence, Denis Pépin agissait surtout en tant que prête-nom de l'Agence D.R.P., laissant ainsi son fils Robert en être le véritable patron.


À l'instar des aéroports, les agences de sécurité privée représentent un autre secteur d'activité susceptible de faire l'objet d'infiltration de la part du crime organisé. Par exemple, en 2001, un sergent-détective montréalais à la retraite qui s'était recyclé dans la sécurité privée fut accusé d'avoir vendu à la pègre des renseignements tirés des banques de données policières. (17) Puis, deux ans plus tard, un agent de sécurité affecté au transport de détenus figurait parmi une trentaine d'individus qui furent arrêtés dans le cadre de l'opération Ouragan, une enquête policière visant le démantèlement d'un réseau trafic de cannabis et de cocaïne, en Outaouais. (18) C'est entre autres pour parer à cette menace que fait peser le crime organisé sur l'industrie de la sécurité privée que le gouvernement Charest adopta, en 2006, la Loi sur la sécurité privée, dont l'entrée en vigueur est prévue pour l'année prochaine. (19) La nouvelle loi prévoit notamment d'étendre la vérification des antécédents judiciaires à tous les actionnaires et administrateurs d'une agence.


À Québec, l'affaire D.R.P. connut de nouveaux développements. Vingt-quatre heures après avoir parlé de «pétard mouillé», le ministre Dupuis fit soudainement volte-face en annonçant un resserrement des mesures de contrôle de la SQ sur les agences impliquées dans le gardiennage de détenus hospitalisés. Désormais, les actionnaires, les administrateurs et tous les employés, ainsi que leurs proches, feront l'objet de vérifications de sécurité. Les contrats actuellement en vigueur seront également scrutés de nouveau. Précisons que ce changement du ton de la part du responsable de la Sécurité publique intervint après que deux anciens employés de l'Agence D.R.P. indiquèrent que Robert Pépin, aujourd'hui décédé, affirmait à tout le monde qu'il avait déjà rencontré le ministre Jacques Dupuis, ce qui nia le principal intéressé. (20)


Notons que l'affaire Couillard ne fut pas la seule controverse mettant en vedette des membres du gouvernement conservateur avec des personnages présumément liés au crime organisé. Ainsi, La Presse révéla également que la GRC avait interrogé le ministre Bernier au sujet d'une photo prise à la mi-janvier 2008 lors d'une activité de financement de l'association du parti conservateur de la circonscription de Papineau. (21) Ladite photo montrait le ministre Bernier posant tout sourire en serrant la main de Michael Chamas, un homme d'affaires dirigeant une multitude de sociétés, incluant Global Village I.R.S., basée à Rosemère, au nord de Montréal.


La curiosité de la GRC venait du fait que Chamas avait été arrêté le 26 mars dernier en compagnie de vingt-huit autres personnes lors d'une vaste opération anti-drogue qui mobilisa 300 agents de différents corps policiers. Baptisée Projet Cancun, l'enquête policière donna lieu à des perquisitions sur les réserves Mohawks de Kahnawake, de Kanesatake et d'Akwesasne, ainsi qu'à Montréal et à Hogansburg, dans l'État de New York. Les policiers saisirent trois lance-grenades, des mitraillettes de type AK-47 et M-16, une dizaine de voitures de luxe, près de 2 millions $ en espèces et de la marijuana. Chamas doit aujourd'hui répondre de dix chefs d'accusation reliés à la possession illégale d'armes à feu en rapport avec cette affaire.


Cet homme d'affaires globe-trotter n'en serait d'ailleurs pas à ses premières embrouilles avec la loi. À l'automne 2007, des douaniers suisses l'arrêtèrent en possession de 2 millions d'euros. L'importante somme d'argent fut saisie en attendant que les autorités helvétiques concluent leur enquête. L'Agence du revenu du Canada s'intéresse aussi à Chamas, à qui elle réclame 952 355 $ en impôts impayés pour les années 2001 à 2005. Afin de s'assurer de récupérer les sommes dues, des inspecteurs fiscaux prirent une hypothèque légale sur sa maison de Lorraine et sur quatre autres propriétés de Laval, Saint-Colomban, Saint-Eustache et Sainte-Thérèse. Dans un jugement rendu en 2005, un juge fédéral écrivit que Chamas «a fourni des renseignements faux et trompeurs à la Banque Laurentienne afin d'obtenir du crédit».


Selon Neil Hrab, l'attaché de presse du ministre, Maxime Bernier déclara à la GRC qu'il ne connaissait pas Chamas. «Leur premier et seul contact s'est produit lorsque le ministre posait avec des invités à l'événement pour des photos de courtoisie», insista Hrab lors d'un bref entretien avec La Presse. Ce qui n'empêcha pas la compagnie Global Village d'utiliser à des fins promotionnelles la photo avec Bernier, et plusieurs autres qui furent prises lors du même événement, en les affichant sur son site web.


Ces récentes controverses viennent rappeler que les hautes sphères politiques canadiennes ne sont nullement à l'abri des tentatives d'infiltration de la part du crime organisé. Après tout, qui dit crime organisé, dit aussi un pouvoir économique. Et qui dit pouvoir économique, dit aussi influence politique. Au Québec, il y a longtemps que les gros bonnets de la pègre jouissent d'entrées privilégiées dans le monde politique. En voici trois exemples.


Commençons par les «faiseurs d'élection». Armés de barres de fer, de matraques, de bâtons de baseball et même de fusils, ces gangs de fiers-à-bras liés à la pègre faisaient la pluie et le beau temps lors des élections dans les municipalités en banlieue de Montréal durant les années '50 et '60. Le plus célèbre d'entre eux était Keith «Rocky» Pearson, un ancien boxeur qui fit plusieurs séjours en prison avant de mourir assassiné, en juin 1961. «Rocky» Pearson fut aussi le gérant des Immeubles Jacques-Cartier, une entreprise de construction qui appartenait à J. Aldéo Léo Rémillard, un des politiciens qui bénéficia de ses services. (22) De 1960 à 1963, Léo Rémillard fut le maire de Jacques-Cartier, une municipalité qui fut plus tard fusionnée à Longueuil. Il fut chassé du pouvoir par un décret de l'Assemblée nationale à cause de ses antécédents judiciaires en matière de vols, de parjure et d'assaut sur un policier. Notons que les petits-fils de Léo Rémillard, soit les frères Maxime et Julien Rémillard, sont ceux-là mêmes qui dirigent la société de production et de distribution Remstar qui a récemment fait l'acquisition de la station de télévision TQS. (23)


Mentionnons aussi le cas de Lucien Rivard, dont la vie vient d'être portée au grand écran, qui s'était retrouvé au centre d'un énorme scandale de corruption politique qui avait ébranlé le gouvernement libéral de Lester B. Pearson. En juin 1964, Rivard fut arrêté et détenu suite à une demande d'extradition de la justice américaine qui voulait le juger pour trafic international d'héroïne. Des proches de Rivard cherchèrent alors à user de leur influence chez les libéraux. Le procureur Pierre Lamontagne, qui devait plaider la requête en extradition au nom des États-Unis, fit l'objet de diverses pressions, incluant des offres de pot-de-vin, pour qu'il consente à la remise en liberté du narcotrafiquant. Il fut notamment contacté par le député Guy Rouleau, également secrétaire parlementaire du premier ministre Pearson, ainsi que par Raymond Denis, chef de cabinet du ministre de l'Immigration, et par André Letendre, chef du cabinet du ministre de la Justice. Mandaté pour faire la lumière sur cette affaire, le juge Frédéric Dorion confirma que Rivard jouissait d'importants appuis à l'intérieur du Parti libéral. Le rapport Dorion entraîna plusieurs démissions, dont celle du ministre de la Justice, Guy Favreau, et celle du député Rouleau. (24)


Enfin, rappelons aussi le cas de Pierre Laporte, le ministre du Travail et de l'Immigration du gouvernement libéral de Robert Bourassa qui périssa durant la Crise d'octobre. En 1969, Laporte avait présenté sa candidature lors de la course au leadership du Parti libéral du Québec. Les deux dirigeants de sa campagne, soit le haut fonctionnaire René Gagnon et le tavernier Jean-Jacques Côté, voyaient en la mafia une source de financement intéressante. Ils rencontrèrent donc Frank Dasti, tenancier de maisons de jeux, et son patron, Nicola Di Iorio, homme de confiance du mafiosi Vincenzo Cotroni, pour en discuter. Lors des élections générales d'avril 1970, Laporte rencontra lui-même Dasti et Di Iorio en présence de Gagnon et de Côté. Ces derniers demandèrent à la mafia d'aider les libéraux dans les comtés de la Rive-sud. De son côté, Di Iorio voulait que cessent les descentes policières dans les clubs de nuit qui étaient contrôlés par le clan Cotroni. Après la mort de Laporte, Gagnon fut nommé chef de cabinet du ministre de l'Immigration, Jean Bienvenu. Sa dernière rencontre avec Dasti eut lieu en août 1973 et fut filmée par la SQ. (25)


Plus de deux décennies plus tard, la mafia continuait à exercer de l'influence dans les milieux politiques québécois selon un rapport produit par des analystes de la police de Montréal, de la SQ et de la section québécoise de la GRC, dont voici un extrait : «Nous sommes particulièrement inquiets de voir se reproduire au Canada le modèle italien où la mafia a complètement pris le contrôle du Parti démocrate-chrétien, en investissant dans sa caisse électorale, notamment. Au Canada, certaines décisions prises par les différents niveaux de gouvernement démontrent clairement que ceux qui contribuent aux caisses électorales des partis sont favorisés. Que ce soit dans l'attribution de contrats publics, dans la modification des règles de zonage, dans la réglementation des travailleurs de la construction, ou encore dans la gestion des courses de chevaux ; de nombreuses décisions gouvernementales favorisent des intérêts proches du crime organisé.» (26)


En septembre 2000, le phénomène avait prit une telle ampleur que le nouveau commissaire de la GRC, Giuliano Zaccardelli, se senti obligé de tirer la sonnette d'alarme en se livrant à une déclaration choc. «Les groupes du crime organisé prennent pour cible le Parlement et d'autres institutions afin de répandre la corruption et l'instabilité politique», lança-t-il à des journalistes peu habitués à un tel franc-parler de la part du no.1 de la police nationale. «Pour la première fois dans ce pays, nous voyons des signes que certaines organisations criminelles ont atteint un tel niveau de sophistication qu'elles cherchent présentement à déstabiliser certains aspects de notre société», continua Zaccardelli. Il n'a toutefois pas été possible d'obtenir davantage de précisions, les responsables des communications de la GRC ayant mis fin au point de presse en tirant par la manche le volubile commissaire. (27)



Sources:


(1) Le Soleil, «Vote décisif lundi», Raymond Giroux, 25 novembre 2005, p. A1.

(2) La Presse Canadienne, «Harper refuse de s'excuser pour ses propos sur le crime organisé», Isabelle Rodrigue, 25 novembre 2005.

(3) La Presse, «Julie Couillard: avant les motards, les mafiosi», André Cédilot et André Noël, 3 juin 2008, p. A2.

(4) L'Alliance regroupait les Rock Machine, le Dark Circle et des petits clans de narcotrafiquants soucieux de préserver leur indépendance.

(5)

www.cyberpresse.ca/apps/pbcs.dll/article?AID=/20080516/CPACTUALITES/805160884/-1/CPACTUALITES

(6) La Presse, «Les pratiques de l'agence D.R.P avaient été dénoncées à la télé», André Noël et André Cédilot, 29 mai 2008, p. A3.

(7) The Globe and Mail, «Port workers and their spouses face more scrutiny than cabinet ministers», Daniel Leblanc, May 13, 2008, p. A4.

(8) Le Devoir, «En octobre, Harper a mis en garde Maxime Bernier contre sa petite amie», Hélène Buzzetti, 17 mai 2008, p. A3.

(9) Le Devoir, «Julie Couillard, 'experte' en sécurité», Hélène Buzzetti, 26 mai 2008, p. A1.

(10) La Presse Canadienne, «Plus de 10 employés de Mtl-Trudeau arrêtés», 22 novembre 2006.

(11) La Presse, «Le traiteur des aéroports encore dans l'embarras», Tristan Péloquin, 5 juin 2008.

(12) La Presse, «Julie Couillard affirme avoir été pressentie par le PCC», André Noël, 28 mai 2008, p. A4.

(13) La Presse, «Bernier-Couillard: pas le fruit du hasard», Joël-Denis Bellavance et André Noël, 12 juin 2008, p. A2.

(14) La Presse, «Affaire Julie Couillard – Une autre démission chez les conservateurs», Joël-Denis Bellavance et André Noël, 11 juin 2008, p. A6.

(15) Le Soleil, «Affaire Julie Couillard: Michael Fortier éclaboussé», Raymond Giroux, 12 juin 2008, p. 5.

(16) http://www.cyberpresse.ca/article/20080529/CPACTUALITES/805290864/-1/CPACTUALITES

(17) La Presse, «Même les méthodes d'enquête de la police étaient refilées aux motards», André Cédilot et Marcel Laroche, 26 avril 2001, p. A1.

(18) Le Droit, «Un des suspects était agent de sécurité et transportait des détenus», Jean-François Plante, 7 novembre 2003, p. 2.

(19) La Presse Canadienne, «Le gouvernement du Québec serre la vis aux agences de sécurité privée», Martin Ouellet, 17 décembre 2004.

(20) La Presse, «Il y a des failles, reconnaît le ministre», Tommy Chouinard, 30 mai 2008, p. A1.

(21) La Presse, «Une poignée de main du ministre Bernier a fait réagir la GRC», André Noël et André Cédilot, 10 mai 2008, p. A1.

(22) DE CHAMPLAIN Pierre, «Le crime organisé à Montréal (1940-1980), Éditions Asticou (1986), p. 125.

(23) La Presse, «J. Aldéo Léo Rémillard – Le controversé aïeul des frères Rémillard», André Cédilot, 17 mai 2008, p. A19.

(24) CHARBONNEAU Jean-Pierre, «La filière canadienne», Les Éditions de l'Homme (1975), p. 246 à 254.

(25) De Champain, p. 208-217.

(26) La Presse, «Le crime organisé menace la démocratie au Canada», André Noël, 25 mars 1995, p. B10.

(27) The Ottawa Citizen, «Mobsters target Parliament, RCMP commissioner says», Tim Naumetz, September 8, 2000.




L'affaire Frank Majeau, l'affaire Conrad Bouchard, l'affaire Pari Montanaro, les hauts et les bas de Sidney Lallouz et le cas d'Alfonso Gagliano.

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Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.23. - THÉORÈME GOMERY. - La loi de la Corruption.
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